Forward Madison FC : la Vie en Rose

Cet article est écrit par Léo Willemin, ancien journaliste pour Culture Soccer que vous pouvez retrouver sur twitter ici et ici, qui a dû partir pour des raisons personnels. Nous le remercions pour son excellent travail, lui qui a toujours fait des articles irréprochables !

Le 30 mars prochain commence la toute nouvelle USL League One. Composée de dix équipes, le troisième échelon national (derrière la MLS et l’USL Championship) va permettre à des villes dites moyennes d’accueillir une équipe professionnelle de soccer.

Et si l’une d’entre elles a déjà réussi son pari, c’est bien celle de Madison. Entre une communication intelligente sur les réseaux sociaux et une mascotte aussi dingue qu’intrigante, le club de l’état du Wisconsin a déjà réussi à faire parler de lui, avant même que la saison commence.

Nous sommes le dimanche 18 Novembre dans le bâtiment du Wisconsin Historical Society.  Si l’agitation gagne l’intérieur, ce n’est pas pour une exposition archéologique sur le Fort Koshkonong (Lieu de défense pendant la guerre de Black Hawk entre américains et amérindiens en 1832 ndlr) mais bien pour un club de soccer, le Madison Pro Soccer (ancien nom du club). En ce jour historique, la première équipe professionnelle de Madison dévoile son nouveau nom, son nouveau logo ainsi que ses nouvelles couleurs. Le regard des invités se pose tout de suite sur les écharpes disposées un peu partout à l’entrée du bâtiment. On y voit un nom, celui du « Forward Madison ». Comme un symbole, on retrouve cette écharpe sur la statue « Forward » qui symbolise l’avancée de l’esprit du Wisconsin. Dans la salle où se tient la présentation, plus de quatre cents fans se pressent pour trouver une place au milieu des journalistes et des différents officiels de la ligue. Ce sont ces mêmes supporters qui, des semaines auparavant, ont eu la possibilité de voter pour le nouveau nom du club via un système de crowdsourcing rarement vu au sein du monde du sport professionnel américain.

Tout le monde est prêt lorsque le directeur général Peter Wilt présente officiellement la nouvelle identité du club de soccer. Ce dernier ne fait pas dans la demi-mesure allant même jusqu’à chanter « Madison, Madison, Madison » écharpe brandie comme un fan dans un stade. Interviewé quelques minutes après par Channel 3000, Peter déclare : « C’est comme le jour de Noël, quand on offre un cadeau à quelqu’un. On le laisse regarder, être content et la réponse est fantastique. Madison a maintenant une équipe et les supporters savent comment l’appeler. De plus, nous pensions que ce serait amusant de créer quelque chose avec un peu de fantaisie et d’impertinence.  Le sport ne doit pas être sérieux donc nous avons décidé d’incorporer le flamand rose en plastique à une équipe de soccer ». Le Forward Madison est né. Mais avant d’en arriver là, le club a dû passer par pas mal d’événements.

Le stade, premier pas vers le soccer à Madison

Le Breese Stevens trône fièrement au milieu de la ville de Madison. Véritable monument sportif, il est le garant de l’histoire sportive de la capitale du Wisconsin. Construit en 1925 et portant le nom de l’ancien maire de Madison, il accueille pendant de nombreuses années des événements sportifs qui en font le premier stade de la ville. En premier lieu, c’est le baseball et son équipe semi-professionnelle des Madison Blue qui s’y installent jusqu’au début des années 40. Le stade devient aussi le théâtre de certains matchs d’exhibition de franchises professionnelles comme les Chicago White Sox ou les St Louis Browns et même un camp d’entrainement des Yankees en 1946. On assiste aussi à certains matchs de la Negro League (Ligue comprenant uniquement  les afro-américains) et surtout à celui de Toni Stone, première femme à jouer dans une équipe professionnelle de baseball en 1952. Le football américain fait aussi son apparition dans le Breese Stevens Field avec trois matchs de NFL (National Football League) et le légendaire ‘halfback’ des Chicago Bears, Red Grange. Mais si un événement devait retenir l’attention des gens, c’est bien les trois courses de Jesse Owens (athlétisme) en 1938 au Breese Stevens. Deux ans après ses quatre médailles d’or aux jeux olympiques de Berlin (100m, 200m, relais 4 x 100m et saut en longueur), le champion olympique vient montrer ses prouesses en effectuant des courses d’exhibition devant un public de Madison conquis.

