“Un joueur aussi imprévisible pour lui que pour ses adversaires”: L’Énigme Brek Shea

« Un joueur comme Brek Shea arrive à être aussi imprévisible pour ses adversaires que pour lui-même » a un jour déclaré Jurgen Klinsmann, le sélectionneur des Etats-Unis de l’époque. Le 24 juin 2013, l’international américain de Stoke City en Premier League anglaise, est encore une fois sous le feu des critiques. Seulement un mois après avoir été impliqué dans une farce de mauvais goût où un de ses coéquipiers avait placé une tête de porc dans le casier d’un autre joueur de Stoke de confession musulmane, Dane Brekken dit ‘Brek’ Shea fait de nouveau les choux gras de la presse.

Le voilà, cette fois-ci, posant sur Instagram avec deux fusils à pompe, un dans chaque bras, vêtu d’un marcel aux couleurs des États-Unis alors qu’il est en vacances dans son Texas natal pendant la trêve estivale. Des deux côtés de l’Atlantique, les médias l’attaquent par rapport à l’irresponsabilité de son acte et il s’attire les foudres de deux fan-bases qui, pourtant, le jugent de manière extrêmement différente. De l’Angleterre, les fans de Stoke City le voient comme un des transferts les plus inexplicables de l’histoire du club, acheté pour quatre millions de dollars au FC Dallas et, pour le moment, seulement auteur de deux matchs et de la frasque mentionnée plus haut. Du côté des États-Unis, les fans de la sélection y voient un énième espoir déchu de l’USMNT, dans la foulée du trop connu Freddy Adu.

Le milieu offensif ou latéral gauche est devenu, au fil des saisons, un réservoir à blagues, voire un ‘meme’, pour les fans de soccer nord-américain. Pourtant, derrière les coiffures exubérantes et les accoutrements étranges se cache un vrai talent, qui a surtout été victime du système de formation défaillant des États-Unis à l’aube des années 2010.

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Bobby Warshaw et Brek Shea (via Zimbio)

Brek Shea fait partie de ces joueurs qui ont grandi en attirant de nombreux regards. À 15 ans, après avoir gagné quatre championnats régionaux à Houston avec le Texas SC, il est envoyé à l’IMG Academy. Ce centre de formation, similaire au Clairefontaine français, fermé en 2017, offrait aux jeunes pépites de la sélection américaine une formation intensive au niveau U16 et U17 (en l’absence de vraie développement en MLS). Brek Shea y évoluera de 2005 à 2007, recevant au passage ses premières sélections sous le maillot des Yankees avec 24 matchs joués et la jolie bagatelle de 18 buts en U17, le tout en deux années seulement. Déjà à l’époque, à cause de son gabarit et de son talent technique, une attente se créé autour de lui : « J’ai joué contre lui au lycée, car il était à l’IMG Academy où s’entraînaient les U16 et U17 américains et il y avait définitivement un engouement autour de lui. Il était extrêmement athlétique pour son âge et en même temps techniquement au-dessus », se rappelle Bobby Warshaw, contacté par nos soins. Après la saison 2007, alors qu’il s’entraîne en Angleterre à Bolton, il possède de nombreuses options devant lui, notamment celle de partir à l’université pour effectuer quelques saisons dans le College Soccer, passage quasi obligé dans les années 2000. A l’époque, il n’y a pas ou peu d’académie en Major League Soccer et les meilleurs éléments sont draftés et considérés comme jeunes en devenir, même après 22 ans. Cependant, malgré une famille d’universitaires (ses deux parents sont des professeurs en sciences), Brek Shea est peu tenté par les études. Les cours l’ennuient et il ne veut parler que de sports et surtout, de soccer, malgré la réticence de certains dans sa jeunesse qui veulent le pousser vers des activités plus lucratives, comme le football américain.

