USWNT : Le Président de la Fédération Démissionne alors que le Combat pour un Même Salaire Continue

Il y a plus d’un an, lors de la journée internationale des femmes, les toutes récentes championnes du monde de la sélection américaine de soccer féminin des Etats-Unis, aussi appelée USWNT, ont attaqué en justice la fédération américaine de soccer, l’USSF, pour discrimination salariale basée sur le sexe.

Au début de l’affaire, la couverture médiatique avait été faite au détriment des joueuses, dont les demandes avaient été jugées plutôt démesurées, malgré les meilleures intensions du monde. Cependant, des récents dénouement ont tourné l’opinion publique contre la Fédération et causés la démission du président de l’USSF, Carlos Cordeiro.

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Via The Mary Sue

L’équipe féminine est le porte-étendard de la fédération américaine. Malgré quelques bonnes performances cette dernière décennie, l’équipe masculine (USMNT) ne s’est pas qualifiée à la dernière Coupe du Monde, alors que les coéquipières de Megan Rapinoe enchaînent les succès. Cela a notamment été le cas lors des deux dernières Coupe du Monde, en 2015 puis lors de l’édition 2019 en France. Cependant, elles sont bien moins payées que leurs homologues masculins, malgré des résultats bien meilleurs, ce qui a poussé les membres de l’équipe féminine à lancer dès 2016 la campagne #EqualPlayEqualPay. Pour les joueuses, la fédération est en infraction puisqu’elle ne respecte pas le Equal Pay Act qui promet une rémunération égale pour les femmes par rapport à un travail similaire effectué par un homme. La plainte est déposée le 8 mars 2019 et nous vous résumions bien la situation à l’époque dans un de nos articles. Les revendications sont donc simples, mais lorsque la procédure judiciaire a commencé, les chiffres sont arrivés et en ont surpris plus d’un. La somme des compensations que l’USSF devrait verser aux joueuses, sous la base salariale qui est appliquée par l’équipe masculine, monte à 66 millions de dollars.

Tout d’abord, il est important de préciser que le salaire et les compensations de la sélection féminine ont été négociés indépendamment de leurs homologues masculins. Les deux entités possèdent leur propre syndicat de joueurs, qui ont négocié des contrats spécifiques et d’ailleurs, les joueurs et les joueuses possèdent des systèmes de rémunération bien différents. Du côté des hommes, comme dans la plupart des sélections nationales, les rémunérations se font en fonction des sélections et des matchs joués avec l’USMNT. Pour la sélection féminine, c’est quelque peu différent. Les joueuses sont payées par l’USSF si elle joue en National Women Soccer League (NWSL, la D1 féminine en Amérique du Nord) et possèdent des garanties que l’équipe masculine n’a pas, comme une assurance médicale, des cotisations de retraite, des congés de maternité et les fameux salaires mensuels. Selon la Fédération, l’USWNT avait l’opportunité de signer un contrat « pay to play », comme le système de l’USMNT, mais a refusé pour les garanties qui viennent avec le système actuel. Seulement, bien évidemment sous le système dit du « pay to play », les revenus par match auraient été bien inférieurs que ceux attribués à l’équipe masculine et c’est ce qui est reproché à la Fédération.
L’USSF se justifie en disant qu’ils ne sont pas en tort, puisqu’ils ont négocié un contrat avec l’union des joueuses de l’USWNT, qu’elles ont accepté. De plus, la Fédération explique effectuer bien plus de dépenses dans l’équipe féminine plutôt que dans l’USMNT.

Si la Fédération dépense bien plus dans l’équipe féminine, comment se fait-il que l’USWNT est toujours bien moins payée que les joueurs de l’USMNT ? La raison est simple, les hommes ont des revenus (notamment grâce aux contrats télévisés et aux sponsors) ainsi que des dotations FIFA bien plus importants. Selon l’USSF, elle-même ne pourrait pas combler les 66 millions de dollars de différence qui séparent les hommes des femmes, puisqu’elle ne contrôle pas ces revenus. Pour prendre un point de repère, l’équipe masculine a amassé neuf millions de dollars pour sa participation en huitième de finale lors de la Coupe du Monde 2014. De son côté, l’USWNT n’a gagné « que » 800.000 dollars en 2011 pour leur deuxième place et deux millions pour leur victoire finale en 2015.