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Le Breese Stevens à la période faste
Photo via Wisconsin Historical Society

Après la période faste, la construction du Mansfield Stadium à l’ouest de la ville à la fin des années 60 va mettre fin à l’hégémonie du Breese Stevens. Pendant les cinquante années qui suivent, le stade oscille entre scandale après l’incident raciste de 1968 et espoir avec la mise en place de certains tournois de soccer à partir de l’année 82, mais rien n’y fait.  Malgré les nombreux plans de restauration de l’enceinte dont la mise en place d’un terrain synthétique, le stade n’accueille pas grand monde durant l’année 2014 à part des équipes de College Soccer (soccer universitaire) et une équipe professionnelle d’Ultimate.

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Le Breese sous le même angle, 60 ans plus tard
Photo via Madison Commons

C’est alors que rentre en jeu Big Top Baseball (renommée Big Top Sports + Entertainment en 2018). Créée par Steve Schmitt (gérée aussi par Vern Stenmann et Conor Caloia), la société qui gère de nombreuses équipes de baseball universitaires d’été dans le Wisconsin veut se diversifier. Big Top s’intéresse alors au Breese Stevens dans le but d’y monter une équipe professionnelle de soccer. Si le premier contrat d’exploitation d’une durée de 5 ans est signé en 2015, il n’y fait pas encore mention d’une équipe de soccer. Pour y arriver, il faut faire des aménagements qui coûtent un prix assez élevé et obtenir ainsi un contrat d’exploitation d’une durée de dix ans minimum (durée pour accueillir une équipe professionnelle). Le groupe décide donc de s’associer à un autre homme d’affaires, Jim Kacmarcik, propriétaire lui aussi d’équipes de baseball universitaire, pour mener à bien leur projet.

C’est ainsi que le 15 mai 2018, le conseil municipal de Madison valide le nouveau contrat d’exploitation du Breese Stevens Fiels en vue de la création d’une équipe professionnelle de soccer en 2019. L’augmentation de la capacité du stade de 2700 à 5000 places, l’aménagement du système anti bruit, ainsi que l’amélioration des installations d’accueil des joueurs sont les principaux travaux en vue de la saison 2019. Le 17 Mai, Big Top officialise l’entrée de la ville de Madison en USL League one via un événement au Breese Stevens. Au cours de cette journée, Peter Wilt est alors officialisé comme directeur général de la nouvelle franchise du Madison Pro Soccer.

Peter Wilt et ses drôles de flamands roses en plastique

Résumer la vie du plus grand directeur du football serait une hérésie tant il a marqué de son empreinte le soccer américain.  Comme il le dit lui-même, Peter J. Wilt est un  « Créateur compulsif d’équipes de soccer »,  lançant pas moins de 6 équipes (un record) dans plus de 4 divisions différentes ces trente dernières années. S’il serait bien trop long de citer les six, on peut néanmoins mettre en avant celle d’Indy Eleven, club de soccer d’Indianapolis fin 2012 ou encore la création de l’équipe de MLS des Chicago Fire en 1997, club qu’il dirigea pendant 8 ans avec de nombreux trophées à la clé (MLS Cup 1998, Supporters’ Shield 2003 et Lamar US Open Cup 1998, 2000 et 2003). En 2017, il tente même de lancer la NISA (National  Independent Soccer Association), une nouvelle ligue de soccer avec un système de promotion/relégation, mais il ne fait partie de ce projet qu’une année avant d’être de nouveau appelé afin de construire l’équipe de Madison.

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Peter Wilt à gauche lors du lancement d’Indy Eleven
Photo via NASL.com

Dès son arrivée, plusieurs chantiers sont en branle et plusieurs décisions doivent être rapidement prises. La plus importante est d’établir une identité forte au premier club de soccer de l’État du Wisconsin. Le premier nom proposé « Madison pro soccer » n’est que temporaire car Peter a une idée bien précise afin de trouver le nouveau nom de son club ; le crowdsourcing. Sachant très bien que les fans seront plus à même de supporter une équipe qu’ils ont eux-mêmes créé, il propose aux supporters d’inventer le nom de la franchise et de voter pour le nom qui leur plait le plus. C’est donc après plusieurs mois d’attente et des milliers de différents noms triés puis soumis au vote que le Forward Madison FC est choisi et enfin adopté. Après le nom du club vint alors le choix du logo. Peter Wilt n’a pas eu besoin de chercher longtemps, car sa source d’inspiration est devant lui, les flamands roses en plastique !

