Le naufrage Sky Blue

Sky Blue FC, le plus ancien club de la ligue féminine, créé en 2007, est connu pour avoir remporté les premiers playoffs de l’histoire de la WPS en 2009. Basé à Piscataway Township dans le New Jersey, jouant sur le campus universitaire des Rutgers, il oscille entre la quatrième et la cinquième place entre 2009 et 2013 et a depuis connu une dégringolade dans le classement.

La saison dernière, les « Beez » ont fini à la dernière place avec dix-sept défaites, une victoire et six matchs nuls. Cela n’aurait pas eu beaucoup d’importance sans des rumeurs naissantes concernant les conditions horribles dans lesquelles évolueraient les joueuses. Tout d’abord, il faut savoir que le propriétaire du club est Phil Murphy, un politicien qui a investi dans la franchise pour montrer à sa fille, footballeuse également, que les femmes pouvaient jouer au niveau professionnel. Malheureusement il savait dès le début que cela serait un investissement à perte (à ce jour il aurait perdu cinq millions de dollars), ce qui n’a pas annoncé un bon présage dès le départ.

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Photo via SkyBlueFC.com

Cela se confirme dès la saison dernière, avec d’abord des rumeurs grandissantes autour des conditions de travail et de vie des joueuses. La bombe explose le 7 juillet 2018 après le match des Sky Blue contre les Chicago Red Stars où Chicago remporte le match 3-1 grâce à un triplé de Sam Kerr. Ancienne joueuse des Sky Blue, Sam Kerr avait été échangée à la fin de la saison précédente par le club. C’était donc la première fois qu’elle retrouvait son ancien stade avec un autre maillot sur le dos. À la fin du match elle déclare à Dan Lauletta, journaliste à l’Equalizer :
« J’ai cru pendant le match que j’allais me mettre à pleurer, si je suis honnête je n’ai pris aucun plaisir, je souhaitais que les choses soient meilleures ici et j’aurai aimé pouvoir rester. C’est dommage que ça se soit passé ainsi. J’aurais aimé pouvoir prendre chacune d’entre elles avec moi mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Je vais juste dire que les filles méritent mieux et on va s’en tenir à ça. Ces filles sont des super filles. Elles donnent tout pour ce club et cette ligue et elles méritent juste mieux. J’ai marqué un triplé mais je n’étais pas moi-même aujourd’hui. Je me sens mal de jouer contre ces filles »

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Sam Kerr face au Sky Blue Photo via vavel.com

C’est à la suite de cette interview que les langues ont commencé à se délier. Hope Solo, l’ancienne gardienne Américaine des Seattle Reign, déclare à Deadspin : « Beaucoup d’équipes n’ont pas des structures adéquates pour des athlètes professionnels mais les Sky Blue ont toujours été les pires. Avec notre équipe on ne se douchait jamais après les matchs contre Sky Blue, ce qui n’est pas très hygiénique. Il y avait des douches mais elles n’étaient ni pratiques ni à l’intérieur des vestiaires. »

Une joueuse affiliée au club depuis 2013 préférant rester anonyme a déclaré concernant les conditions de logement : « C’est le même problème chaque année. L’an dernier, on a laissé cinq filles dans une maison où le toit fuyait. On utilisait tout le temps cette maison que tout le monde devait quitter à la mi-saison et puis c’est chacun pour soi. »

L’entraîneur David Hodgson a ajouté : « La maison de Sam Kerr était correcte, l’autre maison, vous ne laisseriez même pas vos chiens dormir dedans. Les joueuses devaient mettre du carton sur les fenêtres ainsi que des sacs plastiques. C’était le lieu le plus dégoûtant que vous ayez jamais vu. Les nouvelles et moins nouvelles changeaient deux à trois fois de maison par saison. »

Il a donc été demandé pourquoi un bail de douze mois n’a pas été signé pour permettre aux filles de rester au même endroit. Il a été répondu que les joueuses étant dans la région pour seulement 7 mois, cela reviendrait trop cher. On apprend également, que la ligue autorise aux différentes franchises l’utilisation de seulement 57,400 $ par saison pour loger leurs joueuses. Ces limitations n’aident pas forcément les clubs à mieux traiter leurs joueuses.

Suite à ces déclarations, le club a avoué avoir mis en 2018, neuf de ses plus anciennes joueuses dans des appartements meublés. Mais rien n’a été ajouté concernant le reste de l’équipe. Par contre, si une fille a une adresse résidentielle dans le New Jersey elle n’a pas droit à une aide de logement. Comme Carli Lloyd, joueuse internationale américaine, originaire de cet état. L’état du New Jersey est immense. Il fait 273 km de long et 112 km de large ce qui fait que les trajets peuvent être assez contraignants. C’est pourquoi, l’équipe se partage quelques voitures de locations. Les joueuses font la navette entre les entraînements et les matchs avec leurs propres équipements sans avoir pris de douche, se baladant avec leurs vêtements pleins de sueur.