À la MLS Superdraft 2008, Brek Shea est sélectionné au premier tour par le FC Dallas, qui avait le deuxième choix. À l’époque, les jeunes sortant de l’IMG Academy et de la sélection U17 des États-Unis peuvent en effet être draftés directement et il est ainsi le seul joueur du Top 5 de la Superdraft à avoir moins de 18 ans. Le voilà propulsé en Major League Soccer, dans un effectif qui aura terminé deuxième de sa conférence la saison d’avant. Il s’entraîne avec l’équipe première et fait ses débuts le 20 avril 2008 avant de malheureusement connaître sa première blessure grave en septembre, un problème qui deviendra récurrent dans sa carrière. Il aura tout de même le temps d’impressionner Kenny Cooper, illustre attaquant américain qui jouait à l’époque à Dallas : « J’adore Brek Shea », dit-il dans une interview neuf ans plus tard, « à 17-18 ans, il avait une vitesse et des capacités balle au pied que je n’avais jamais vu. Ce mec a tellement de talent, peu importe la position où tu le mets sur le terrain. Il peut jouer arrière gauche, plus proche du but, plus en défense… Il est capable de tant de choses ! ». Absent pendant toute la trêve hivernale et le début de saison 2009, il revient en force en mai de cette année, avant de s’établir comme véritable titulaire au courant de la saison 2010.

Lors de cette première saison, il jouera principalement arrière gauche, mais l’entraîneur de l’époque, Schellas Hyndman, décidera en 2011 de le faire jouer un peu partout. Tout d’abord, en défense centrale, puis en tant qu’arrière gauche, avant que la blessure du milieu offensif gauche, David Ferreira, l’oblige à revoir ses plans. Hyndman le met au milieu de terrain, sur l’aile gauche, un poste que Brek Shea ne quittera plus. Soudainement, ce sera l’explosion.

 

Le but de Shea face au Kansas City d’Aurélien Collin

Meilleur buteur de la saison 2011 de Dallas avec 11 buts, l’ailier éclabousse la ligue par son talent technique et de ses nombreux dribbles. Aurélien Collin, alors l’un des meilleurs défenseurs de MLS du côté de Kansas City, se souvient particulièrement du jeune et longiligne attaquant : « Il nous avait mis un très beau but en nous passant, surtout en me passant et en dribblant toute la défense, il était vraiment talentueux ». Indéniablement, à 21 ans, le jeune homme a du talent balle au pied et une aisance surprenante malgré son physique athlétique. Il enchaîne les nominations dans les équipes de la semaine, il est sélectionné à l’All-Star Game 2011 (mais il n’y jouera pas, à cause d’un match en Concacaf Champions League dans la même semaine) et finira même troisième à la course au titre de MVP de la saison. Dwayne de Rosario écrasera toute concurrence cette année-là, mais Brek Shea devancera tout de même son coéquipier en équipe nationale, Landon Donovan, alors quatrième. C’est en effet cette saison et surtout après l’arrivée de Jurgen Klinsmann à la tête de la sélection américaine que Brek Shea deviendra un joueur régulièrement appelé par l’USMNT et il obtiendra huit sélections en 2011. Une saison en véritable rêve, qui sera ponctuée par un essai à Arsenal, où Arsène Wenger passe proche de le signer, « ce qui n’était une surprise pour personne », nous dit Bobby Warshaw, son coéquipier à Dallas. « A 21 ans, il était dans le top 3 de la ligue, forcément en Europe son nom commençait à circuler ». D’autres clubs anglais comme Manchester City ou Liverpool s’intéressent aussi à ce jeune américain mais sous les conseils de Klinsmann, Brek Shea décide de rester à Dallas pour une saison supplémentaire.

La saison 2012 sera probablement celle de trop. Malmené par de nombreuses blessures, l’Américain connaît également des difficultés, comme tout l’effectif de Dallas sous les ordres de Schellas Hyndman. Il y eut plusieurs frictions entre les deux hommes durant la saison et Shea ne marquera que trois buts en MLS. Blessé en fin de saison, il signe en janvier 2013 pour Stoke City, qui joue alors en Premier League, pour la jolie somme de quatre millions de dollars.