Le pink plastic flamingo n’est pas n’importe quel oiseau pour Madison, il est depuis 2009 l’oiseau officiel de la ville. Tout est très sérieux, il faut remonter à la fin des années 70 pour comprendre la signification, car tout part d’une blague. Le 4 Septembre 1979 c’est le premier jour de cours à l’université de Wisconsin-Madison. Pour marquer le coup, le parti « Pail & Shovel », réélu cette année à la tête du Wisconsin Student Associaton (le bureau officiel des étudiants), décide de mettre le paquet. Véritable ovni des bureaux associatifs par sa folie, le parti crée par James Mallon et Léon Varjian a déjà fait le buzz l’année précédente. En effet, durant leur précédent mandat, il utilise les 80 000$ alloués à l’association afin de créer une réplique de la Statue de la Liberté sur le lac gelé du Mendota (lac qui traverse la ville) et invite le groupe de rock Little Feat à l’université. En ce matin de rentrée, le parti fait encore plus fort en positionnant plus de 1008 flamands roses en plastique partout sur le campus universitaire. Très étonnés à leur réveil, les étudiants immortalisent le moment en prenant de multiples photos et en emportant avec eux les flamingos. L’acte est alors relayé dans tout le pays, ce qui permet à l’université et la ville de se faire connaitre. Ce choix de symbole s’impose donc comme une évidence pour la ville et pour le club de soccer. Si le premier chantier de Peter Wilt est parfaitement réussi, le deuxième est primordial pour créer une équipe de soccer : Avoir des joueurs et un entraineur.

Un coach entraineur des gardiens, Un gardien en provenance de Suède, un international panaméen et un joueur de troisième division tchèque.

Ce n’est que le 27 Septembre dernier que le Forward Madison prend une réelle tournure sportive. Après des semaines de recherche, Peter Wilt appelle une ancienne connaissance pour prendre les rênes de l’équipe. Son nom :  Daryl Shore. Agé de 48 ans, l’ancien entraineur des gardiens et entraineur adjoint du Real Salt Lake a connu Peter Wilt lorsqu’il était entraineur adjoint au Chicago Fire entre 2000 et 2010. Véritable passionné de soccer, l’ancien gardien de but américain va devoir démarrer de zéro avec un effectif vierge.

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Photo via ForwardMadison

Dans un premier temps, comme tout nouveau club de ligue inférieure, le Forward Madison met en place des essais. Daryl Shore les supervise personnellement pour essayer de détecter les potentiels joueurs qui pourraient rejoindre l’équipe professionnelle. Des centaines de joueurs affluent alors pour tenter leur chance, principalement des joueurs de ligues inférieures américaines ou d’anciens joueurs du College Soccer. On y retrouve même un gardien de but qui joue … en Suède. Il ne fallait surtout pas s’attendre à des miracles car sur les 108 participants à ces essais, seulement deux signeront pour le club : Eric Leonard et Brian Bement. Outre ces essais, le club s’active pour recruter des joueurs professionnels. En activant leurs différents réseaux de connaissances, le milieu jamaïcain Don Smart se greffe au club en provenance de Fresno FC en USL après avoir travaillé dans le passé avec Peter Wilt à Indy Eleven et Daryl Shore au Miami FC. Don Smart fait lui aussi marcher son réseau et présente le jeune Zaire Bartley à l’équipe dirigeante. Le jeune jamaïcain de 20 ans, parti tenter sa chance en troisième division tchèque après avoir joué dans la réserve des New York Cosmos, passe un test concluant avec le club.

Si d’autres joueurs arrivent par la suite comme Danny Tenorio, attaquant équatorien de Naples United ou Jeff Michaud en provenance de Miami FC, c’est l’arrivée d’un joueur étranger qui va susciter l’attention de pas mal de médias. Début décembre, la signature en prêt de l’international panaméen Josiel Nunez en provenance du CD Universitario va mettre en lumière la force de recrutement du Forward Madison. Le milieu offensif n’arrive pas ici par hasard, il est le fruit du travail acharné de Peter Wilt qui connait très bien l’agent du joueur Jorge Bernard avec qui il a travaillé régulièrement. Une arrivée capitale pour renforcer le « roster » qui reste malgré tout encore bien maigre.

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L’annonce du prêt de Josiel Nunez
Photo via ForwardMadison

En effet, si d’autres joueurs signent ensuite au club, une constante est remarquée dans le recrutement, le Forward Madison ne recrute que des éléments offensifs. Le club vient de signer l’ancien gardien des Philadelphia Union et des LA Galaxy Brian Sylvestre, mais il ne possède actuellement aucun défenseur ainsi qu’aucun milieu défensif.

Un problème qui pourrait être en partie réglé par la réception de jeunes joueurs prêtés par le club de Minnesota United FC qui évolue en MLS. En effet, début décembre, un accord de partenariat est signé entre l’équipe des « Loons » (huards) de Minnesota et les flamands roses de Madison. Cet accord permettra à Minnesota de faire jouer ses jeunes talents dans une ligue assez relevée et à Forward Madison de pouvoir utiliser les réseaux de recrutement ainsi que l’équipement du club MLS. Il reste donc du travail avant le début de la compétition fin Mars.

