Pour la Coupe du Monde Féminine en France, de nombreux journalistes américains ont fait le voyage jusqu’en Europe pour couvrir l’USWNT (équipe nationale étasunienne de soccer féminin). Culture Soccer en a profité et s’est entretenu dans un café parisien près de l’Arc de Triomphe avec Bobby Warshaw, analyste pour la Major League Soccer, et sa copine Cassie. Connu pour être un chroniqueur régulier dans le podcast de la ligue, Extra Time Radio, c’est aussi un ancien joueur du FC Dallas, qui a aussi connu une carrière internationale chez les jeunes étasuniens et dans les pays nordiques. A seulement 30 ans, c’est un jeune retraité qui nous parle de la MLS, des équipes nationales américaines mais aussi de l’évolution du soccer nord-américain et des médias qui l’entourent :
Antoine : Bonjour Bobby. Tu es en France pour la Coupe du Monde Féminine, qu’est ce que tu en penses jusque-là ?
Bobby : Tout va bien, mais j’avoue que je ne m’attendais pas à ce que ce soit si compliqué de regarder un match à la télévision. On essaye souvent de trouver quelque part, dans les bars notamment, mais c’est vraiment difficile, les matchs ne sont pas souvent diffusés. Aux Etats-Unis, n’importe quel bar consacré au sport aurait la Coupe du Monde à la télévision et nous nous attendions à la même chose ici. Nous oublions facilement que le soccer féminin a toujours un long chemin à faire et que les Etats-Unis sont vraiment (sur ce point) devant tout le monde.
A : C’est vrai, il n’y a vraiment pas un engouement gigantesque autour de la compétition ici à Paris. La veille du match Etats-Unis-Chili que j’ai vu au Parc des Princes, j’en parlais avec des amis et certains, pourtant grands supporters de soccer, ne savaient même pas que la compétition avait lieu en France !
B : Oui, nous pensions vraiment en arrivant que ce serait l’environnement parfait pour une Coupe du Monde, où ce serait assez populaire pour que les gens se prennent d’affection pour la compétition, sans être néanmoins dangereux.
Cassie : En vérité les américains sont les seuls que nous avons vu avec des maillots sur les épaules dans les rues de Paris, jusque-là.
B : C’est vrai, donc pour le moment, assez déçu de la promotion de l’événement, c’est dommage. Au moins les Américaines réalisent de superbes performances, même si c’est toujours difficile à dire contre des nations qui ne sont pas les meilleures [l’interview a lieu après la victoire face à la Thaïlande et au Chili, mais avant le duel face à la Suède], donc pour le moment ça se passe comme prévu.
Même si beaucoup l’ont oublié, la France a joué la Thaïlande il y a quelques semaines et n’ont gagné que 3-0. Le 13-0 c’est vraiment un super résultat, le match était très bon, pareil contre le Chili. Mais vu le niveau de ces deux-là pour le moment, les six points étaient assez prévisibles.
A : De plus, pour le moment aucune nation qui se voulait réelle prétendante au titre n’a réussi à montrer un niveau qui pourrait menacer les Etats-Unis.
B : C’est un sujet dont on parlait récemment, je crois que pour le moment, un des faits de cette Coupe du Monde c’est que les autres équipes ont globalement déçu et peut-être que certaines petites nations se sont révélées. C’est dû à une nuance tactique qui commence à exister dans le soccer féminin, qui permet à de plus petites équipes de lutter. Certes c’est vraiment ennuyant de voir des équipes comme le Chili et l’Argentine attendre sans le ballon que l’autre équipe attaque, mais c’est encourageant car nous avons rarement vu dans le soccer féminin ces aspects tactiques et ça fait grandir le sport. Mais c’est vrai, en dehors des Etats-Unis aucune autre nation semble être au-dessus de son niveau habituel.
A : Ce qui est étonnant vu qu’avant la compétition, la presse parlait notamment du niveau global des autres nations qui rejoignaient petit à petit les Etats-Unis, qui ne devaient plus être la première nation mondiale. Il semble finalement que même si les autres nations s’améliorent, les Etats-Unis aussi, dans le même temps !
B : Je ne sais pas si elles se sont améliorées tant que ça en vérité. Sans être critique envers l’équipe actuelle je ne sais pas si elles sont bien supérieures aux générations précédentes, c’est juste que l’écart de niveau est tellement grand que même si les autres nations reviennent en force, il y a toujours cette distance qui existe.

A : Lorsque vous marchez à Paris au Trocadéro, cette grande place en face de la Tour Eiffel, on aperçoit les locaux de Fox qui a mis son studio pendant la compétition juste en face de la Dame de Fer. Pensez-vous que la couverture médiatique serait la même pour l’équipe masculine ?