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Photo via USA News Hub

Comble du problème, le match contre Chicago du 28 juillet 2018 a été déplacé car le vol des joueuses avait été annulé. Il devint impossible pour l’équipe de se rendre à temps au Toyota Park puisque le club avait pris le dernier vol disponible afin d’éviter les frais d’hôtel.

Mais cela représente la partie immergée de l’iceberg, d’autres problèmes sont sûrement inconnus du grand public. Il se fait écho de difficultés de paiements des frais médicaux ainsi que du remboursement des frais de bagages lors des déplacements. En ce qui concerne les entraînements, les filles auraient pour obligation d’utiliser des toilettes mobiles.

Pendant la fin de la saison tout s’était calmé mais avec la draft du 10 janvier 2019, les polémiques ont refait surface. Lors de leur deuxième pioche à la Draft, Sky Blue a choisi la défenseure Julia Ashley. Numéro 16 des North Carolina Athletics, native de Verona dans le New Jersey, cela aurait été pour elle le club idéal afin de démarrer sa carrière professionnelle. Connaissant les conditions de travail de l’équipe, elle a préféré jouer de l’autre côté de l’Atlantique, en Suède au Linköping FC, un des meilleurs clubs du pays. Elle avait d’ailleurs dit au club avant la draft qu’elle ne voulait pas jouer pour eux mais ils ont tout simplement ignoré ses envies. Suite à ce choix, elle a déclaré à Steve Politi, journaliste pour NJ.com : « Cela aurait été cool de rejouer à la maison, où ma famille et mes amis auraient fait juste un petit trajet pour venir me voir jouer. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tu vas drafter quelqu’un qui ne veut pas être dans ton programme ou jouer pour ton équipe ? Ça n’a aucun sens. Mais ce que je ne sais pas c’est combien de joueuses ont dit à Sky Blue «je ne veux pas jouer pour vous. »

Hailie Mace, défenseure internationale Américaine de UCLA, draftée dès le premier tour par l’équipe du New Jersey, ne sait toujours pas si elle va jouer pour le club.

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Hailie Mace Photo via UCLABruins.com

La saison dernière la gardienne des Rutgers, Casey Murphy avait été draftée par les Sky Blue. Elle avait également choisi de démarrer sa carrière professionnelle avec une autre équipe sur un autre continent ; le Montpellier Hérault Sport Club Féminin, club du sud de la France évoluant en D1 féminine.

Ce n’est que quelques mois après que Sam Kerr a mis en lumière les problèmes entourant l’équipe.

Il est impossible de blâmer ces joueuses pour la saison catastrophique qu’elles ont mené en connaissant ce qu’il se passe en coulisses.

Comment est-il possible de ramener des résultats quand vous ne pouvez pas vous sentir tel un sportif professionnel ? Quand vous avez l’impression que votre club vous laisse tomber ? Quand vous n’avez même accès à des structures simples comme des douches ?
M. Murphy a voulu pourtant bien faire mais pourquoi laisser cette franchise à l’abandon? Pourquoi laisser des joueuses évoluer dans de telles conditions ?

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Photo via SkyBlueFC.com

Ce club serait-il l’arbre qui cache la forêt ? D’autres franchises seraient-elles touchées ? La loi du silence serait-elle la plus forte ? Malgré tout cela, elles se sont battues sans rien lâcher, faisant face à la fatigue accumulée à cause des horribles conditions d’entraînements, de déplacements et de logements.

Honneur à elles de continuer le combat. Beaucoup aurait abandonné depuis longtemps mais c’est aux générations suivantes qu’elles pensent. Sur les réseaux sociaux du Sky Blue FC on peut y voir la campagne d’abonnement pour la saison 2019.

Peut-on y voir un espoir de renouveau ? C’est tout ce que l’on souhaite à ces joueuses, à la NWSL et au soccer féminin !

Elodie Touzet

Amoureuse du foot depuis toute petite, jouant dans la cour de récré avec les garçons, elle a joué en club seulement tard (de 16 à 18 ans et oui petit village oblige). Elle a découvert le haut niveau féminin en 2011 en tombant sur la coupe du monde et depuis elle n'a pas arrêté de suivre l'équipe de France puis celle des US après les JO de 2012. C'est à ce moment là qu'elle s'est intéressée à la D1 féminine et qu'elle est devenue supportrice du MHSC féminine (sa région d'origine). Grande fan d'Alex Morgan, joueuse qu'elle a découverte à ses début en 2011, elle continue depuis de suivre son parcours en équipe nationale. C'est seulement après son arrivée à Lyon en 2017 qu'elle a commencé à s'intéresser au championnat US. Et que son choix s'est portée tout naturellement sur son équipe, les Orlando Pride. Équipe dont elle est devenue totalement fan.

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