Shea_Stoke_Daily Mail
Shea sous le maillot de Stoke City (via Daily Mail)

Malgré des débuts dès le 23 février 2013, le rêve anglais passe rapidement au cauchemar, lorsqu’une série de pépins physique l’éloignent des terrains. L’entraîneur Tony Pulis, qui avait pourtant dit que du bien lors de son transfert, le retire petit à petit de l’équipe et critique son investissement et son état physique. Il ne jouera pas de la saison, mais reviendra en fin d’année et, malgré les frasques mentionnées en introduction, il restera dans les petits papiers de Jurgen Klinsmann. L’entraîneur allemand n’écoutera pas les critiques récurrentes auquel l’attaquant est confronté et le sélectionne pour la Gold Cup 2013. Bien l’en pris, puisque Brek Shea et l’USMNT gagneront le trophée et l’ex-joueur de Dallas s’offrira même le luxe de marquer en finale. Présage d’un retour tonitruant de l’Américain à Stoke City ? Il n’en est malheureusement rien, puisqu’il se blesse à nouveau lors de la présaison et sera indisponible jusqu’en décembre 2013.

Alors qu’il revient en forme, il est prêté en deuxième division anglaise pour la seconde partie de la saison 2013-14 à Barnsley, le 1er janvier 2014. Malgré des débuts convaincants en Championship, l’expérience tourne court puisqu’il sera relâché en mars 2013, à cause d’un doigt d’honneur adressé à ses propres supporters lors de tensions lors d’un derby face à Huddersfield Town, où les coéquipiers de Shea seront battus 5 à 0. De retour dans le groupe de Stoke City, qui lutte âprement contre la relégation, l’international américain ne sera pas utilisé et sera prêté à Birmingham au début de la saison 2014-2015 (D2 anglaise). Avec seulement six apparitions en trois mois, Stoke City s’entend avec la MLS pour le rapatrier au pays en décembre 2014, pour un transfert dont la somme ne sera pas divulguée. Il arrive alors au Orlando City SC, un club d’expansion qu’il faut bâtir entièrement.

S’ouvrent alors de nombreux débats entre fans sur l’arrivée de l’Américain. D’un côté, les optimistes, qui entrevoient la possibilité de revoir le diamant brut de Dallas et de l’autre, ceux qui le voient dépassé après deux années quasi blanches au Royaume-Uni. Quelques semaines après sa signature, Shea rassure les fans d’Orlando puisque, toujours apprécié par Klinsmann, il s’illustre sous le maillot américain en marquant un but lors d’un match amical  face au Chili, perdu 3-2. En Floride, l’effectif qui se trouve entre les mains d’Adrian Heath apparait solide pour la première saison, avec des vétérans comme le ballon d’or 2007 Kaka et le défenseur français Aurélien Collin, ainsi que des jeunes pousses comme Cyle Larin. « Brek Shea est une des touches finales de notre effectif, qui possède déjà de nombreux talents », dira Phil Rawlins, le président d’Orlando. Il n’est alors pas signé comme joueur désigné (mais est à la limite salariale) et est pressenti pour jouer milieu offensif gauche. Cependant, le coach reverra vite sa copie : « On avait vu notamment en sélection nationale qu’il pouvait jouer comme arrière gauche et qu’il avait de bonnes capacités défensives. Ça n’allait vraiment pas quand il était devant, donc il est vite descendu sur le terrain », nous raconte Aurélien Collin. Avec seulement 19 matchs joués, cette première saison sera compliquée mais Adrian Heath mettra cela sur le compte des blessures : « En bonne santé, grâce à ses attributs physiques incroyables c’est un joueur qui fait vraiment la différence », dira-t-il. « C’est rare les athlètes de son gabarit qui sont si à l’aise avec le ballon. Je pense que les gens ne se rendent pas compte à quel point il est bon balle au pied. Il doit maintenant prendre l’hiver pour se reposer, car il a été à 70% physiquement toute la saison ». Les fans semblent être jusque-là plutôt satisfaits de son rendement, puisque son maillot sera l’un des plus vendus de la ligue cette année-là.