B : Pour la Coupe du Monde 2018, même sans les Etats-Unis, Fox avait un plateau en pleine Place Rouge !
A : C’est vrai. J’essaye de comparer avec les médias européens : si la France jouait la Coupe du Monde Féminine aujourd’hui aux Etats-Unis je doute que la couverture médiatique serait aussi grosse que celle que Fox attribue aux Féminines aujourd’hui.
B : Je pense que ce serait la même couverture. On peut penser que les féminines sont meilleures, que les hommes sont plus populaires, je ne sais pas si c’est la vérité mais Fox fait vraiment un effort pour avoir la même couverture médiatique pour les compétitions.
A : Donc en général, les médias américains accordent la même couverture à l’équipe masculine et féminine ?
C : Je ne suis pas dans l’industrie mais personnellement je ne pense pas. Certains médias ne mentionnent même pas la Coupe du Monde Féminine.
B : Pour moi il y a deux questions. Si nous parlons des grosses compagnies comme Fox, ESPN, le New-York Times, ils traitent la compétition comme si c’était une Coupe du Monde masculine. Je ne sais pas si c’est exactement le même nombre d’articles et d’heures à l’antenne mais en tous cas ça paraît similaire. Après, les petits blogs indépendants, les sites qui se consacrent au soccer, ils en parlent définitivement moins que lors de la Coupe du Monde Masculine.
[Il regarde Cassie] tu es d’accord ?
C : Je ne sais pas pour les gros médias, je pensais plus à la perception générale du grand public.
B : Les fans préfèrent définitivement regarder le soccer masculin. Mais je suis convaincu que la crème de l’industrie travaille durement pour montrer qu’ils traitent les deux événements de la même manière.
A : Pour un Américain qui ne regarde pas du soccer régulièrement, il serait plus tenté par l’équipe masculine ou féminine si elles jouaient en direct à la télévision, sachant que l’équipe féminine a plus d’histoires et de trophées ?
C : Ce serait l’équipe masculine. Cela étant, nous habitons à New-York avec de nombreuses personnes venant de pays différents et de nombreuses communautés. Donc quand la Coupe du Monde arrive, même si les Etats-Unis ne jouent pas, les supporters de chaque pays sont dans tous les bars.

A : Parlons maintenant justement de cette équipe masculine. Ils jouent leur premier match de Gold Cup ce soir. Fais-tu confiance à Gregg Berhalter et son travail ?
B : Oui, j’ai énormément confiance en Gregg Berhalter et je pense que c’est un excellent coach. C’est un excellent coach au niveau club. Je pense que si nous lui donnons aujourd’hui n’importe quelle équipe en MLS, il la gérera sans problème, il montrerait son talent. Ce qui m’inquiète un peu c’est qu’il semble se comporter comme un coach de club, alors que le fonctionnement est bien différent d’une sélection.
Un autre problème, c’est que je ne suis pas convaincu que le roster soit meilleur depuis 2008 et 2010, avec Bruce [Arena] et Bob [Bradley]. Je pense que si Bob voyait ce groupe, il jouerait comme il le faisait, ce qui lui valait de nombreuses critiques à l’époque. Beaucoup se souviennent de lui comme un entraîneur lent, défensif, pragmatique, ennuyant et il selon Bob, c’était en partie à cause du profil de ses joueurs. Gregg [Berhalter] a pris plus ou moins les mêmes profils. Je ne pense pas que Paul Arriola ou Jordan Morris soient de pires joueurs que Josh Wolff ou Edward Lewis en 2006. Mais Berhalter tente de jouer différemment, un style qui, peut-être, nécessite de meilleurs joueurs.
A : Le problème n’est donc pas Berhalter, mais plutôt les 23 qui sont loin du niveau des ambitions de Berhalter ? Une des faiblesses qu’on lui donne c’est notamment cette génération perdue entre les jeunes de 20-21 ans et les vétérans de 28 ans et plus.
B : Je pense que le groupe est assez bon… Le problème n’est ni Berhalter, ni le groupe en réalité. C’est que Berhalter doit impérativement faire mieux avec ce groupe, car l’état du soccer et des fans de l’équipe américaine dans ce pays est dans une spirale si négative qu’il est impossible de jouer la contre-attaque par exemple. Il faut inspirer, il faut du beau jeu, des ambitions pour faire rêver le public.
Il fait donc les bonnes décisions mais son travail est rendu bien plus compliqué par le contexte dans lequel nous sommes… Avec les Pulisic, McKennie, nous ne pouvons pas dire que le groupe est mauvais, peut-être qu’on n’a juste pas les joueurs adaptés au système que Berhalter veut implanter.
A : Qu’est ce qu’il faut que cette équipe américaine fasse pour regagner la confiance de ses fans ? La Gold Cup c’est bien joli mais même en cas de victoire, les fans en auront-ils quelque chose à faire ?