Une très bonne gestion des réseaux sociaux et de l’animation en tribune

Mais si le club de Madison est aussi populaire en dehors des frontières de l’état c’est grâce à sa communication. Entre meme (élément repris et décliné en masse sur internet) et auto-dérision, les CM (Community Manager) de Forward Madison sont dans la lignée des nouveaux comptes internet, très proches de leur communauté.

Peter Wilt explique d’ailleurs très bien sa stratégie de communication dans un article qu’il écrit pour The Athletic : « Nous n’avons pas le budget pour faire de la publicité dans les médias traditionnels, nous profitons au maximum des médias sociaux, des communiqués de presse et des interviews avec des podcasts et des médias en ligne pour faire connaître l’équipe et aider à construire sa marque au niveau local et national ».

Car si le club sait divertir, il sait aussi se servir des réseaux sociaux pour faire sa promotion. Comme lorsqu’il lance au début de l’été le #ScarfMadison. Des milliers d’écharpes du club sont alors placées un peu partout dans la ville, chacune possède un code. En se connectant sur le site internet du club, le nouveau propriétaire de l’écharpe peut alors gagner de nombreux lots. De plus, à chaque activation, de l’argent est collecté afin d’aider le Millenium soccer club, petit club basé à Madison qui propose des programmes de soccer aux enfants de famille à faible revenu. Les écharpes ainsi récupérées permettent aussi de participer au concours « Where in the World is Madison Pro Soccer ?”. Ce jeu où chaque personne se prend en photo dans divers endroits dans le monde avec une écharpe du club pour gagner des prix ou des places pour le match inaugural au stade Breese Stevens. Un véritable merchandising qui porte bien ses fruits sur les réseaux sociaux et beaucoup de monde n’hésite pas à partager et commenter les différentes opérations du club.

Mais si la promotion sur les réseaux sociaux est une chose, le plus important reste encore d’animer un stade. C’est ainsi qu’apparait le nouveau groupe de supporters ; The Flock. C’est au lancement de l’équipe du Forward Madison, le 17 mai, que le groupe de supporters fait sa première apparition. Une vingtaine de personnes, écharpes à la main, participent au premier chant du club. Un sommaire mais très parlant « Madison, Madison, Madison » est entonné avec un fumigène aux couleurs du club. Ce sont les balbutiements d’un groupe de fans qui peut enfin suivre l’équipe de soccer de leur ville. La plupart sont déjà fans d’un club de soccer et une grande majorité supporte un club du côté de l’Angleterre. En effet la particularité première du groupe « The Flock » est le rassemblement sous les mêmes couleurs de six groupes de fans des différentes équipes de Premier League anglaise à Madison.

On y retrouve donc des fans d’Arsenal, des Spurs ou encore de Chelsea sous le même drapeau. Andrew Schmidt, un des supporters de Madison Forward est par exemple le co-fondateur d’ASC Madison (Arsenal Supporters Club Madison). Pour ce qui est de l’ambiance future du stade, The Flock a une inspiration beaucoup plus américaine. Dans une interview donnée au groupe de supporters des Lansing Ignite, Andrew déclare : «  Nous  allons nous inspirer de ce que True North Elite et Dark Clouds ont fait pour les Loons de Minnesota, de la « section 8 » (groupe de supporters de Chicago Fire) et du travail des RBB (Red And Bad Block)  pour les Western Sydney Wanderers, un club jeune avec des partisans très dévoués. The Northern Guard est aussi une des sources d’inspiration, ils ont eu pas mal de mauvaises presses (ce qu’ils adorent), mais de nombreux clubs aimeraient avoir la communauté qu’ils ont construite à Détroit autour de DCFC. On peut aussi citer la Timbers Army, The Cauldron, etc. »

S’ils ne pourront pas suivre les matchs de présaison de leur équipe, les membres du groupe The Folk seront bien sur présents le premier match de la saison à domicile contre Greenville pour enflammer le stade.

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The Flock au grand complet
Photo via AssemblyLines
Culture Soccer

Culture soccer est un podcast dédié au soccer, sa culture et son développement aux États Unis et au Canada. Émission audio du site culturesoccer.com, elle couvre toutes les divisions Nord Américaine, de la MLS aux divisions inférieures en passant par la CanPL, ainsi que les sélections américaines et canadiennes.

16 thoughts on “Forward Madison FC : la Vie en Rose

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