Depuis 2016, l’équipe nationale féminine américaine (USWNT) se bat pour l’égalité salariale. Elle lance à l’époque le hashtag ‘Equal Play, Equal Pay’ (#EqualPlayEqualPay) qu’on pourrait traduire littéralement par ‘Jeu Identique, Salaire Identique’ ou bien par ‘Même Sport, Même Salaire’. Ce problème, bien connu dans le monde du travail, n’a pas épargné le milieu du sport. Bien que la polémique ait débuté en 2016, aujourd’hui une nouvelle vague inonde la toile. Le public se demande pourquoi il existe autant de différences de salaire entre les hommes et les femmes ainsi que de réticences de la part d’une fédération envers une équipe qui n’a plus rien à prouver et qui ces dernières années, contrairement aux hommes, a su remporter plusieurs trophées. Essayons d’y voir plus clair.
Un combat débuté en 2016
La polémique d’aujourd’hui part d’une lutte commencée dans le passé. Au lendemain de la victoire en Coupe du Monde, un petit groupe de joueuses souhaite rendre public leur combat. Le 29 mars 2016, les internationales américaines Hope Solo, Carli Lloyd, Rebecca Sauerbrunn, Alex Morgan et Megan Rapinoe portent plainte devant la Commission Américaine pour l’Égalité des Chances (Equal Employment Opportunity Commission: organisme fédéral chargé de faire respecter les lois sur les droits civils contre la discrimination sur le lieu de travail) accusant la Fédération U.S. de Soccer (USSF) de moins les payer que leurs comparses masculins.

En 2016, Alex Morgan explique sur le plateau d’Access Hollywood la différence salariale qui existe entre les équipes et fait part de leur combat, dans une interview que vous pouvez retrouver ici. Le journaliste en fait donc un résumé saisissant « L’équipe masculine est mieux payée pour perdre alors que vous, vous avez gagné la Coupe du Monde », à quoi Alex Morgan répond que c’est la FIFA qui donne cette prime. C’est donc là un autre combat qui va au-delà de celui de la fédération et implique directement la Fédération Internationale de Football !
Si nous jetons un coup d’œil aux chiffres, nous nous apercevons en effet que l’équipe masculine a touché en 2014, après son élimination en huitième de finale de coupe du monde, neuf millions de dollars. L’équipe nationale féminine quant à elle, a touché seulement deux millions de dollars pour avoir été championne du monde ! Précisons une nouvelle fois que ceci est la prime allouée par la FIFA et que la fédération américaine n’est pas en cause sur ce sujet.
Cependant, cette entrevue nous fait réaliser que pour vingt matchs joués, si ceux-ci sont tous gagnés, 263,320$ est versé à chaque joueurs de l’équipe masculine, tandis que les joueuses de l’équipe féminine recevront seulement 100,000$ chacune, un chiffre qui lui dépend de la Fédération Américaine de Soccer. Dans le cas où la totalité des vingt matchs sont perdus, les hommes toucheront 100,000$ contre 72,000$ pour les femmes. Ces sommes sont donc versées à chaque joueurs/joueuses pour un forfait de vingt matchs annuels. Si un joueur est sélectionné pour participer à une coupe du monde, il touche 76,000 $ pour faire seulement parti des vingt-trois alors qu’une joueuse reçoit 15,000 $. C’est en quelque sorte une prime de sélection. À cela s’ajoute la prime versée à toute l’équipe pour leur participation à une telle compétition. Soit 9 millions de dollars à se partager pour l’équipe masculine, et 2 millions à se partager pour l’équipe féminine.
Dans leur combat, L’USWNT reçoit le soutien de joueurs comme Landon Donovan ou Tim Howard mais malheureusement ils se font globalement plutôt discrets.
Au fil des années, le mouvement s’essouffle mais n’est pas pour autant absent. Le combat se poursuit mais il est moins médiatisé, et c’est à la veille de la coupe du monde féminine en France en 2019 qu’il refait surface. Symboliquement, l’action est d’ailleurs relancée lors de la journée Internationale de la Femme. C’est donc le 8 mars 2019 que toute l’équipe nationale présente près du tribunal de Los Angeles un recours collectif sous l’égide du « Equal Pay Act and Title VII of the Civil Rights Act » qui interdit la discrimination salariale entre les sexes. Cette fois-ci, vingt-huit joueuses y prennent part et non pas seulement cinq.
