Les Rivalités en MLS Preuves d’une Culture Soccer

La Major League Soccer est une ligue assez jeune comparée à ses cousins européens ou sud-américains. Créée en 1994 et lancée deux ans plus tard, elle a très vite compris qu’un bon moyen de dynamiser ses audiences et attiser l’intérêt de ses supporters était de créer, ou du moins de forcer, des frictions entre différentes équipes pour en faire des derbys.
Le phénomène est loin d’être nouveau ; en France la chaîne de télévision Canal+ avait par exemple lourdement appuyé une rivalité Paris-Marseille, pourtant peu médiatisée avant les années 90, pour attirer le public. À ses débuts, la MLS en a fait de même avant de changer de stratégie. Aujourd’hui, elle se concentre sur son système d’expansion afin de fomenter des rivalités géographiques.

Cette saison comme dans le passé, la MLS organise une semaine spéciale rivalité, sponsorisée (comme l’est de nombreuses choses dans les sports américains) par une célèbre marque de bière et nommée Heineken Rivalry Week, qui aura lieu entre le 21 et 25 août.
Pour l’occasion, nous avons décidé de nous concentrer sur l’évolution des rivalités en trois parties ; les mineures, forcées par la ligue ou pas encore bien installées ; celles qui ont évolué avec le temps et les expansions et les rivalités historiques qui se sont greffées à la MLS mais qui existaient déjà avant.
Découverte du paysage américain des derbys.

Calendrier de la Rivalry Week 2019 :

Mercredi 21 Aout :

DC United vs New-York Red Bulls, 20HQ/2HF
Los Angeles FC vs San José Earthquakes, 22h30HQ/4:30HF

Vendredi 23 Aout :

Orlando City SC vs Atlanta United, 20HQ/2HF
Portland Timbers vs Seattle Sounders, 22HQ/4HF

Samedi 24 Aout :

New-York City FC vs New-York Red Bulls, 19HQ/1HF
Toronto FC vs Impact de Montréal, 19h30HQ/1h30HF
Real Salt Lake vs Colorado Rapids, 22HQ/4HF

Dimanche 25 Aout :

FC Cincinnati vs Columbus Crew SC, 18HQ/00HF
FC Dallas vs Houston Dynamo, 20HQ/2HF
Los Angeles FC vs Los Angeles Galaxy 22h30HQ/4h30HF

Via Complex.jpg
La première saison en MLS : seulement 10 équipes et peu de rivalité (Photo via Complex)

Les rivalités fomentées par la MLS

A ses débuts donc, la Major League Soccer avait déjà soif d’une part d’histoire, de culture et d’affiches spéciales qui pourraient donner du spectacle en tribunes et sur le terrain. Pour cela, elle a d’abord créé des « trophées » se jouant sur une ou deux rencontres de saison régulière, sans parfois de réelles raisons d’être. Par exemple, Dallas et Chicago dans les toutes premières années avaient connu quelques affrontements compliqués : la ligue créa la Brimstone Cup (malgré des kilomètres de séparation), une « coupe » totalement oubliée aujourd’hui. Même chose pour la Pioneer’s Cup, entre Columbus et le FC Dallas, qui célèbre le « pionnier » du soccer américain, Lamar Hunt, investisseur dans les deux franchises. À cette époque le nombre de franchises est faible et les distances géographiques sont grandes : Toronto et Columbus, pourtant distancés de 600 kilomètres, forment ainsi en 2008 la Trillium Cup (aussi depuis quasiment oubliée), une coupe basée sur une hypothétique rivalité « régionale ». L’Heritage Cup est aussi bien inutile : elle se dispute entre des clubs qui ont déjà joué en NASL dans les années 70 et débute avec les Seattle Sounders et les San José Earthquakes. Cependant, lorsque Portland et Vancouver, eux aussi franchises historiques, rejoignirent la MLS, elles refusèrent d’intégrer la mini-compétition et la coupe repartit dans l’oubli.

