Le 19 Mai dernier, le St Pauli FC, club allemand mondialement connu pour ses valeurs progressistes, s’est peut-être cru à la maison en affrontant le Detroit City F.C en amical lors de leur tournée américaine. Spectacle pyrotechnique de couleurs et de fumées, drapeaux arcs-en-ciel côtoyant ceux à têtes de morts, les Allemands étaient sûrement surpris de voir plus de 7,200 supporters chanter 90 minutes durant, sous la pluie, alors qu’ils ne jouaient qu’une équipe semi-professionnelle de soccer nord-américain.
Seulement, ils ne jouaient pas contre n’importe laquelle des équipes amateurs américaines. Le Detroit City FC est un concept avec des valeurs et une communauté qui coexistent dans une ville au contexte difficile.
Detroit est une agglomération mondialement connue. Il y a déjà dix ans, la ville du Michigan était le symbole de la terrible crise financière qui s’abattait, petit à petit, sur les Etats-Unis. En Juillet 2013, elle devient la plus grande ville à se déclarer en faillite dans le pays, alors qu’elle était autrefois célébrée pour son industrie automobile. La « Motor City », berceau de marques emblématiques telles que Ford, Chrysler ou General Motors, les a vu peu à peu quitter leur ville de naissance jusqu’à la banqueroute des deux dernières citées. De nombreux emplois sont perdus, la ville connaît d’ailleurs une perte de la moitié de sa population en un siècle. Les images de ces banlieues aux maisons vides font le tour du monde. Seule la criminalité monte.
Cependant, ces dernières années, le phœnix renaît de ses cendres. En 2018, la ville est élue par le Lonely Planet comme la plus tendance à visiter de l’année. Des géants comme Google, LinkedIn et Microsoft s’y sont installés et les emplois reviennent. Mais la ville est instable comme décrit dans un article de Libération et les habitants redoutent que de nouvelles crises arrivent sans prévenir. Une seule chose reste constamment de leur côté ; le sport. En particulier, cette nouvelle équipe de soccer, lancée en 2013 et qui a pour logo une statue bien connue des habitants de la ville, The Spirit of Detroit.

Passion for the City, Passion for the Game
Représenter la ville était donc essentiel, dès les débuts du club. Le surnom du club, ‘Le Rouge’, vient d’ailleurs des racines françaises de la ville, ce qui explique non seulement les couleurs, mais aussi la fleur de Lys sur le blason.
Construit par un groupe de cinq amis, habitants de Detroit qui voulaient une plateforme pour représenter leur ville et aider la communauté via le sport, le Detroit City FC a commencé en NPSL, une ligue semi-amateur, en 2012. Les premières années sont peu professionnelles, les épouses s’occupent des ventes de billets tandis que les amis prennent en charge le côté administratif. Dans l’impasse au niveau des sponsors, l’équipe laisse les joueurs trouver eux-mêmes leur propre partenaire, ce qui donne à chaque rencontre des maillots avec des sponsors différents. Les saisons passent, de 2013 à 2015, et une foule croissante s’installe dans les tribunes. Le 11 Juillet 2014 lors d’un match face aux Michigan Stars, quasi 4000 supporters sont enregistrés, un record. En conséquence, Detroit City commence à chercher une nouvelle enceinte, plus grande que le Cass Technical High School (un stade de lycée) dans lequel ils sont. Le Keyworth Stadium (à Hamtrack, en banlieue de Detroit) est la cible principale, mais manque de chance, celui-ci est quasi à l’abandon et les travaux sont coûteux. Les dirigeants mobilisent alors leur fan et récoltent 750.000 dollars pour rénover « The Key », le tout en seulement deux mois ! En Mai 2016, ils s’installent dans leur nouvelle enceinte, en établissant un nouveau record en tribune, puisque 7,410 supporters viennent les soutenir – du jamais vu en quatrième division. Les années se succéderont et Detroit se fera définitivement un trou dans le paysage du soccer américain, en ayant aussi en 2018 leur plus grande affluence jamais enregistrée lors d’un amical face à Frosinone, joué devant 7,887 fans !

Whisky et Tetris
En effet, les fans sont (et de loin) la vitrine du club. Fiers de leurs couleurs, ils savent que le club représente avant tout les intérêts de la ville, comme le dit leur slogan « Passion for our city, passion for the game » (Passion pour notre ville, passion pour le jeu). Le club aide notamment les jeunes joueurs de la région à payer des soins en clinique si besoin après des accidents liés au soccer. Chaque saison, un match est d’ailleurs consacré à une association de charité, l’intégralité des revenus de ce match allant à ladite association.
Parmi ces fans les plus hardcores, ceux qui craquent des fumigènes durant 90 minutes sans s’arrêter, on y trouve notamment la Northern Guard Supporters, un groupe ouvertement antifasciste, anti MLS et en faveur des droits LGBT. Ses chants et danses sont devenus célèbres, hérités de clubs anglais, comme le « No one like us and we don’t care » (Personne ne nous aime, on s’en fout) et la célébration sous la forme de la musique de … Tetris.
Le succès sur le terrain importe en réalité peu pour un club comme Detroit City FC, qui évolue dans une division amateur. Avec 6000 fans en moyenne la saison dernière, ce sont ces chiffres qui font le tour du monde.
Pour remercier leurs fans et la communauté, les dirigeants du Detroit City FC ont notamment créé un club-house, lieu de rassemblement pour les abonnés de saison du club où on y trouve des terrains de five, où les équipes de jeunes s’entraînent parfois. Le club a aussi une ligue récréative pour ses fans pendant l’été. Mais l’exclusivité du club-house c’est aussi le Whisky officiel produit par le club, le City Gold Moonshine. Produit par le club, il est uniquement consommable dans ce club-house. « Nous sommes fiers d’avoir le titre de probable unique équipe en Amérique du Nord avec sa propre marque de Whisky » a tweeté le club lors de sa sortie.