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Brek Shea et Kaka lors de la saison d’expansion d’Orlando (via Space Coast Daily)

La saison 2016 débutera d’une belle manière avec 17 titularisations en 18 matchs pour Brek Shea mais petit à petit, Adrian Heath puis son remplaçant Jason Kreis le sortiront du onze de départ. Alors que Jurgen Klinsmann commence à être contesté pour ses choix douteux, il ne convoque pas l’arrière gauche pour la Copa America Centenario, jouée à l’été 2016. Un réel tremblement de terre pour de nombreux supporters américains et journalistes, surtout après qu’il ait été remplacé par Brad Evans, un joueur de couloir qui n’a jamais impressionné avec les USA malgré de bonnes performances à Seattle. Shea est finalement échangé aux Vancouver Whitecaps le 27 janvier 2017 contre Gil Barnes.

Au Canada, Brek Shea devient ‘joueur désigné’ et ses débuts sont compliqués à cause de blessures récurrentes lors de la présaison. Carl Robinson, l’entraîneur des Whitecaps de l’époque, veut le repositionner en attaque et voit en lui un joueur capable de donner des caviars précieux à Freddy Montero, attaquant de pointe également arrivé lors de ce mercato hivernal. Malheureusement, le plan de jeu désastreux en ‘kick and rush’ (un style de jeu consistant à dégager le ballon loin devant et contre-attaquer rapidement) estpeu adapté à la l’inclination qu’a Shea à mettre le pied sur le ballon. Avec en plus  la montée en puissance d’un jeune Alphonso Davies au poste de milieu offensif gauche, Vancouver, après 53 matchs et 7 buts en deux saisons, décideront de ne pas le garder. Laissé libre, le 30 décembre 2018, l’international américain qui n’aura plus été appelé depuis son transfert au Canada signe pour le champion MLS en titre, Atlanta United. Le transfert en surprend plus d’un, mais Atlanta a besoin d’un arrière gauche à cause du départ de Greg Garza et ne veut pas surmener le jeune George Bello, à qui le poste semble promis dans le futur. Brek Shea signe alors un contrat d’un an et délivre des prestations plus que solides malgré les choix tactiques douteux de Frank de Boer à la tête des Five Stripes. Matthew Doyle, un des consultants de la MLS, dira même au début de saison qu’il est un prétendant (certes prématuré) au titre de Comeback Player of the Year. Malheureusement en juillet son corps le lâchera une fois de plus et Brek Shea connaîtra une rupture des ligaments croisés qui mettra fin à sa saison 2019. Son entraîneur, Frank de Boer, parlera même d’un « genou en miettes », une phrase qui choquera le joueur qui lui répondra, sur Twitter, qu’il sera bientôt de retour. Pour le moment, cependant, aucune équipe ne l’a resigné. Le mercato d’hiver en MLS est ouvert jusqu’en mai mais personne n’a tenté le pari Brek Shea, même si des rumeurs parlent d’une arrivée potentielle du côté de la réserve de l’Inter Miami, en USL League One… Le troisième échelon américain.

 

D’un finaliste au trophée MVP aux divisions inférieures en moins d’une décennie : Brek Shea aura connu un parcours surprenant, qui n’est pas terminé mais qui intrigue. L’Américain n’est pas un joueur qui laisse sans opinion, il divise et fascine à la fois. Artiste à ses heures perdues, il n’hésite pas à peindre pour des œuvres de charité et possède son propre studio, left foot studio. En même temps, ce côté artiste lui a valu de nombreuses moqueries, comme lorsqu’il décide de célébrer ses buts avec une main lui couvrant la face, à la façon de Alec Monopoly, un artiste de rue connu pour son anonymat.