L’attaquante Alex Morgan s’exprime à ce sujet au Time : « Chacune d’entre nous est extrêmement fière de porter le maillot des USA, et nous prenons sérieusement la responsabilité qui vient avec. Nous croyons que ce combat pour l’égalité des genres dans le sport est une part de cette responsabilité. En tant que joueuses, nous méritons d’être payées équitablement pour notre travail sans tenir compte de notre sexe ».
En agissant de la sorte beaucoup se sont demandés si un boycott de la Coupe du Monde, à quelques mois du début de la compétition, était possible. Le timing de cette action est en effet loin d’être mauvais, puisque depuis quelques semaines le monde a les yeux tournés vers le soccer féminin et cela va perdurer jusqu’à la fin de l’été. On y voit donc là le meilleur moyen de se faire entendre non pas seulement à l’échelle américaine mais également à une échelle planétaire. Pas d’inquiétude cependant à avoir par rapport au boycott de la compétition, les « Yankees » ont assuré qu’elles seraient bien présentes cet été en France.
- Une nation, une équipe… Un salaire?
2019 synonyme d’espoir?
Ce même jour, Adidas, qui révèle les maillots portés lors la coupe du monde féminine, en profite pour annoncer qu’ils verseront aux joueuses gagnantes sponsorisées par la marque aux trois bandes les mêmes bonus que ceux alloués aux hommes.
Un coup de communication, certes, mais un autre pas de géant vers la résolution de ce conflit.
Le 2 avril 2019, une nouvelle annonce fait vite le tour de la planète soccer. La marque de barres de céréales Luna Bar, vient de révéler qu’elle payera les vingt-trois joueuses américaines qui participeront à la Coupe du Monde 31,250 $ chacune, soit un total de 718,750 $ pour compenser la disparité des primes allouées à l’équipe masculine. Grâce à cela, les filles recevront le même bonus que celui offert aux hommes.
Luna Bar explique son action : « Nous savions que nous devions faire quelque chose. Et le faire maintenant. Soyons clair, ce n’est pas une question de courage ou de détermination, ce qu’elles ont en abondance, ou même à propos d’argent. C’est simplement parce qu’elles le méritent ».
Ce geste honorable ouvre peut-être la voie à quelque chose de plus grand, même si certains auraient préféré que ce grand pas vienne de la fédération plutôt que d’un coup publicitaire ou une stratégie marketing.

De l’avis de nombreux supporters de soccer masculin, il est normal que les actrices du sport féminin soit moins payée. De nombreux arguments sont donnés, comme la différence de talent, le manque de divertissement et surtout les affluences et les bénéfices qui sont loin d’être comparables.
Ces arguments sont pourtant difficiles à avaler quand on sait que l’équipe féminine est la vitrine principale de la fédération américaine. C’est l’équipe féminine qui remporte des trophées et qui fait parler d’elle autour du globe, là où les hommes n’ont même pas réussi à se qualifier pour la dernière Coupe du Monde en Russie et quand on parle d’équipe américaine de soccer, c’est à son équipe féminine qu’on pense en premier.
Certes, Alex Morgan le reconnaît dans une interview avec Hollywood Access : « À une échelle globale le sport féminin et les équipes féminines ne génèrent pas autant de revenus que ceux des hommes, et ça ce n’est qu’au niveau [national] des US . La fédération a estimé que [dans un futur proche] nous allons générer plus de revenus que les hommes. Mais nous ne voulons pas nous battre contre les hommes mais contre notre employeur. »
Carli Lloyd, autre grande figure de cette équipe, s’exprime à ce sujet dans une lettre au New York Times en 2016: «Je comprends que la Coupe du monde masculine génère beaucoup plus d’argent que la compétition féminine, mais la vérité est que la fédération estime que notre équipe va générer un bénéfice de 5,2 millions de dollars en 2017, alors que les hommes devraient perdre près d’un million de dollars. Pourtant, nous avons des difficultés dans nos allées et venues. J’ai été sur la route 260 jours l’an dernier (2015). Quand je voyage à l’international, j’ai 60$ par jour pour mes dépenses. Michael Bradley (International américain) obtient 75$. Peut-être qu’ils estiment que les femmes sont plus petites et donc mangent moins », conclue-t-elle ironiquement.
