Depuis que la Cour Suprême des États-Unis a permis aux états, au printemps 2018, de légiférer les paris sportifs à l’intérieur de leurs frontières, les grandes ligues sportives nord-américaines ont examiné les possibilités et les conséquences que cette légalisation pourrait apporter. Dans le cas de la Major League Soccer, qui veut poursuivre son ascension au sein du marché sportif national et mondial, les dirigeants ont tout de suite entrevu le potentiel économique des paris sportifs légaux et ils espèrent prendre les devants sur leurs concurrents afin d’exploiter le filon de ce nouveau marché.
Le contexte
En mai 2018, la Cour Suprême a statué (à six contre trois) qu’une loi fédérale sur le jeu ayant été voté en 1992 – la Loi sur la protection du sport amateur et professionnel – violait le 10e amendement de la Constitution américaine (souvent appelée clause de réquisition) parce qu’elle permettait au gouvernement fédéral d’ordonner illégalement à certains états de prendre des mesures spécifiques pour interdire le jeu et les paris sportifs. En d’autres termes, cette loi fut considérée aux yeux de la Cour Suprême comme étant inconstitutionnelle.

Ce jugement fut rendu suite à un recours en justice contre la Loi sur la protection du sport amateur et professionnel par le gouverneur démocrate du New Jersey, alors nouvellement élu, Phil Murphy. Il faut savoir que depuis 2011, l’état du New Jersey se battait pour légaliser les paris sportifs et cette loi prohibitive s’avérait un obstacle à cette volonté. Le prédécesseur de Phil Murphy, le républicain Chris Christie, avait débuté cette bataille pour obtenir ce droit, suite à un référendum où une majorité de citoyens du New Jersey avait voté en faveur de l’abrogation de cette loi.
Il faut néanmoins préciser que cette décision de la Cour Suprême ne rend pas forcément légaux les paris sportifs et le jeu de hasard sur l’ensemble du territoire américain. Par exemple, une loi fédérale pouvant imposer des interdictions, voire bannir les paris et les jeux de hasard, pourrait être votée et demeurée constitutionnelle. En revanche, ce jugement donne le pouvoir aux états de légiférer en la matière sans craindre l’intervention du pouvoir fédéral dans un contexte où la perception des paris et des jeux de hasard aux États-Unis a toujours opposé deux visions. D’un côté les opposants, qui soutiennent que cette légalisation va conditionner les jeunes pour les rendre dépendants au jeu, encourager les personnes ayant des moyens modestes à gaspiller leurs économies et leurs revenus, et corrompre les sports professionnels et collégiaux. De l’autre côté les partisans, qui soutiennent que cette légalisation générera de nouveaux revenus fiscaux pour les états, créera de nouveaux emplois et affaiblira considérablement les opérations de paris sportifs illégaux ou qui sont souvent dirigées par le crime organisé, par le truchement notamment des casinos de Las Vegas au Nevada, qui opéraient des paris aux États-Unis depuis 25 ans avant la légalisation.
L’intérêt de la MLS
Pendant très longtemps, les ligues professionnelles de sports nord-américains étaient fermement opposées à la légalisation des paris sportifs. Certaines restent d’ailleurs encore réfractaires de nos jours. Suite au jugement de la Cour Suprême, la NFL a publié un communiqué dans lequel elle notait les “dommages potentiels causés par les paris sportifs à l’intégrité des compétitions sportives et à la confiance du public envers ces activités” et a appelé le Congrès à définir un cadre réglementaire entourant cette légalisation. Toutefois, d’autres ligues de sports professionnels se sont montrées bien plus ouvertes à la question des paris sportifs comme la NBA. Déjà en 2016, elle s’était associée à la société de données Sportradar pour un partenariat de 250 millions de dollars sur six ans, lui octroyant le droit de distribuer des données de la NBA à des opérateurs de jeux extraterritoriaux.
Du côté de la MLS, cette légalisation a grandement suscité l’intérêt du commissaire Don Garber et de ses partenaires. Dès l’ouverture de la saison 2019, ce dernier avait laissé la porte ouverte à la possibilité que des sociétés de paris sportifs soient autorisées à commanditer (sponsoriser) des franchises de la ligue et à offrir aux supporters la possibilité de parier sur des matchs. “J’ai vu beaucoup de matchs en Angleterre et je ne me suis jamais vraiment opposé au fait que quelqu’un vienne dans la loge des propriétaires pour prendre un pari sur un match”, a déclaré Garber. “Si des paris similaires existent un jour aux États-Unis, il faudra que cela soit bien géré, organisé, génère des recettes fiscales et que la ligue puisse l’utiliser comme un outil de marketing permettant aux gens de s’impliquer davantage avec nos joueurs et nos clubs.” Soulignons en effet que les paris sportifs sont omniprésents au sein du football anglais, où les entreprises et les sociétés de jeux commanditent depuis longtemps des équipes et des ligues professionnelles, en plus d’être présents régulièrement dans les couloirs des stades.