Cependant, c’est le match face au St Pauli, le légendaire club allemand avec lequel ils partagent les mêmes valeurs progressistes, qui est probablement la plus grande fierté du Detroit City FC. Pouvoir attirer un club d’une telle envergure pour une équipe amateur étasunienne n’est pas une mission facile. Facilitée par le même équipementier, la rencontre fut diffusée en direct par Fox Detroit, une première dans l’histoire du club de la ville. Elle fut médiatisée dans de nombreux journaux footballistiques et les images des tribunes de la Motor City firent le tour du monde, envoyant un message fort.
Bientôt une Division Professionnelle avec des Clubs Historiques
Le match face à St Pauli était bien l’un des événements phares de l’histoire du club. Un plus récent cependant pourrait changer totalement son histoire. Depuis ses débuts, le DCFC joue en quatrième division, en NPSL, dans une saison qui va seulement de Mai à Juillet (afin de correspondre aux disponibilités des joueurs amateurs et de ceux des universités, libres à cette période de l’année).
La NPSL est une division amateur, mais elle a prévu de lancer une division professionnelle avec les plus grands clubs de la division. Ceux qui ont le plus de moyens financiers, ceux qui attirent le plus de foule où ceux qui représentent le mieux leurs communautés. Onze clubs sont confirmés pour la coupe inaugurale, la NPSL Founder’s Cup, qui aura lieu en août 2019, avant la toute première saison de NPSL Pro, en 2020. Sont de la partie, entre autres, le New-York Cosmos, le FC Miami, Chattanooga FC et le Oakland Roots. Le Detroit City FC affrontera donc de meilleurs adversaires et a déjà assuré qu’il paiera un salaire assurant des conditions stables à ces joueurs, ce qui souvent est un problème dans les divisions inférieures aux Etats-Unis. Le club aura un nouveau coach, puisque Ben Pirman est parti dans le nouveau club de Memphis en USL. Ce sera Trevor James, ancien scout en Europe et assistant-coach au LA Galaxy et au Portland Timbers. Un profil atypique mais logique, puisqu’il devra construire un effectif complet pour emmener son club au niveau professionnel, avec des vétérans de divisions inférieures – voire de MLS, des jeunes sortis d’universités et la crème de la crème des joueurs amateurs. De plus, le coach doit d’abord construire un effectif amateur, pour la saison de NPSL jusqu’en juillet, puis y ajouter les joueurs qui viendront, professionnels, en aout.
La NPSL pro permettra à ses clubs d’avoir plus de matchs dans une saison plus longue, pour mieux fidéliser la communauté avec un effectif stable et une saison qui durera toute l’année. C’est une belle plateforme pour représenter la ville et être reconnue comme l’unique équipe professionnelle de soccer de l’équipe de Detroit, le tout dans une division avec des clubs à l’aspect communautaire.
Pour en apprendre plus sur le Chattanooga FC, c’est ici et pour notre interview des fondateurs du Oakland Roots, c’est là !
La Menace MLS

Puisque en effet, depuis ses débuts le DCFC a une épée de Damoclès qui pend au-dessus de sa tête. La première division nord-américaine, la Major League Soccer, lorgne sur une possible expansion à Detroit depuis quelques années. Bien entendu, le modèle de ligue privée signifie que cette toute nouvelle franchise n’aurait rien à voir avec le DCFC. Don Garber, commissaire de la MLS, a longtemps assuré que le marché était trop gros pour être ignoré et les propriétaires de l’équipe NBA de Cleveland, Dan Gilbert et Tom Gores avaient proposé un projet qui a perdu devant ceux de Cincinnati et Nashville, faute d’un stade spécifique au soccer. Les prochaines expansions semblent être promises pour Sacramento et/ou St-Louis, mais des futurs ajouts ne sont pas à négliger et Detroit (tout comme Phoenix ou Charlotte) restent dans la course.
Pour en savoir plus sur les favoris à l’expansion, c’est ici !
Pour cette raison, la NPSL Founder’s Cup et la nouvelle division professionnelle en 2020 tombent parfaitement pour donner une certaine légitimité au Detroit City FC comme étant le seul club professionnel de la ville. Si sa popularité continue de grandir lors des prochaines années, elle pourrait même complètement décrédibiliser une prochaine tentative de la MLS.
Pour le moment, le Detroit City FC a en tous cas réussi sa mission : il est le club phare de la ville, celui auquel on pense directement lorsque l’on mentionne soccer et Detroit dans la même phrase. Il ne lui fallait donc plus qu’une nouvelle tribune pour exprimer son amour pour sa communauté au niveau national et la NPSL Pro, avec des adversaires plus reliés, lui permettra sans doute de devenir l’une des franchises les plus connues aux Etats-Unis.
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