« Notre but est de gagner la MLS Cup d’ici à cinq ans ». Cette phrase, prononcée par le propriétaire de l’Impact de Montréal Joey Saputo lors du bilan de fin de saison le 9 décembre 2016, n’a pas fini de donner des maux de tête aux partisans de son équipe. Fraichement éliminé des play-offs en finale de la conférence Est, l’Impact de Montréal semblait sur la bonne voie à cette époque. Depuis, le ‘bleu-blanc-noir’ n’y arrive plus; trois entraineurs remerciés, turnover interminable de joueurs, masse salariale mal gérée et, pour couronner le tout, une communication déficiente du club ont logiquement donné des résultats extrêmement décevants où la franchise ne s’est plus jamais qualifiée pour les séries éliminatoires. Trois ans de misère durant lesquels le club essaye de sortir de l’abysse. La tentative Remi Garde n’ayant pas été fructueuse, l’Impact s’est lancé, le 14 novembre 2019, dans une nouvelle aventure en engageant le légendaire Thierry Henry comme entraineur-chef de la franchise. Une nouvelle ère qui n’en est qu’à ses balbutiements mais, l’Impact de Montréal est-il assez équipé pour remonter la pente? Analyse.
La structure ou le ‘New Age’ dans les bureaux :
Depuis que l’Impact de Montréal a rejoint la Major League Soccer en 2012, les partisans les plus farouches du club dénoncent le manque de professionnalisme ainsi que le manque de structure de la franchise. Sur les réseaux sociaux, des termes comme “gestion de dépanneur” ou “gestion broche à foin” (terme québécois qui veut dire gestion quelconque) ont souvent été évoqués afin de décrire le fonctionnement du club avec Joey Saputo en tant que président.
Ce n’est qu’en fin d’année 2018 que l’Impact de Montréal prit conscience du manque d’organisation de la franchise. Pour remédier à ça, le club s’est assuré de procéder à certains changements structurels avec, notamment : l’établissement d’une cellule de recrutement qui ciblerait des joueurs pour l’Impact et aussi pour Bologne (club de Série A qui appartient aussi à Saputo), la nomination d’un directeur général, Walter Sabatini, supervisant les deux clubs et celle de Patrick Leduc, ancien joueur de l’Impact, au poste de directeur administratif des opérations soccer de Montréal.

De plus, voyant que son club n’avançait plus et que l’écart entre l’Impact et la concurrence se faisait de plus en plus grand, Saputo décida alors, en janvier 2019, de céder son poste de président et de le confier à Kevin Gilmore, ancien vice-président du Canadien de Montréal (la franchise de hockey sur glace de la ville). Le nouvel homme providentiel de l’Impact frappa fort dès sa présentation, en annonçant fièrement aux partisans : « Montréal est un grand marché ». Cette phrase, synonyme d’investissements massifs et d’une compétitivité retrouvée pour de nombreux fans, raviva la flamme des Montréalais qui se mirent à rêver de lendemains glorieux et de titres à foison. Cependant, Gilmore n’a pas (ou très rarement) mentionné le temps que ça pourrait prendre pour renverser la vapeur et c’est là où la communication du président a flanché.