Depuis la décision de la Cour Suprême, huit états ont légalisé les paris sportifs à grande échelle et des compagnies ont déjà des permis pour opérer. Deux autres états ont également légalisé les paris, mais n’ont pas encore délivré de permis si bien qu’aucune société n’est encore opérationnelle. Tel un effet domino, beaucoup d’autres états envisagent prochainement la voie de la légalisation. Au moment où sont écrites des lignes, deux états où les paris sont légaux, la Pennsylvanie et le New Jersey, abritent déjà des clubs de la MLS. D’ailleurs dans le New Jersey, une société de jeux sportifs figure actuellement parmi les candidates aux droits de désignation du stade officiel des New York Red Bulls.
Les obstacles et les retombées
Malgré cette légalisation autorisée par la Cour Suprême, il existe des obstacles d’ordre juridique et logistique notamment concernant l’installation de kiosques pour les preneurs aux livres dans les stades des clubs MLS. “Les clubs ne peuvent pas prendre eux-mêmes les paris dans leurs stades, ils doivent passer par une société de jeux”, a déclaré Garber. “Ces sociétés doivent obtenir une licence ou un permis de certains états, et ces états doivent déterminer où peuvent légalement se trouver les sites de paris sportifs. Actuellement, ces sites sont pour la plupart des casinos possédant déjà une licence, et il n’y en a pas encore beaucoup en dehors de ces maisons de jeux traditionnels. Nous allons donc voir comment les choses vont évoluer avec le temps.”

Comme les paris sportifs disponibles pour les matches de soccer sont parmi les plus simples à comprendre pour les parieurs novices, on comprend mieux l’intérêt de la MLS. Par exemple, on peut miser sur les chances de gain d’une équipe ou d’un match nul, sur le premier but marqué, sur la minute à laquelle le premier but est marqué, sur le score final, etc. Cette simplicité fait que les paris sportifs au soccer peuvent attirer une clientèle bien plus large que les parieurs plus expérimentés. Cependant, pour une ligue qui lutte encore pour sa visibilité dans un paysage sportif américain bien encombré, la plus grande valeur que représentent les paris sportifs pour la MLS n’est pas que financière. Outre les retombées directes que la ligue espère récolter, elle pourrait bénéficier de l’intérêt accru des parieurs pour susciter celle des fans; un avantage particulièrement attrayant compte tenu de la baisse générale des audiences à la télévision au cours des dernières années avec l’arrivée des plateformes de diffusion en ligne sur Internet. “La chose la plus importante pour la MLS en ce qui concerne le potentiel des paris sportifs légaux n’est pas nécessairement les revenus”, a affirmé Garber. “C’est la façon dont nous incitons de plus en plus de fans à participer, à se rapprocher de nos équipes et à s’impliquer plus profondément lors des matchs.”
Un premier contrat de commandite
Garber a révélé au début de la saison 2019 qu’il n’avait aucune objection à ce qu’une société de jeux devienne commanditaire principal d’un stade MLS, et que la ligue serait bientôt sur le point de signer un contrat de commandite avec l’une de ces sociétés. À noter qu’elle avait déjà autorisé ce type de partenariat de commandite pour les compagnies de bière et de vin. Finalement vers la fin juin 2019, la MLS a officiellement donné son aval à l’autorisation pour les sociétés de jeux et de paris d’acheter des droits de commandite sur les maillots des clubs. C’est la première grande ligue sportive américaine à permettre la vente des droits de commandite de maillots. De plus, cette autorisation s’étend également aux noms de stades et implique également les compagnies de spiritueux.
Nous verrons certainement dès 2020 un changement majeur au plan de la commandite sur les maillots de la MLS suite à cette autorisation, ceci alors que les clubs commenceront à vendre des espaces publicitaires sur les manches de leurs maillots à partir de la saison prochaine. En prime, cette autorisation permettra aux équipes d’accorder aux sociétés de paris sportifs des droits leur permettant de faire de la publicité dans les stades, lors d’émissions diffusées, et éventuellement de parier sur place, bien que ces droits soient toujours soumis aux législations des états (ou aux provinces dans le cas du Canada).

Le but de cette autorisation, approuvée lors de la réunion du conseil des gouverneurs de la MLS en mai 2019, est d’accroître autant l’engagement des fans que les revenus, ce qui confirme les propos du commissaire Garber en début de saison cités plus haut. “Devant la légalisation des paris sportifs au sein des états, face à l’évolution des mœurs sociales et la façon dont la ligne de démarcation entre les spiritueux, la bière et le vin a commencé à se dissoudre, nous estimions que le moment était venu de procéder à des ajustements”, a déclaré Carter Ladd, vice-président du développement des affaires de la ligue.
Cette autorisation ne va évidemment pas sans certaines restrictions. M. Ladd a ajouté que la MLS ne permet pas aux sociétés de paris sportifs d’accéder directement aux athlètes, ce qui signifie qu’il n’y aura pas d’affichage publicitaire avec les joueurs conjointement avec un commanditaire de paris sportifs, ni de diffusion d’annonces télévisées d’une société de jeux de hasard mettant en vedette un joueur. “Cela devrait être davantage une intégration globale avec le club”, a-t-il ajouté. Également, une directive de la MLS indique que toute publicité pour des paris sportifs ou des spiritueux doit être adressée à un public adulte, et que les sociétés de spiritueux ne seront pas autorisées à utiliser des joueurs de moins de 21 ans dans leurs publicités.
Mr. Ladd a précisé qu’en plus de la décision de la Cour Suprême qui a ouvert la porte à la légalisation des paris sportifs, le fait que ce type de commandite existait déjà ailleurs dans le monde, notamment en Europe, avait ouvert la voie à cette autorisation de la MLS. “Le fait d’avoir des sociétés de paris sportifs sur les maillots des clubs de soccer au niveau international fait partie intégrante du jeu”, a déclaré Ladd. “Nous voulons être à l’avant-garde de ce sport en Amérique du Nord tout en tenant compte de sa pertinence internationale.”
Parions (c’est le cas de le dire) qu’avec l’arrivée des sociétés de paris sportifs dans le giron de la commandite ainsi que la présence de nouvelles marques publicitaires sur les manches de ses maillots, le visage commercial de la MLS prendra une nouvelle tournure à partir de 2020.