B : Non et c’est un problème. Peut-être qu’on ne peut rien faire, qu’il faudra juste attendre la prochaine Coupe du Monde et se traîner ce poids jusqu’en 2022.
Après, même pour le grand public, je pense qu’une victoire en Gold Cup, contre le Mexique par exemple, amènera beaucoup d’enthousiasme. Un Etats-Unis-Mexique par exemple c’est vraiment souvent une rencontre passionnante qui déchaîne les passions.
A : On parle souvent de la suprématie de l’équipe mexicaine dans l’esprit des fans de soccer aux Etats-Unis.
B : Bien entendu, tout est supérieur pour l’El Tri (surnom de l’équipe nationale mexicaine) aux Etats-Unis. L’affluence dans les stades, les audiences télévisées… L’équipe Mexicaine est la plus grande en Amérique.
Plus de 18 joueurs de #MLS sont dans le groupe étasunien pour jouer face à la Guyana ce soir en #GoldCup2019 !
Les #USA entrent dans la compétition dans le Groupe D ! pic.twitter.com/UXXxSTRwqq— Culture Soccer (@CultureSoccer) 18 juin 2019
A : Un des problèmes pour regagner cette popularité perdue pour les Etats-Unis, ce n’est pas un manque de leader ? Les Donovan ou Dempsey sont tous partis maintenant.
B : Clairement, de nombreux joueurs disaient que lorsqu’ils étaient sélectionnés sous Bob Bradley ou dans les premières années de l’ère Klinsmann, quand tu arrivais il y avait des hommes que tu regardais d’en bas. Les Bocanegra, Landon [Donovan], Tim [Howard], Clint [Dempsey]… Non seulement ils étaient de bons joueurs mais aussi des mecs cools, qui donnaient une culture importante à l’équipe. Tu avais aussi six ou sept joueurs qui, quoi qu’il arrive, étaient des titulaires assurés, ce qui amène vraiment de la stabilité à une équipe. Quand tu arrivais, tu étais là pour lutter pour une place de titulaire qui était très dure à obtenir mais tu étais aussi heureux d’être dans cette équipe pendant la compétition. On a peut-être perdu ça. Michael [Bradley] par exemple est un bon leader, en tous cas je l’imagine vu que je n’ai jamais joué avec lui, mais il a probablement besoin de quelqu’un pour être son pendant plus sympathique et tranquille, car il est vraiment intense. Aussi il semble vraiment être le seul joueur avec cette mentalité de vétéran, personne d’autre ne l’a, excepté peut-être Jozy [Altidore]…
A : Quels sont les objectifs pour l’USMNT ? Neuf points en groupe suivis d’une finale face au Mexique ?
Oui. Je pense que si on joue bien face au Mexique ce serait toujours mission accomplie mais oui. Tu sais, quand j’étais encore en formation contre des nations d’Amérique Centrale – sans manquer de respect au Guatemala, à la Jamaïque, au Nicaragua ou aux autres nations Concacaf – les Etats-Unis gagnaient à chaque fois 2 ou 3 à 0, sans problème. Si ce n’était pas le cas, c’était un échec total. Donc comme je le disais, Berhalter a une mission compliquée mais il devrait gagner tous leurs matchs voire la Gold Cup.
A : Il a un groupe avec 18 joueurs évoluant en MLS, à la suite des blessures de Holmes et Adams. Est-ce un problème de compter sur tant de joueurs évoluant dans ce championnat et surtout, est-ce un symptôme de faiblesse de la sélection ?
B : Non puisque la MLS est définitivement devenue une meilleure ligue.
A : Tu vas à l’encontre de l’opinion de nombreux supporters nord-américains sur les réseaux sociaux !
B : Oui mais je pense qu’ils ont tort : si tu parle de développement de joueurs par exemple, nous nous sommes vraiment améliorés. Regarde la Coupe du Monde U20, lorsqu’on a battu la France !
Je ne dis pas que cette équipe battrait celle des U20 d’il y a 20 ans, je ne sais pas s’ils sont meilleurs par exemple que la génération 2005 et 2007. En revanche, il est clair que la deuxième ou troisième équipe exploserait les anciennes équipes B ou C, avec une énorme différence de niveau ; je le sais, je faisais partie de l’équipe B U20. Aujourd’hui, nous avons plus de profondeur, nous avons plus de joueurs « moyens », sans avoir forcément plus de joueurs stars.

A : Vous avez moins de points faibles, en quelque sorte ?
B : C’est ça. Tout le monde parle de Christian [Pulisic], McKennie, Sargent mais nous avons littéralement toujours eu ces joueurs. Depuis 1995, nous avons eu des talents qui jouent en Premier League ou en Bundesliga. Nous avons toujours eu de belles générations dorées mais qui n’ont pas forcément réussi à s’imposer par la suite.