Contrairement aux quatre franchises citées plus haut, certaines ont du succès au niveau local. La Rocky Moutains Cup qui se dispute entre le Real Salt Lake et les Colorado Rapids, n’est pas une coupe fortement médiatisée mais dans les marchés (plutôt restreints) de l’Utah et du Colorado, c’est une compétition à gagner pour les fans. Même chose, avec de plus grosses proportions, pour le Texas Derby entre le Houston Dynamo et le FC Dallas. Le derby est apprécié par les supporters (malheureusement peu présents en tribunes pour les deux clubs) et représente la dualité du Texas entre Dallas, la capitale économique de l’état et Houston, ville plus calme. Le champion de cette rivalité remporte aussi El Capitan, une réplique d’un canon du 18ème siècle et qui peut être tiré à blanc et rapatrié lors d’une victoire : un trophée Made in Texas. La rivalité pourrait aussi s’améliorer avec l’arrivée du FC Austin en 2021, qui représente une autre facette du Texas : une ville jeune, progressiste et siège de nombreuses start-ups.

Une autre coupe qui a réussi à se développer grâce aux expansions, c’est le derby d’Ohio entre le Columbus Crew et le FC Cincinnati, qui a connu sa première édition il y a une semaine et dont vous pouvez trouver le résumé ici. Nommé « Hell is Real » en référence au panneau affiché au bord de l’autoroute qui relie les deux villes, cette rencontre devrait passionner les foules dans les prochaines années entre un club miraculé qui aurait dû pâtir d’une relocalisation il y a peu et un autre habitué à des foules de supporters depuis ses débuts. Ces dernières saisons ont aussi été témoins de la rivalité grandissante (et pourtant pas régionale) entre Atlanta United et Orlando City SC. Certains ne veulent pas parler de derby, puisque Orlando n’arrive désespérément pas à vaincre son adversaire, mais il y a en effet une véritable haine qui s’est développée entre les fans des deux franchises. Josef Martinez, l’attaquant vedette, se moque sur les réseaux sociaux d’Orlando alors qu’Atlanta y arrache une énième victoire : les fans d’Orlando répondent en sifflant pendant le All Star se jouant chez eux tous les joueurs d’Atlanta. Il existe une réelle animosité entre les supporters qui est rare et fortement inspirée par les fans latinos des deux équipes qui y amènent une culture sud-américaine. Cette tendance devrait être exacerbée dans le futur derby de Floride, entre Orlando et Miami (qui arrive en 2020) qui pourrait aussi être le bassin d’une culture du très inspirée par l’Amérique Latine.

Des Derbys qui évoluent avec les expansions

Vous l’aurez compris lors du paragraphe précédent, les arrivées de nouvelles franchises d’expansion, parfois proches d’anciennes équipes maintenant défuntes, bouleversent certaines rivalités historiques. La preuve dans deux régions étasuniennes.

La première c’est celle du Nord Est du territoire. En 1996, lorsque les premiers coups de sifflets retentissent dans les stades, DC United et les New-York Red Bulls (alors appelés Métrostars) sont deux franchises assez « proches » géographiquement et qui peuvent se targuer d’avoir une réelle rivalité entre la capitale politique et celle économique du pays de l’Oncle Sam. Une Atlantic Cup entre les deux clubs est alors créée en 2002. Au début totalement dominée par DC lors de ses fastes saisons de succès, elle passe ensuite dans les mains des Red Bulls avec l’émergence du club de Thierry Henry, Rafael Marquez & Co. Le moment fort de cette rivalité restera le 6 avril 2006 lorsque l’attaquant de DC Alecko Eskandarian marqua un but et, en signe de célébration, prit une canette de Red Bull, en but une gorgée avant de la recracher avec dégoût, quelques semaines après le rachat de la franchise par la célèbre boisson énergisante. Mais cette Atlantic Cup perd depuis 2015 en importance, la faute à un nouveau venu : le New-York City FC. Grâce à la franchise de David Villa, Andrea Pirlo et Franck Lampard dans sa première année, la Major League Soccer s’appuie fortement sur la rivalité locale : le Rouge contre le Bleu, la banlieue contre le centre-ville, les anciens contre les nouveaux venus. Les supporters ont tout de suite embrassé le concept, les Rouges se moquant des « Pigeons » qui jouent dans un stade de baseball et les Bleus dénigrant les « New Jersey » Red Bulls, puisqu’ils ne jouent même pas à l’intérieur de la Big Apple mais dans la banlieue du New-Jersey. Surnommé le Hudson River Derby, le duel entre les deux franchises commença très mal pour NYCFC avec quatre défaites dont une très humiliante reçue à domicile sur le score embarrassant de 0 à 7. Dès le début de la compétition, les tribunes ont aussi été le théâtre de nombreux affrontements : nous en parlions dans un précédent article mais les fans du NYCFC n’ont pas eu peur de se faire entendre, parfois pour le pire.