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Les excuses et raisons des différences salariales avancées par l’US Soccer Federation étaient donc plutôt justifiées et de nombreux médias n’hésitaient pas à avouer que même si des solutions intermédiaires existaient – comme l’instauration d’un pot commun pour l’argent amassé par les deux sélections, comme il existe en Australie – la somme de 66 millions de dollars américains était bien trop grande.

Cependant, la Fédération a réussi à se mettre l’ensemble de l’opinion publique derrière elle avec certaines déclarations pendant le procès. Ne pensant pas que l’argument des revenus associés à la FIFA et aux sponsors serait suffisant, elle a décidé d’en ajouter d’autres bien plus maladroits.

L’USSF a en effet annoncé, dans sa défense, que sa décision de ne pas payer l’USWNT avec les mêmes bonus par match était due au fait « qu’il y avait des différences importantes en termes d’exigences physiques pour jouer dans la sélection féminine, comparée à la sélection masculine », ce qui invalide donc l’argument du « à travail similaire, salaire similaire », puisque les femmes auraient moins d’efforts à fournir que les hommes, toujours selon la Fédération et feraient donc un travail différent.

Durant les nombreuses auditions, des questions étranges ont ainsi été posées par les avocats de la Fédération à certaines joueuses de la sélection, comme Carli Lloyd ou Alex Morgan. Par exemple, les championnes du monde ont été demandées si elles avaient été victorieuses lors d’un match face à la sélection masculine allemande. Lloyd a répondu avec humour qu’un match devrait être organisé pour voir, avant de demander à l’avocate si elle pensait faire un travail différent de ses collègues masculins, comme la Fédération le prétend avec le soccer. La réponse de l’avocate : « Il n’y a pas d’entreprises séparées pour les hommes et les femmes dans le monde du droit », ce à quoi Lloyd conclue « certes, mais c’est le même travail ». Les championnes du monde furent également demandées si les compétences étaient les même pour jouer en équipe masculine et féminine, ce à quoi elles répondirent positivement.

Dans d’autres documents plus récents, la Fédération argumente également que les « capacités footballistiques » de l’équipe masculine sont plus influencées par des attributs physiques. Prenant appui sur la déposition de Lloyd, qui dit que l’USWNT ne pourrait pas s’imposer face à des niveaux supérieurs aux U16/U17 masculins, la Fédération se défend de tout sexisme, s’appuyant selon eux sur « la science » : « Le travail des joueurs de l’USMNT (contre d’autres sélections masculines) nécessite des capacités de haut niveau plus avancées, basées sur la force et la vitesse, que le travail des joueuses de l’USWNT ». La fédération argumente également que les joueurs de l’équipe masculine font face à une compétition plus dure, puisque le soccer masculin est plus compétitif, et également que l’USMNT est confronté à des environnements plus hostiles. Selon l’USSF, les compétitions en Amérique du Nord par exemple se jouent avec des supporters plus féroces que lors des matchs de l’USWNT, avec de nombreuses rivalités et des affluences plus grandes.

Assez logiquement, l’USWNT a répondu que le fait qu’elle n’ait pas gagné deux Coupe du Monde face à des sélections masculines n’avait aucun sens et que les efforts et responsabilités étaient les mêmes. L’opinion publique mais aussi de nombreux acteurs du sport américain, comme le sélectionneur de l’USMNT Greg Berhalter, ont condamné la défense de l’USSF sur les réseaux sociaux.

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Via NY Times

Suite au tollé qu’ont provoqué ces documents, la Fédération américaine a dû réagir rapidement. Cependant, assez maladroitement elle le fit en pleine ‘She Believes Cup’ (une coupe se déroulant aux Etats-Unis annuellement), le 7 Mars 2020. Carlos Cordeiro, le Président de l’USSF, a annoncé qu’il présentait à l’USWNT un nouveau contrat, avec notamment des compensations similaires à celles des hommes. Outre le timing pas réussi (les joueuses jouaient leur premier match le lendemain et à la veille de la journée des femmes), le problème est que l’USSF fera des compensations similaires exclusivement sur les matchs qu’elle contrôle et organise. C’est-à-dire, aucune des compétitions internationales ou régionales, qui sont gérées notamment par la FIFA. Un bien maigre pactole finalement que les joueuses ont refusé, préférant attendre le procès qui doit s’ouvrir le 5 mai 2020.