Donc pour revenir à la première question je ne pense pas que nous ayons un problème avec trop de joueurs MLS puisqu’aujourd’hui grâce à ces clubs, nous pouvois avoir de meilleurs talents développés.
A : De plus, la MLS leur permet de jouer quelques précieuses minutes.
B : Exactement. Regardez votre équipe française lors de la Coupe du Monde U20, ils avaient quasiment tous au moins une cinquantaine de matchs professionnels dans l’une des deux premières divisions en France. Nous n’avons pas encore ça aux Etats-Unis et la MLS doit aider, mais ça vient.
Et il y a un autre souci avec ça : prenez un club comme Le Havre. S’ils ne vendent pas un joueur, ils n’ont plus d’argent et peuvent rapidement avoir des soucis financiers. Tous les ans, ils doivent vendre un joueur. Quand ils ont envoyé Riyad Mahrez à Leicester par exemple, ils étaient obligés de le vendre jeune en Angleterre car il n’y avait littéralement pas d’autres choix financièrement et pour cela, ils étaient obligés de le faire jouer et de le lancer très jeune, même s’il n’était pas prêt.
En MLS, nous sommes loin d’avoir ce problème. Nous ne sommes pas poussés financièrement à vendre nos joueurs et donc nous n’avons pas cette incitation économique qui nous oblige à les jeter dans le grand bain. Même si ça change depuis la venue d’Atlanta United en MLS.
A : Sauf que ça créé une ligue à deux vitesses, avec des géants comme Atlanta qui peuvent lâcher quinze millions sur des jeunes et la MLS, où tout le monde est capable de gagner, s’effrite.
B : Certes, mais ça oblige certains clubs à miser sur les jeunes. A Philadelphie les Trusty ou McKenzie vont devoir être vendus pour un jour pouvoir acheter de meilleurs joueurs et être dans les meilleurs de la ligue.
A : C’est ce qu’essaye de faire Dallas en pariant avec la jeunesse, mais ils vont réinvestir chez les jeunes, pas dans des vedettes étrangères.
B : Oui, comme lorsqu’ils ont vendu Chris Richards [un jeune sorti de l’académie, au Bayern Munich] … D’ailleurs il ne jouait même pas avec Dallas avant de signer au Bayern. C’est plus simple de vendre quelqu’un avant qu’il ne sorte de l’académie, comme lui. Prenons Paxton Pomykal, qui est probablement leur joueur le plus intéressant chez les jeunes. Ils vont probablement le vendre mais ils seront incapables d’avoir le prix qu’ils souhaitent parce-que personne n’achète des américains de cet âge-là à un prix correct. Dallas a donc bien fait de vendre Richards quand il était encore à l’académie. Regarde ce qu’ils ont fait à Kellyn Acosta, qu’ils auraient pu vendre en Europe mais comme le prix était trop bas, ils l’ont gardé pour finalement le vendre moins cher en MLS et ça a fait du mal à sa carrière.

A : Pour continuer justement sur la jeunesse, tu viens toi de la Superdraft où tu étais 17ème choisi en 2011. Quel futur tu vois pour la draft ?
B : Je n’ai pas vraiment d’opinion là-dessus… Moi je suis un fan de sports américains et malgré tous les soucis, j’adore les drafts. J’y fais attention. Par exemple en baseball, la draft a peu d’importance mais je suis un fan de Philadelphie, donc le tour de la Draft, je regarde en ligne qui ils ont choisi. Je fais ça avec toutes les équipes de Philadelphie, quelque soit le sport, même si je ne les suis pas de près. Les drafts sont juste marrantes.
A : Elles font partie du folklore qui entoure la scène du soccer américain.
B : Exactement. Je sais que la plupart des talents ne passent plus par la Draft mais comment nous gérons ceux qui sortent du soccer universitaire sans ? Il faudrait de toutes manières créer un autre événement, donc bon… Je préfère qu’on la garde.
A : En Europe nous avons souvent cette image clichée des joueurs de foot peu éduqués, ce qui en fait une cible facile de moqueries pour le grand public. Toi avant de faire la Draft tu étais à Stanford pour y faire du soccer universitaire, une des meilleures universités du monde. En sortant d’une telle éducation, y-a-t-il un choc en arrivant dans un vestiaire où la majorité des joueurs ont arrêté les études jeunes ?
B : Définitivement. Dans mon équipe à Dallas, sur 27 joueurs nous n’étions que deux diplômés.
A : On a vu notamment l’année dernière deux ou trois joueurs du Houston Dynamo prendre leur retraite avant leurs trente ans, tous sortaient de grandes universités, comme Andrew Wenger ou Brandon Vincent.