Pour observer l’autre bouleversement des rivalités, c’est en Californie qu’il faut se rendre.  À ses débuts en 1996, le duel entre les San José Earthquakes et le Los Angeles Galaxy, appelé CaliClásico s’anime grâce à la vedette de l’équipe masculine américaine Landon Donovan qui annonce « se sentir de la Bay Area » avant de partir, après une pige en Europe, du côté… Du Galaxy. Le premier match qu’il jouera avec Los Angeles à San José est la première vraie démonstration de rivalité en MLS : des pancartes sont brandies, des maillots brûlés et des piñatas à son effigie sont détruites en avant-match. Les deux équipes étant avant 2009 souvent en tête de l’Ouest, elles s’affrontent en playoffs et créent une rivalité solide. À San José, elles sont souvent jouées dans le stade de Stanford University devant plus de 50.000 personnes, comme le jour où le Galaxy, menant 3 à 1 après la première mi-temps grâce à Beckham et Donovan, s’incline finalement 4 à 3, grâce à l’incroyable Chris Wondolowski. On verra même le Spice Boy en personne s’embrouiller avec… La mascotte des Earthquakes. La rivalité, bien qu’en descente ces dernières saisons, reste palpitante et remplit toujours les stades : cet été San José s’est imposé par deux fois (3-0 ; 1-3) devant des tribunes pleines. Cependant, vous n’avez pas pu le manquer, le El Tráfico est passé par là. Présent depuis 2018 avec l’arrivée du Los Angeles FC, il tire son nom des gigantesques embouteillages présents dans la ville. La première édition était aussi le premier match de Zlatan Ibrahimovic sous les couleurs du Galaxy et le suédois marqua, en entrant à la 70ème minute, deux buts incroyables pour donner la victoire à son équipe, 4 à 3. Le ton était donné et les confrontations suivantes seront toutes aussi excitantes, jusqu’à mettre aujourd’hui le CaliClásico dans l’ombre. San José pourrait pourtant récupérer une autre rivalité puisque Sacramento devrait arriver en Major League Soccer dans les prochaines années. Les rivalités passent et trépassent en Californie ; le SuperClásico, entre le Los Angeles Galaxy et Chivas USA a quant à lui disparu avec l’arrêt de la franchise mexicaine en 2014.

Les Rivalités qui dépassent la MLS

Elles sont géographiques, politiques, historiques et surtout sportives : les deux prochains derbys existaient bien avant la Major League Soccer.