La vérité, c’est que Brek Shea n’est pas un homme comme les autres et forcément, sa personnalité hors du moule et surtout, hors des carcans des footballeurs professionnels, se retrouve plus souvent dans les gros titres que ses capacités footballistiques pourtant plus que respectables. En dehors mais aussi sur le terrain, Brek Shea est un artiste et son style de jeu s’en ressent. Malgré un gabarit d’athlète et sa capacité d’accélérer balle au pied, c’est un joueur qui aime se poser sur le ballon et démontrer tout son talent avec celui-ci. Roulettes, talonnades, passes à l’aveugle ou crochets, Brek Shea possède un éventail de ressources qui n’a jamais été utilisé efficacement par ses entraineurs. Comme l’écrivait the Bleach Report, « Non seulement pour son origine texane mais surtout pour sa nonchalance, il y a du Clint Dempsey en Brek Shea ».

C’est un joueur qui s’est battu et n’a pas connu une enfance ‘normale’, ce qui a pu créer une certaine maladresse sociale et lui donner ce côté introverti. Lycéen, il devait se rendre tous les jours à l’entraînement après l’école, à une heure et demie de chez lui, puis revenir à 23h30 en faisant ses devoirs en voiture. Un quotidien éreintant à moins de 15 ans. Il n’a jamais réussi à se concentrer en cours, mettant toujours le sport en avant ce qui explique son choix, au sortir de l’IMG Academy, de privilégier une entrée directe au FC Dallas plutôt qu’un passage par le College Soccer, alors qu’il avait pourtant un accord informel avec la Wake Forest University. Cette jeunesse volée par le sport restera un problème dans le vestiaire du FC Dallas, où très peu de joueurs auront son âge. Pendant trois ans, âgé de moins de 21 ans, il ne peut suivre ses coéquipiers dans leurs tournées de bars après les victoires et sans permis voiture, il se déplace par scooter ce qui attire les railleries de ses coéquipiers. « Brek est devenu une sorte de blague, mais il faut vraiment se dire que c’est un élève du sport, il adore le soccer. Les gens pensent qu’il est stupide, mais ce n’est pas le cas. C’est juste le ressenti qu’il donne en arrivant de l’IMG Academy parce qu’il n’a pas eu une adolescence normale, il était coupé du monde pendant deux ans, donc socialement il est un peu étrange. Mais en termes de football, c’est un mec très intelligent », décrit Bobby Warshaw.

Schellas Hyndman, Brek Shea
Shea et Schellas Hyndman, l’entraîneur de Dallas (via American Soccer Now)

Pourtant, Brek Shea était bel et bien un chouchou des fans de Dallas, même au-delà de sa saison record en 2011. Le Dallas Observer écrivit sur lui, cette année-là, cette phrase qui résume bien le sentiment qu’il y a autour de sa personne « Il est beau, grand et a un accent du Texas quand les autres stars de la MLS sont soit latinos, soit un Anglais avec un accent bourgeois, soit un Français ». Il était la tête d’affiche du FC Dallas. Malheureusement, il fit les frais d’un grand problème qui se posait à l’époque, dans une MLS qui était bien différente de celle que l’on connait aujourd’hui.

Après une formation à l’IMG Academy qui laissa des traces, l’environnement à Dallas n’était pas le meilleur pour grandir et s’améliorer – bien loin de l’image du club aujourd’hui, qui est connu comme l’une des meilleures franchises formatrices en MLS. Le coach, Schellas Hyndman, venu du College Soccer, était de la génération des coachs MLS « 1.0 » pour lesquels la tactique passait au second plan. Il était un motivateur, un leader dans le vestiaire, mais ne donnait pas les conseils qui auraient pu contribuer à développer la marge de progression de Brek Shea. Il l’emmena de poste en poste pendant trois ans, sans savoir que faire de cette force de la nature et on ne peut que se désoler qu’il ne soit pas né cinq ou six ans plus tard, pour pouvoir grandir dans une MLS qui a depuis appris à former des jeunes. « Sous Schellas Hyndman, c’était horrible », raconte Bobby Warshaw, qui à l’époque était un jeune drafté au FC Dallas et un proche de Shea, « personne ne s’améliorait sous ses ordres. Surtout les jeunes, car Schellas ne connaissait rien au soccer. Quand tu es jeune, on doit te parler de positionnement, de jeu sans ballon, de penser deux, trois passes en avance… Nous, tout ce qu’on avait, c’étaient des discours et des engueulades car on n’y mettait pas assez d’intensité. Il y avait zéro développement à l’époque, zéro tactique ».