B : Oui… Ce que les gens ne comprennent pas c’est qu’il est très difficile d’être un joueur professionnel de soccer. C’est une carrière dure et si tu n’as pas envie de passer par tant de complications, il est plus simple de faire un autre travail surtout quand tu as acquis des compétences pour avoir un salaire conséquent à l’université dans un autre domaine. Un des joueurs dont tu parlais, Andrew Wenger, il est parti faire une Business School et un autre, Brandon Vincent, est parti faire de la finance. Pourquoi ne pas le faire si c’est peut-être plus simple qu’une carrière dans le sport ?

A : La draft perd en importance, les équipes MLS améliorent leur centre de formation, leurs équipements, plus de jeunes émergent… Est-ce réellement la transformation d’une ligue de pré-retraite en une ligue de de vente ?
B : Je ne pense pas que la MLS va simplement devenir une « selling league » [ligue qui vend ses joueurs à de meilleures ligues]. C’est une dénomination qu’on lui appose aujourd’hui mais ça ne sera jamais que ça. Jouer avec des jeunes a deux avantages. Premièrement, c’est sympa. Les gens adorent quand tu joues avec des jeunes joueurs, ça créé du spectacle et deuxièmement, ça apporte une aide non négligeable aux équipes nationales canadienne et américaine.
Après tu sais, via les académies tu rends les joueurs de 17 ou 18 ans meilleurs. Mais après, il faut pouvoir les faire jouer. Peu importe ton réel niveau, la plus grosse progression sera faite entre 17 et 22 ans, lorsque tu joues. Tu parlais de cette génération perdue dans notre équipe nationale un peu plus tôt, c’est tout simplement car aucun d’entre eux ne jouaient des minutes en professionnel à 18 ans. Si tu compares avec l’équipe d’Italie en U20, la plupart joue en Série C ou B. C’est peut-être moins bon que le niveau de la MLS mais au moins ils jouent et s’aguerrissent.
A : Mais ce mouvement du « Play your Kids » [Joue tes jeunes] qui est en vogue en MLS, qu’en penses-tu ? Peut-être que les médias adorent mais le fan de soccer dans le stade ne préférait-il pas voir plutôt David Villa qu’un jeune ?
B : C’est une excellente question et laisses moi te dire une chose sur ce phénomène du Play Your Kids : quand j’en parle avec mes collègues, je le critique souvent car je le trouve malhonnête. Je comprends pourquoi ils le défendent, mais il faut voir le côté humain. Si une bonne partie de ces joueurs ne sont pas sur le terrain, c’est tout simplement car le coach ne veut pas mettre sa carrière en danger en jouant des jeunes qui ne sont pas prêts. Les gens se plaignent, disent « joue tes jeunes » et ça m’énerve parce-que j’ai connu le haut-niveau, le soccer professionnel et ce n’est pas facile, jouer des gens de 18 ans c’est un risque. Luchi Gonzalez, le coach de Dallas, m’a dit un jour « Tu ne penseras jamais qu’ils sont prêts à jouer, tu dois juste prendre la décision de le faire en tant que coach ». Tu dois le faire même si tu ne les sais pas prêt. Ce qui est un argument plus logique selon moi que dire que ces jeunes le méritent, qu’ils sont prêts, etc.
A : … Puisqu’on ne le sait jamais tant qu’ils ne sont pas sur le terrain
B : Totalement. Et nous demandons aux coachs de mettre leur poste de rêve, peut-être leurs ambitions dans la vie, sur la ligne pour tenter quelque chose avec des jeunes.
Par contre, quel était la seconde partie de la question ? J’ai l’impression que je me suis encore un peu perdu.
A : Si les fans allaient répondre positivement à ce changement de stratégie, où s’ils préféraient plutôt les vedettes âgées.
B : Ah oui. Alors je n’ai pas une réponse exacte à la question car elle peut être répondue de différentes manières. Voilà comment j’y pense. Regarde comment la MLS est structurée : GAM, TAM, Joueurs Désignés, argent d’allocation… Il y a un effort calculé – en tous cas on dirait – de la part de la MLS d’attirer des joueurs TAM, comme si le fan voulait plus voir quelqu’un comme… Leandro Gonzalez Pirez, disons, plutôt que Miles Robinson. Après, tout le monde voudra voir les David Villa, Ibra ou Thierry Henry, c’est certain. Mais la question c’est s’ils préfèrent voir Leandro Gonzalez Pirez ou Miles Robinson. Le fan lambda est-il plus attiré par la TAM et les joueurs d’expérience qui amènent un progrès marginal dans la qualité de jeu, ou voir un jeune ?