Tout d’abord, le Canadian Classique : celui-ci se déroule entre l’Impact de Montréal et le Toronto FC bien que d’autres équipes de soccer de ces deux villes aient connu des frictions dans le passé : l’Impact est né en 1992 et a donc eu diverses rivalités, notamment avec les Toronto Lynx dans les années 2000. C’est la bataille de deux cultures : les rouges et les bleus, les anglophones contre les francophones, de l’Ontario contre le Québec… La rivalité dépasse le sport puisque les deux villes sont des rivales politiques et économiques, surtout depuis 1977 et une loi visant à rendre le français langue officielle du Québec, ce qui causa le départ de nombreuses entreprises anglophones à Toronto. Si TFC ne rentre en MLS qu’en 2006 et Montréal en 2012, le Championnat Canadien (la coupe nationale) fut témoin de nombreuses batailles entre les deux clubs. En 2009, Toronto inflige un sévère 6 à 1 à Montréal, sur les terres de l’Impact. En 2013 toujours à Montréal, ils se prennent en retour une défaite humiliante, 6 à 0, en Championnat Canadien. C’est aussi une opposition de style : l’Impact s’est souvent reposé sur des joueurs québécois (Patrice Bernier, Samuel Piette) avec un budget limité tandis que Toronto préfère les stars et les paillettes (Giovinco, Jozy Altidore, Alejandro Pozuelo) et fut la première équipe canadienne à remporter une MLS Cup en 2017. Les deux équipes s’affronteront une nouvelle fois en finale du Championnat Canadien en septembre 2019 dans le match qui, en Amérique du Nord, a le plus de poids extra-sportif.

Finalement, la rivalité la plus intense en MLS reste encore et toujours l’affrontement dans la région de Cascadia, entre les Portland Timbers et les Seattle Sounders. Certes, l’officielle Cascadia Cup comprend aussi les Vancouver Whitecaps, mais ces derniers (bien qu’ils considèrent Seattle comme leurs rivaux) « tiennent la chandelle » par rapport au duel qui oppose Portland et Seattle. Plusieurs facteurs apportent de la grandeur à ce derby. Premièrement la région de la Cascadia, qui est passionnée de soccer depuis plusieurs générations : les premières rencontres ont lieu en 1975 et furent les premiers matchs américains couverts par Sports Illustrated. Deuxièmement, la passion des supporters qui à Seattle, sont parfois plus de 60.000 à assister au derby et qui à Portland, font preuve d’inventivité pour réaliser les plus beau tifos. Ce sont d’ailleurs les fans de Seattle, Portland et Vancouver et non la Major League Soccer qui créèrent le trophée de la Cascadia Cup qui est gardé en cas de victoire par les fans et non par le club. Troisièmement, les facteurs géographiques créent des villes aux cultures différentes ; Vancouver est le nouvel Hollywood, berceau de start-ups et de tournages de film, Seattle est le hub technologique où sont nées des multinationales comme Starbucks et Boeing alors que Portland est la ville « hipster » par définition où les brasseries locales sont les plus nombreuses du continent. C’est une région amoureuse du soccer qui y est assez populaire. Depuis leurs entrées en MLS, Portland et Seattle ont chacun gagné une MLS Cup, ainsi que quatre US Open Cup pour les Sounders. Finalement, un dernier facteur est à prendre en compte, les matchs sont souvent témoins d’actions folles. Par exemple, le « Red Card Wedding » où Clint Dempsey déchira les cartons de l’arbitre et que les Sounders ont fini à huit contre onze, la célébration de Roger Levesque qui mima un tronc abattu lors d’un but rapide face aux Timbers, la célébration en sapin de Chad Barrett, le retour à 4-4 des Sounders qui perdait 4 à 2 à l’heure de jeu en 2014, le « Fuck Seattle » de Will Johnson lorsque les Timbers gagnèrent en premier la MLS Cup et le « Portland can’t say shit » de Clint Dempsey deux ans plus tard… Depuis 1975 les deux équipes s’attaquent à coup de faux-documentaires, de tifos surprenants et le derby reste pour la Major League Soccer une vitrine pour montrer que la Culture Soccer ne date pas d’hier en Amérique du Nord.

Antoine Latran

Co-créateur de Culture Soccer. Ancien rédacteur Soccer Nord-Américain pour Lucarne Opposée. Fan de MLS depuis une balade dans Seattle un jour de match, j'écris sur Culture Soccer sur la MLS, la NISA, la sélection américaine, ainsi que sur des sujets mêlant le sport à la culture, la politique et l'économie.

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