Il fait aussi partie de cette génération de bons joueurs en MLS qui seront envoyés en Europe très (trop ?) rapidement. En effet, de nombreux talents s’exportent à l’époque. Nous sommes loin des sommes dépensées pour Alphonso Davies ou Miguel Almiron, mais l’Europe, convaincue par les prestations de Tim Howard ou Clint Dempsey, recrute à l’époque de plus en plus en MLS. Andy Najar, Sacha Kljestan et Jozy Altidore en profiteront pour s’imposer dans les Benelux mais Brek Shea ratera complètement son expérience outre-Atlantique, tout comme Roger Espinoza ou Kei Kamara, qui partiront lors du même mercato en Angleterre. Comme l’a dit Brek Shea, en 2012, dégoutté par l’expérience passée sous Schellas Hyndman à Dallas, il a accepté la toute première offre qui lui était parvenu, celle de Stoke City, sans réfléchir si le style de jeu de l’équipe allait lui convenir ou s’il avait des garanties de minutes jouées. « C’est normal, car j’ai du mal à expliquer ça sans être vulgaire, mais notre coach à Dallas [Schellas Hyndman] était tellement mauvais et tellement un con, que tout le monde essayait de se barrer. Brek devait partir. Comme tout le monde, il en avait marre et il est arrivé à un point de non-retour ou n’importe où, c’était mieux qu’à Dallas », explique Bobby Warshaw.

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Brek Shea sous le maillot étasunien (via l’Essentiel)

Certains pourront aussi blâmer Jurgen Klinsmann, le sélectionneur allemand de l’USMNT, qui l’aura conseillé de rester à Dallas pour une saison supplémentaire, alors qu’il était courtisé par Liverpool ou Arsenal, pour finalement l’exhorter à partir une saison plus tard. Brek Shea fait partie intégrante de cette « génération perdue » de l’USMNT, une génération qui aurait dû porter les Etats-Unis à la Coupe du Monde 2018. Derrière des aînés comme Tim Howard, Landon Donovan et Clint Dempsey, qui ont tous connu un succès surprenant pour des joueurs américains et une longévité en sélection, les jeunes de la génération de Shea ont eu du mal à s’imposer et à prendre la place des plus vieux. Cela a créé un vrai trou générationnel, qui s’est ressenti en 2018 et qui a contribué à la non-qualification à la Coupe du Monde. Entre les talents émergents comme Christian Pulisic, Weston McKennie ou Tyler Adams et les plus âgés comme Dempsey ou Alejandro Bedoya manquait à l’appel de nombreux joueurs américains.

Ces derniers ont, comme Brek Shea, fait les frais d’une formation hasardeuse et balbutiante, entre académie ou College Soccer, puis de débuts en sélection précipités par Klinsmann, qui voulait créer de futurs cadres. Maurice Edu, Tim Ream, Juan Agudelo, Timmy Chandler, Brad Guzan, Josh Gatt, Terrence Boyd, Fredy Adu, sont des exemples de joueurs qui été promis à avenir dans les plus grands clubs européens et qui ont finalement soit fait les frais de mauvais choix de coach, soit d’un retour en MLS et auront créé de nombreuses frustrations chez les fans des Yankees.

De plus, Brek Shea n’a jamais réellement semblé à son avantage à Orlando et à Vancouver. Adrian Heath jouait un soccer stérile, sans de nombreux enchaînements de passes chers à Shea et Carl Robinson, pour sa part, avait un style de jeu dépassé que l’international américain ne pouvait que ralentir. Il n’y a guère qu’à Atlanta que l’on a cru à un regain mais là encore, les blessures en ont décidé autrement. « Le problème de Brek Shea, c’est qu’il veut jouer au foot, faire du beau jeu », explique Bobby Warshaw. « Tu le vois sur le terrain il est rapide, puissant mais avant tout, il a envie de produire du jeu. Il veut jouer dans les pieds, combiner, faire des passes rapides… Orlando ne faisait pas ça, Vancouver encore moins et Atlanta, lorsqu’il n’était pas blessé, c’était juste une mauvaise équipe en début de saison sous Frank de Boer. Les contextes ne lui ont jamais été favorables ».