Amener Gonzalez Pirez, Maxi Morales, Roman Torres… Ils rendent ton équipe meilleure, c’est ce que veulent les fans et avec un peu de chance, ils rendent les autres joueurs meilleurs, en particulier les jeunes formés au club. Donc je comprends pourquoi la ligue ne semble finalement pas laisser autant de place que ça aux jeunes. Après, peut-être que les fans cherchent aussi des jeunes. Après tout ils peuvent déjà observer des grands talents en Premier League à la télévision, nous pourrions donc leur donner des jeunes à observer en MLS.
A :Puisque tu parles de Premier League, dans certaines boutiques aux Etats-Unis, on trouvait plus de maillots de clubs britanniques plutôt que de franchises américaines. Est-il possible que le fait que certaines franchises ne soient pas possédées par des américains soit un facteur ? Je pense aux deux clubs new-yorkais, les Red Bulls et City, qui appartiennent à des clubs étrangers.
B : [il hésite] C’est en effet un sujet dont je parle parfois avec des amis. A quel point c’est important que nous ne sommes pas les leaders dans notre propre organisation. Mais je n’ai pas de bonnes réponses…

A : Parlons maintenant des médias. Lorsque nous, Culture Soccer, partageons un article de MLSsoccer.com sur les réseaux sociaux, il arrive que notre audience européenne soit surprise de voir que c’est la ligue elle-même qui partage ses propres informations. Vous partagez parfois des rumeurs de transferts qui finalement n’aboutissent pas, découvertes par des journalistes pour la MLS !
Qu’en penses-tu ?
B : C’est une bonne question et nous en parlons souvent entre nous. Est-ce une bonne chose que de couvrir sa propre organisation ? Nous faisons en tous cas très attention avant de publier des rumeurs de transferts. Mais si nous ne le faisions pas, qui le ferait ?
A : Il y a cinq ans vous étiez probablement les seuls mais aujourd’hui il y a ESPN, The Athletic, Fox…
B : Pas vraiment, ils font certainement des commentaires et de l’analyse mais nous sommes les seuls à publier des résumés écrits, des vidéos des actions des matchs… Donc c’est étrange mais c’est une vérité : nous sommes les seuls à le faire. Parfois oui, la croissance du soccer aux Etats-Unis rend notre travail obsolète mais c’est rare. La MLS veut qu’on arrive à un point où elle n’a plus besoin de produire ses propres informations, c’est sûr en tous cas.
A : En tant que journaliste, en quoi est-ce différent de travailler pour la MLS ?
B : Ça ne change quasiment rien, mais je dis quasiment et non pas simplement rien. J’ai deux points de vue sur le sujet : le public pense parfois qu’on est limité dans ce qu’on dit, mais pas du tout. Surtout dans le podcast. En même temps, il y a probablement des choses qu’on ne peut pas dire mais nous ne sommes pas les seuls. Regarde ESPN, ils ont les droits de la NFL [première division de football américain], ils ne peuvent pas juste insulter un propriétaire de franchise et moi non plus. Je ne peux pas juste critiquer un coach personnellement mais plus sa vision des choses, sa stratégie.
Donc nous ne pouvons pas dire n’importe quoi mais personne ne le peut réellement.
En même temps, je m’auto-censure aussi pas mal, car je sais que je vais voir les personnes que je critique. Les entraîneurs, joueurs, propriétaires… Si je les critique je sais que plus tard je vais les voir à des événements et je vais devoir les confronter. Ça me force à être meilleur dans mes analyses et ne pas critiquer facilement mais approuver des preuves concrètes, articuler, analyser et tenter de faire de meilleures critiques.

A : Tu es en plus un ancien joueur ce qui modifie probablement la manière dont tu critiques les acteurs en MLS. Tu jouais il y a 5 ou 10 ans quand la couverture médiatique autour de la MLS était bien plus réduite. Tu te sentais scruté à Dallas ?
B : Il n’y avait quasiment rien si tu oublies MLSsoccer.com.
Par contre je veux revenir sur un détail, en écoutant Extra Time Radio [le podcast de la MLS] tu trouves que parfois, nous modifions nos réponses ?
A : Si je dois donner un reproche c’est qu’il y a parfois des informations massives du côté des divisions inférieures que vous n’abordez pas. Je me souviens que je t’avais entendu parler du Detroit City FC [un club massivement populaire aux Etats-Unis en ligue semi-professionnel, à découvrir ici] et j’avais été étonné car vous n’en parlez jamais. Pourtant, entre Detroit, Chatanooga, le Cosmos, ces clubs anti-MLS sont aussi de superbes histoires.
B : Je vois mais ça revient à ce que je disais un peu plus tôt sur la Coupe du Monde Féminine. Nous n’en parlons pas trop dans le podcast puisque notre spécialité, c’est la MLS. Les fans écoutent le podcast pour ça. Si nous commençons à parler des divisions inférieures, le podcast change totalement. Le sport croît en popularité, nous devons laisser les fans en parler et créer leur propre contenu. Nous sommes peut-être le podcast le plus populaire aux Etats-Unis mais si nous couvrions tout ce qui se passait dans le soccer américain, personne n’aurait de la place pour émerger.