Après une troisième saison consécutive où le bleu-blanc-noir ne parvint pas à se qualifier pour les play-offs, Gilmore se décide enfin à nommer un directeur sportif. Un trou béant dans l’organigramme montréalais fut enfin rempli le 28 septembre 2019, après des mois d’attentes, par le belge Olivier Renard. Son expérience, son talent de recruteur reconnu (surtout en Belgique) et son flair pour trouver des pépites à faible coût seront les bienvenus dans un club qui en avait grandement besoin. À peine arrivé, Renard devait rapidement s’adapter à son nouvel environnement parce que plusieurs dossiers urgents s’entassaient sur son nouveau bureau…
Le coach :
Embauché par Joey Saputo avant la saison 2018, Rémi Garde a longtemps été considéré comme le sauveur du club par les supporters. Après une première saison où l’Impact a échoué de peu à se qualifier aux séries grâce à une fin de saison exceptionnelle, la pression était énorme sur le club à l’aube de la saison 2019. Malgré un début de saison encourageant, après plusieurs bons résultats à l’extérieur, l’Impact de Montréal entama une longue descente aux enfers et Rémi Garde n’échappa pas au bourreau. Voulant créer un choc psychologique alors que le club était encore en pleine course pour la qualification aux séries, tout en étant qualifié pour la finale du championnat canadien, Gilmore remercia Garde le 21 août 2019. Quelques jours après, il engagea Wilmer Cabrera, remercié lui aussi quelques jours plus tôt par le Dynamo de Houston, afin de redresser la barre dans le dernier droit de la saison. La suite, on la connait : Cabrera ne fut pas le sauveur escompté. Malgré son titre de champion canadien, l’Impact ne parvint pas à atteindre ses objectifs en MLS et le contrat de Cabrera ne fut logiquement pas reconduit. Ce fut alors la première décision d’Olivier Renard en tant que directeur sportif de l’Impact de Montréal mais loin d’être la plus difficile, puisqu’il fallait surtout trouver son successeur.

Thierry Henry fut donc l’heureux élu. Si plusieurs journalistes et supporters ont été agacés de savoir que c’était le seul prétendant à avoir eu une entrevue avec Olivier Renard, la nomination d’une légende du ballon rond au poste d’entraineur a été applaudie tout autour du globe, alors que plusieurs supporters se sont déplacés afin de le recevoir à l’aéroport Pierre Elliott Trudeau.
Nous connaissons tous l’énorme fiasco monégasque, pour sa première expérience en tant qu’entraineur principal d’un club, où il fut démis de ses fonctions après un peu plus de trois mois à la tête de l’équipe. En revanche, bien que fautif sur certains points, nous savons tous aussi qu’il ne peut être jugé sur cette simple expérience puisque le club de la Principauté était déjà dans de sales draps, après un mercato calamiteux et une gestion indigne d’un club professionnel (tout comme un certain Rémi Garde, lors de son expérience à Aston Villa, il y a quelques années). Alors comment quantifier sa véritable valeur? Thierry Henry est passionné de foot et selon les dires, il n’a jamais vraiment coupé les ponts avec la MLS puisqu’il a regardé plusieurs matchs depuis la fin de sa carrière de joueur. De plus, son expérience en tant qu’entraineur-assistant avec l’équipe nationale de Belgique a été un franc succès, puisque les Diables Rouges ont réussi à prendre la troisième place lors de la Coupe du Monde de 2018, et les joueurs de la sélection lui ont tressé des louanges. Peut-il franchir cette fameuse barre invisible qui sépare le joueur légendaire et l’entraineur de très haut niveau? L’obstacle le plus important à franchir pour Thierry Henry sera de savoir prendre du recul dans certaines situations et, surtout, de ne pas réagir à chaud quand il s’agit de ses propres joueurs.
L’effectif :
Quand il s’agit de construire un effectif, chaque club a une stratégie différente et, pour qu’elle fonctionne, la relation entre l’entraîneur, le directeur sportif et le président se doit d’être symbiotique.
Sous le règne de Rémi Garde, l’absence d’un directeur sportif ainsi que le manque de connaissances footballistiques de Kevin Gilmore ont complètement déstabilisé le club. Rémi Garde se devait de porter plusieurs casquettes dont certaines dépassaient largement son domaine d’expertise.
Depuis la nomination d’Olivier Renard, le ‘bleu-blanc-noir’ s’est enfin doté de toutes les pièces du puzzle. Bien aidé par Vassili Cremanzidis, reconnu pour sa connaissance accrue de la MLS et de ses multiples leviers et complexités, le nouveau directeur sportif s’est mis au travail très rapidement.
La première grosse décision d’Olivier Renard concernant l’effectif du club était de donner sa liste de 12 joueurs protégés lors du repêchage d’expansion. Ceux-ci ne devaient surtout pas penser qu’ils feraient automatiquement partie de l’effectif au début de la saison 2020. En effet, le latéral gauche américain Daniel Lovitz, initialement protégé par le club, fut échangé à Nashville le jour de la draft pour 50 000$ d’allocation générale, 50 000$ d’allocation ciblée ainsi qu’une place de joueur étranger. Sachant que Lovitz était en fin de contrat et que l’Impact ne pouvait pas lui offrir un salaire conséquent à cause des limites du cap salarial, ce transfert a été vu positivement par la ‘fan base’ du club.