Si les compétitions féminines n’attirent pas, comment expliquer les 600.000 billets déjà vendus à travers le monde pour la Coupe du Monde féminine en France cet été ? Pourquoi la fédération n’écoute-t-elle pas ses fans, qui expriment constamment leur colère sur les réseaux sociaux ? Ils font part de leur déception car ils veulent représenter fièrement leur équipe mais, pour la plupart c’est impossible.
Beaucoup d’hommes, à titre d’exemple, supportent l’USWNT mais aucun maillot de taille « homme » n’est disponible, alors que le contraire l’est. La demande est pourtant forte, ce qui soulève de nombreuses questions. Ce n’est qu’un maigre détail mais qui prouve qu’il y a un intérêt pour cette équipe féminine et que si l’US Soccer proposait un large choix de vêtements pour tous les genres, l’USWNT générerait plus de revenus. C’est tout simplement un cercle vicieux qu’instaure contre elle-même la Fédération Américaine.

Le 7 avril 2019, lors de la rencontre amicale entre l’USWNT et la Belgique, la présence des 99ers (les gagnantes de la coupe du monde 99) aux cotés des joueuses qu’elles ont inspirées ne fut pas la seule image forte. Les actrices Eva Longoria, Brandi Chastain, Nathalie Portman, Jennifer Garner et Uzo Aduba, membres du mouvement « Time’s Up Now » (mouvement fondée en janvier 2018 contre le harcèlement sexuel) étaient aussi présentes, non pas seulement pour célébrer ce moment de communion mais pour envoyer un message fort. Celui de leur soutien au combat mené par cette équipe féminine.
Nous pouvons les voir arborant un tee-shirt avec l’inscription « Time’s Up Pay Up », pouvant être traduit par «C’est terminé, Payez».
Le compte officiel du mouvement annonce sur les réseaux sociaux « Time’s Up est fier de rejoindre l’USWNT et les joueuses de la Coupe du Monde 1999 au match contre la Belgique. Il est temps que la fédération américaine de soccer verse à leurs joueuses ce qu’elles méritent. En mars 2018, 28 joueuses ont engagé une action en justice pour discrimination salariale réclamant l’égalité de rémunération. Aujourd’hui, des femmes de tous les secteurs s’unissent pour dire #TIMESUP [c’est terminé] sur l’écart de rémunération entre hommes et femmes – du terrain de football à chaque lieu de travail».

Ce qu’on peut voir au-delà de cette action, c’est que l’équipe actuelle veut laisser un meilleur environnement pour les générations futures, un environnement serein où les joueuses n’auront plus à se soucier de leur après carrière ce qui leur permettra de se concentrer intégralement sur le terrain. Ce qui rend ce mouvement encore plus fort, c’est qu’il va au-delà du soccer et du sport, touchant d’autre domaines tel un effet domino, engendrant des prises de consciences. Les joueuses veulent se battre non pas seulement pour leur sport mais pour que cela soit un exemple pour d’autres et que cela ouvre la voie à une société sans discrimination salariale. Cependant, il reste beaucoup de travail afin de faire évoluer les mentalités, il y a encore des barrières à franchir et des préjugés à briser.
Le soccer féminin grandit et il trouvera la place qu’il mérite dans le futur. Dans cinq, dix, vingt ans peu importe. Le mouvement a démarré en 2016 et se poursuit toujours. Quand le jour J arrivera, cette équipe américaine pourra être fière d’avoir été le précurseur de cette lutte et d’avoir suscitée une nouvelle vocation non pas seulement sur le terrain mais aussi en dehors.
5 thoughts on “À Jeu Égal… Salaires inégaux : Le Combat de l’USWNT”