Mais bien entendu, on suit ce que fait Chattanooga par exemple. Mais nos auditeurs écoutent le podcast pour qu’on parle de Major League Soccer. C’est la même chose pour la Coupe du Monde, nous voulions la couvrir et c’est un crève-cœur de ne pas le faire, mais nous ne voulions pas s’imposer sur la conversation. Certains parlent plus des féminines que nous et ont plus de légitimité pour le faire. Nous ne voulons pas leur voler l’espace médiatique. Tu peux penser que si nous ne parlons pas des féminines ou des ligues inférieures, nous limiterons sa croissance, mais nous pensons le contraire : éviter le sujet permet à d’autres, plus informés, d’en parler.
A : C’est une excuse valable. Après je dois avouer que récemment vous avez pas mal critiqué l’US Open Cup, la coupe nationale américaine, j’étais surpris de toutes vos reproches.
B : Puisque tu penses que nous sommes souvent trop optimistes ?
A : Oui, surtout Andrew Weibe, le présentateur, mais ça fait partie de son rôle.
B : Oui… Déjà, c’est le rôle du présentateur d’avoir sa vision optimiste contestée par les consultants. Mais surtout, notre boulot c’est de servir les fans. Si tu es par exemple un fan de Montréal et qu’on se moque des Red Bulls ou de Vancouver, c’est marrant pour toi, mais tu viens écouter l’émission pour qu’on donne une bonne expertise sur l’Impact, c’est normal. Donc si nous disons n’importe quoi sur Montréal, tu n’écouteras pas le reste. Donc nous donnons parfois de l’optimisme, mais c’est pour servir les fans et leur donner une raison d’espérer.
A : Dans ce cas, quand est-ce que tu donnes aux fans ce qu’ils veulent entendre et quand dis-tu la pure vérité ?
B : Nous ne cachons jamais la vérité, nous voulons juste penser comme un fan. Le fan ne veut pas que l’on dise que sa saison est terminée après seulement 20 matchs, il veut qu’on lui donne une raison de croire en son équipe.
A : Pour revenir à l’US Open Cup, comment tu penses qu’elle doit être restructurée ?
B : Je n’aime pas ceux qui disent comment elle devrait être faite, ce que je vois pas mal dans les médias. Beaucoup veulent arrêter les limitations géographiques et veulent voir Portland affronter Richmond par exemple mais des idées aussi évidentes… Tu ne penses pas que si elles étaient aussi évidentes, la MLS le ferait ? C’est la même chose pour les gens qui regardent le calendrier MLS et qui disent « c’est naze, changez-le ». La MLS le change et tout le monde hurle « mais pourquoi vous donnez quatre mois de vacances ! » ; je croyais que vous vouliez du changement !
A : Dans cinq ans, quand Miami, Sacramento, St Louis et d’autres arriveront, la couverture médiatique de la ligue changera ?
B : J’espère que les nouveaux accords de diffusion seront plus avantageux pour la ligue en tous cas. Et nous espérons voir l’émergence de plus en plus de petits médias indépendant comme vous !

A : En parlant de futur, quel point de vue tu as sur les prochaines expansions à venir : Miami, Nashville, Austin, tu penses qu’ils suivront les succès de ces dix dernières années comme Seattle, Atlanta et LAFC ?
B : Aucune idée mais après tout, c’est ça Atlanta. Personne ne s’y attendait. Personnellement je m’attendais à un raté. Beaucoup pensent que Nashville sera un échec mais on n’est jamais à l’abri d’une autre surprise. J’ai aussi eu la chance de parler avec un acteur principal de l’Inter Miami et bien que ça ait mal commencé, ça a l’air incroyable maintenant, les plans pour les structures d’entraînements sont dans les meilleurs que j’ai pu voir dans ma carrière.
A : Lorsque tu as commencé ta carrière en 2011 avec le FC Dallas, c’est exactement lorsque la ligue s’est étendue à la région de la Cascadia avec Seattle en 2009 et en 2011, Vancouver et Portland. Ils ont amené, après plusieurs années de doutes, un réel engouement populaire et économique. D’un point de vue d’un jeune joueur as-tu vu cette ligue changer ? Lorsqu’en 2011 tu es drafté, est-ce que tu te dis que tu arrives dans quelque chose de bien plus immense que tu ne le crois ?
B : C’est compliqué à dire puisque la ligue a constamment grandi après les disons 8 ou 10 premières années de galère. Vois-tu où ça a complètement changé ?