Dans la foulée, voyant la situation s’envenimer, de nombreux sponsors ont défendu les Championnes du Monde en titre. Volkswagen, Coca-Cola, Budweiser, Visa et Deloitte ont ainsi condamné les propos de la fédération. Les groupes de supporters des franchises NWSL ont publié une déclaration commune pour dénoncer la situation et, pendant l’échauffement des matchs en ‘She Believes Cup’, l’USWNT a joué avec un maillot porté à l’envers. Celui-ci laissait entrevoir les bordures du logo de la Fédération, sans néanmoins montrer le contenu, mais laissait bien visible les 4 étoiles des coupes mondiales que les américaines ont remporté.

Le 12 mars, Carlos Cordeiro publie un communiqué, s’excusant pour ses propos et le langage utilisé, qui ne reflète pas les valeurs de la Fédération. L’effort est bien trop faible et bien trop tardif, alors que Grant Wahl, l’un des (sinon le) journalistes spécialisés soccer les plus connus aux Etats-Unis, publie un éditorial dans Sports Illustrated demandant le renvoi de Carlos Cordeiro. Finalement, Carlos Cordeiro annonce qu’il démissionne le 12 mars 2020, sans en parler à ses collaborateurs.

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Cindy Parlow, nouvelle présidente de l’USSF, devant Carlos Cordeiro (via The Athletic)

La Fédération est-elle prête à repartir sur de nouvelles bases, maintenant que Cordeiro n’est plus à sa tête ? Cela reste peu probable. Sa réputation est extrêmement ternie par les propos qu’elle a tenu sur ses joueuses ce qui n’était pas non plus une première. En 1999, la Fédération avait refusé une augmentation des compensations de l’USWNT, pourtant fraîchement Championnes du Monde, avant les Jeux Olympiques de 2000. Pour un tournoi de janvier, l’USSF prit même la décision de ne sélectionner aucunes des joueuses mécontentes et y envoya un groupe de jeunes.

L’USSF est donc présidée aujourd’hui par Cindy Parlow Cone, ancienne joueuse de l’USWNT, qui occupe le poste en attendant une nomination permanente. C’est la première femme à tenir ce rôle, mais cela ne promet pas un dénouement facile du conflit opposant la sélection féminine à la fédération. Cette dernière est également sans Directeur Commercial, puisque Jay Berhalter (frère du sélectionneur) est parti en février. De son côté, Dan Flynn, le Directeur Général, a pris sa retraite il y a un an et malgré qu’il l’ait annoncé en amont, l’USSF n’a toujours pas trouvé de remplaçant. Parlow Cone est donc maintenant seule à la tête d’une Fédération qui, en plus du procès face à l’USWNT, est aussi en pleine bataille judiciaire avec Hope Solo (ex-gardienne de la sélection, aussi pour discrimination salariale) ainsi que face à la NASL (une ancienne ligue, qui accuse l’USSF de privilégier l’USL et la MLS).

Le 17 mars, une des dernières joutes médiatiques entre la Fédération et l’USWNT eut lieu, les premiers ayant entre temps changé d’avocats avec la démission de Cordeiro. L’USSF a enlevé de sa défense toute notion autour des différences d’efforts physiques requis pour les joueurs masculins comparé à leurs homologues féminins. Cindy Parlow Cone a également voulu rassurer les fans des Yankees, en proclamant que le langage utilisé dans les précédentes déclarations était « offensif […] et ne représentait pas les valeurs de la Fédération ». Ses déclarations, ainsi que les déclarations de nombreuses joueuses américaines se déclarant contente de voir Parlow Cone à la tête de l’USSF, devrait calmer la situation sur le court-termes.

Malheureusement, la pandémie mondiale du Covid-19 semble pousser la date du procès, prévu pour le 5 mai, à une échéance plus tardive. Les médias manquant de contenu avec l’arrêt des saisons en cours, la discussion autour d’un salaire similaire devrait reprendre de plus belle et ne pas s’estomper sur les réseaux sociaux. La nouvelle présidente va devoir, à distance, calmer le jeu et se poser en négociatrice venue en paix pour pouvoir sortir la Fédération Américaine d’une des nombreuses crises qui semble l’accabler.

Antoine Latran

Co-créateur de Culture Soccer. Ancien rédacteur Soccer Nord-Américain pour Lucarne Opposée. Fan de MLS depuis une balade dans Seattle un jour de match, j'écris sur Culture Soccer sur la MLS, la NISA, la sélection américaine, ainsi que sur des sujets mêlant le sport à la culture, la politique et l'économie.

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