De plus, un autre joueur protégé, le défenseur central argentin Victor Cabrera, a lui été échangé au Dynamo de Houston contre l’international hondurien Romell Quioto et de 100 000$ d’allocation générale. Cabrera n’avait jamais vraiment convaincu les supporters montréalais depuis son acquisition, alternant le bon et le mauvais au fil des ans. Son départ libère aussi une place internationale dans l’effectif (Quioto détient sa carte verte aux États-Unis), une denrée rare pour tout club canadien engagé dans une ligue américaine. De son côté, Romell Quioto arrive de Houston avec une réputation sulfureuse. En octobre 2018, le joueur a été poursuivi anonymement par une femme qui l’accusait d’avoir publié des photos d’elle nue sur internet, sans son autorisation. Le procès n’eut pas lieu et la plainte fut retirée quelques semaines plus tard. Bien que ce genre de situation puisse arriver à n’importe quelle célébrité, cet épisode n’est pas très reluisant sur la carte de visite du joueur hondurien et certains l’ont fait savoir sur les réseaux sociaux.
Ayant déclaré qu’il voulait continuer sa carrière en Europe, et après son carton rouge reçu le 9 aout lors d’un match du Dynamo de Houston face à New York City FC, Quioto fut mis de côté par son entraineur le reste de la saison (Cabrera en premier puis Davy Arnaud après). Sur le terrain, Quioto est un ailier gauche capable d’évoluer en tant qu’ailier droit, ou même avant-centre, avec une bonne technique de balle. Il est naturellement plus passeur que buteur et son association avec les joueurs offensifs déjà présents, comme Bojan ou Ignacio Piatti, peut s’avérer fructueuse.
Alors que Quioto est officiellement la première recrue du tandem Renard-Henry, plusieurs postes restent à pourvoir et plusieurs longues négociations sont à prévoir avec des joueurs de l’effectif 2019.
Les vétérans français Rod Fanni et Bacary Sagna sont toujours sans contrat tout comme l’international sénégalais Clément Diop alors que les prêts de Zachary Brault-Guillard (Lyon), Ballou Tabla (FC Barcelone) et Orji Okwonkwo (Bologne) restent à régler (ou pas). D’autres joueurs comme Anthony Jackson-Hamel risquent de faire encore partie de l’effectif, même si l’Impact n’a pas activé l’option disponible dans leur contrat.
Présentement, l’effectif est très léger et seul l’avenir nous dira à quoi ressemblera le onze type du ‘bleu-blanc-noir’ en 2020. Henry et Renard ont du pain sur la planche.

Les finances :
C’est le nerf de la guerre pour toute entreprise ou tout individu et il en est de même pour les clubs de soccer. Le réputé magazine américain Forbes, connu pour son expertise dans le monde des affaires, a publié un profil peu reluisant des finances montréalaises en 2018 indiquant une perte opérationnelle de 12 millions de dollars américains, avec un revenu modique pour un club de MLS de 18 millions de dollars. Si la valeur de la franchise a augmenté depuis le dernier classement, les pertes continuent d’être inquiétantes pour l’entourage du club.
Cependant, ces chiffres parus en novembre 2019 sont ceux de 2018. Plusieurs supporters, lors de la sortie dudit article, sont allés jusqu’à se poser la question de savoir si l’équipe avait encore un avenir en MLS. Il faut savoir que la direction de l’Impact de Montréal a réagi à ces pertes depuis le début de la saison 2019 quand le club a annoncé l’augmentation des tarifs à la billetterie, que ce soit pour les abonnés de saison mais aussi pour les billets individuels, les packages et les billets de groupe.