A : Je pense que c’est l’arrivée des équipes de Cascadia. Portland a amené des fans locaux et bruyants, Vancouver et Seattle des stades ultra-modernes avec pour ces derniers des foules de plus de 40.000 spectateurs et des stars. Les dirigeants d’Atlanta ont d’ailleurs dit avoir observé ce qu’a fait Seattle avant d’entrer en MLS et puisque LAFC s’est inspiré d’Atlanta, c’est le modèle de Seattle qui est suivi… Mais c’est un fan des Sounders qui parle !
B : [il rigole] En réalité tu as plutôt raison ! Mais je pense que les trois prochaines expansions iront chacunes de leurs côtés.
A : Dans le futur aussi, tu penses que la MLS devrait s’européaniser comme elle semble faire aujourd’hui, avec plus de flexibilité au niveau du cap salarial ou est-ce qu’elle devrait continuer à avoir cette partie folklorique et ses règles très rigides de joueurs désignés ?
B : Excellente question. En ce qui concerne les règles, je ne sais pas… Je trouve que ce qui est étrange c’est que les General Managers en MLS n’aiment pas les règles de la ligue. Le fait qu’elles les ennuient m’énerve. Franchement, c’est comme un jeu de société : le plus de règles, le plus impressionnant est le succès. Tout le monde dit que les règles de la ligue sont stupides mais regarde ce qui se fait en MLB [première division de baseball], c’est encore pire. Dans ce cas tous les sports américains sont stupides.
A : Dans les aspects compliqués des divisions américaines, il y a aussi les divisions inférieures comme NISA, la Founder’s Cup… Vont-elles s’allier à un moment ?
B : [répond rapidement en rigolant] Est-ce que tu me demandes si je pense qu’il va y avoir de la promotion relégation à un moment ?
A : [rigole] Non ! Plus si les ligues inférieures vont un jour être structurées, avec une seule deuxième division par exemple, que ce soit avec ou sans la MLS.
Mais il est vrai qu’aux Etats-Unis avec les ligues privées, vous n’aurez jamais de toutes petites équipes de villes peu peuplées qui pourraient se battre pour le titre. Même des clubs populaires auraient du mal.
Est-ce que ça peut faire du mal à la croissance du sport sur le long-terme ?
B : On parle beaucoup de ces soucis mais certains problèmes ne sont jamais abordés. Le débat est complètement sabordé par des arguments qui n’ont aucun sens. Par exemple imaginons que Chattanooga veut construire un stade de 20.000 personnes. Aux Etats-Unis tu as besoin d’un prêt pour le faire, mais comment tu l’obtiens puis tu le rembourses si tu ne vas pas jouer professionnel l’année d’après ? Ce genre de problèmes n’est jamais mis sous la table…
A : Après ce qui fait le charme du football c’est de parfois d’avoir une petite ville, dans un stade vétuste, qui arrive et se bat face à de grands clubs grâce à une génération dorée par exemple, ou une excellente stratégie sportive.
B : Je suis complètement d’accord. C’est là un des avantages de la promotion relégation mais je ne me dis pas contre ou pour – je comprends les arguments mis sur la table. Le problème c’est que personne n’a de conversations intelligentes dessus ! D’un côté, certains hurlent pour sa mise en place et de l’autre, les gens disent « yo dude shut the fuck up » [hey mec, ferme ta gueule] : tout le monde veut avoir une conversation dessus mais tout le monde est insupportable et ça rend le débat impossible.
De mon côté, je dirai que oui j’adorerai voir Chattanooga en MLS. Mais après qu’est ce qu’il arrive lorsque le LA Galaxy se fait reléguer il y a deux ans ? Pas de Zlatan ? Est-ce vraiment quelque chose qui fait avancer le soccer américain ?
Regarde Atlanta. Cette année ils ont mal commencé, imagine s’ils se faisaient reléguer. Athur Blank, après avoir investi des millions et des millions pour le stade et l’équipe, doit soudain remettre 20 ou 30 millions en USL pour remonter en MLS ? Si à la place c’est Saint-Louis qui monte, tu pars en plus une grosse part d’audience car le public regardait Atlanta- Donc toute la ligue perd de l’argent.
Mais en effet, c’est dommage que par exemple le Cosmos ne puisse pas dépenser de l’argent alors qu’ils ont un propriétaire massivement riche, puisqu’ils sont coincés et ne pourront jamais accéder à la MLS… Les ambitions sont limitées.
Conversation enrichissante avec @bwarshaw14, consultant pour la MLS et ancien joueur du FC Dallas, dans un café parisien à l’occasion de la Coupe du Monde !
Interview fleuve à venir bientôt sur @CultureSoccer pic.twitter.com/28mGdum1uR— Antoine Latran (@AntoineLatran) 19 juin 2019
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