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Finalement, sa versatilité si appréciée à ses débuts au FC Dallas aura créé de fausses attentes et de l’incompréhension chez les fans. Si à Orlando on s’attendait à voir arriver un milieu offensif rapide, on aura finalement eu droit à un arrière gauche solide et vice versa pour son passage à Vancouver. Une particularité qui a ravie nombre de ses entraîneurs mais a frustré plus d’un supporter, incapable de savoir où Brek Shea pouvait être bien utilisé. « Après sa saison de calibre MVP à Dallas, dans les médias tout le monde parlait de Brek comme du futur de l’USMNT pour le flanc gauche de l’attaque. Je n’étais pas du tout d’accord », explique Bobby Warshaw. « C’est un joueur rapide, fort, puissant et malgré son imposant gabarit, capable d’accélérer comme peu le peuvent. Le tout, avec également la technique nécessaire pour évoluer au très haut niveau, il est à l’aise avec le ballon. Mais ce qui lui manque, c’est cette tranquillité et ce calme qu’ont les meilleurs joueurs, qui ne paniquent jamais, même sous la pression. Un peu comme Alphonso Davies en réalité. Davies est bourré de talent, mais même malgré ses fulgurances à Vancouver c’était compliqué de le voir en tant que titulaire, milieu gauche, au Bayern Munich. Il est très technique, rapide, puissant, mais pas assez calme sous la pression adverse, donc selon moi en Allemagne il est parfait comme arrière-gauche. Brek Shea, pour faire un raccourci pas évident et un peu rapide, c’est Alphonso Davies, il y a 10 ans et sans une bonne formation. Très bon sur le dribble mais s’il reçoit un ballon et qu’il est tout de suite sous pression, il se précipitera sans forcément faire le bon choix et sans agir avec le calme nécessaire [un magnifique exemple peut se trouver ici]».

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Via Top Drawer Soccer

Malheureusement donc, les supporters ne se souviendront probablement que de Shea, dans quelques années, pour ses faits d’armes. Ses doubles queues de cheval, ses dreadlocks blondes, ses mohawks teintées en rouge, ses tresses collées à la Beckham, ses conférences de presses faites en sarouels et son fameux fédora, le choix d’appeler son fils Zepplin (pas Zeppelin, Zepplin)…  Sans parler de ses nombreux, nombreux posts Instagram plus étranges les uns que les autres, qui feront dire à de nombreuses personnes qu’il n’était qu’un enfant gâté irresponsable ce qui ternira sa carrière. Cependant, tous ses coéquipiers ont gardé l’image d’un homme gentil, tout le contraire de sa personnalité publique. « C’est quelqu’un d’humble et discret, je dirai même quelqu’un de très gentil », le décrit Aurélien Collin, « qui n’avait pas du tout la grosse tête ». « C’est juste un mec sympa », acquiesce Bobby Warshaw. « Quand je suis arrivé à Dallas, j’étais un jeune homme de 22 ans, je ne connaissais personne dans l’équipe et Brek m’invitait souvent pour dîner, pour jouer aux jeux vidéo… C’est un bon ami, attentionné, qui m’a amené dans son monde. La manière dont il s’habille, se coiffe et plus globalement sa personnalité publique, c’est une blague. C’est facile de s’en moquer, mais c’est une façade, ce n’est pas le vrai Brek. C’est un mec compliqué, mais très intéressant et qui, comme tout le monde, peut aussi être con ».

 

Antoine Latran

Co-créateur de Culture Soccer. Ancien rédacteur Soccer Nord-Américain pour Lucarne Opposée. Fan de MLS depuis une balade dans Seattle un jour de match, j'écris sur Culture Soccer sur la MLS, la NISA, la sélection américaine, ainsi que sur des sujets mêlant le sport à la culture, la politique et l'économie.

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