Si le prix des billets a effectivement augmenté, l’affluence moyenne du Stade Saputo était la pire de l’histoire de la franchise depuis sa rentrée en MLS (16171 spectateurs, une baisse de presque 2500 par rapport à 2018). Cette baisse est-elle due aux mauvais résultats de l’équipe ou aux prix des billets? Faudrait commencer par avoir une bonne saison sportive pour le savoir.
D’un autre côté, le dossier concernant les taxes foncières que payent le clan Saputo à la ville de Montréal vient tout juste d’être réglé. L’Impact voit ses taxes diminuer de presque 38% ce qui n’est pas négligeable dans le budget du club.
Malgré ces nouvelles positives, nous savons tout de même que la meilleure façon de faire des recettes pour un club de soccer restera toujours liée aux résultats sportifs.
Les objectifs pour 2020 et le long terme :
Thierry Henry l’a dit dès sa première entrevue, le changement prend du temps. Il a demandé aux supporters de s’armer de patience avant de le juger sur son travail. Malheureusement pour lui, le gros problème est là; les supporters sont à bout et demandent des résultats immédiats. La majorité d’entre eux ne demande pas la lune mais, au minimum, une qualification pour les séries éliminatoires 2020 et surtout, montrer une belle image du club en ligue des champions Concacaf. Cette dernière est très appréciée par les fans depuis la fameuse épopée de 2015 où l’Impact avait atteint la finale de la compétition.
En revanche, Thierry Henry peut se considérer chanceux parce que l’annonce de son arrivée a provoqué un élan populaire positif parmi les supporters du club, dont plusieurs voient sa venue comme un bol d’air frais qui pourrait redorer le blason du club montréalais.
Pour le long terme, Joey Saputo est compétitif et veut que son équipe s’installe durablement comme l’une des meilleures franchises de la MLS. Pour y arriver, l’Impact se doit de renipper son antre, le Stade Saputo. En effet, lorsque le stade fut construit en 2008, il pouvait se targuer d’être une enceinte moderne et sophistiquée mais depuis, malgré les rénovations apportées et les agrandissements de sa capacité en 2012 et en 2017, il est loin d’être l’un des plus beaux en MLS. La fin heureuse de la lutte avec la Ville de Montréal pourrait enfin permettre à Joey Saputo de réaliser les rénovations annoncées en fin d’année 2018, qui prévoient de nouvelles loges et, selon les dires, une pelouse chauffante qui permettrait de jouer des matchs en cas de petite neige ainsi qu’un toit pouvant couvrir tous les spectateurs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Du côté de l’effectif, une pièce majeure devrait quitter très bientôt Montréal : Ignacio Piatti. En fin de contrat en décembre 2020, certains observateurs pensent qu’il quittera le club au mois de juin. En cas de départ d’un des joueurs les plus aimés par le public montréalais, il faudra frapper fort et trouver une autre idole capable de soulever les foules. Qui sera l’heureux élu? Thierry Henry pourra-t-il convaincre un ‘gros’ nom de rejoindre le club? Récemment, plusieurs rumeurs circulent, certaines farfelues et d’autres beaucoup plus réalistes. Les plus optimistes s’attendent à voir Lionel Messi et Cristiano Ronaldo dans les prochaines semaines (ou presque) alors que les éternels pessimistes pensent que la montagne accouchera d’une souris. Pourtant, l’Impact a tout de même réussi à attirer Alessandro Nesta, Ignacio Piatti et Didier Drogba dans les dernières années et toutes ces recrues ont rejoint l’équipe malgré l’absence de fondations solides au sein de la franchise. Doté d’une structure organisationnelle beaucoup plus complète aujourd’hui, l’Impact se doit de frapper un grand coup afin de s’installer durablement parmi l’élite de la MLS.
Alessandro Nesta / Via cbc.ca Didier Drogba / Via impactmonteral.com

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