Comme nous vous l’avons écrit précédemment, l’équipe nationale féminine américaine de soccer avait déposé une plainte exigeant l’égalité salariale. Dirigées par Alex Morgan, les joueuses ont en effet allégué que la Fédération de football des États-Unis les avait discriminé en les rémunérant moins que leurs homologues de l’équipe nationale masculine et les avait soumises à des conditions de travail inégales.
Affirmant que leur fédération avait violé à la fois la loi sur l’égalité de rémunération (Equal Pay Act ou EPA) et le titre VII du Civil Rights Act de 1964 (titre VII), les joueuses ont demandé une requête partielle en jugement sommaire. Mais vendredi le 1er mai, le juge R. Gary Klausner du Tribunal fédéral de Los Angeles a finalement rejeté la requête des joueuses et a acquiescé, en partie, à celle de la Fédération américaine.
En vertu de l’EPA, les joueuses devaient prouver qu’elles effectuaient un travail sensiblement égal à celui des joueurs masculins, dans des conditions de travail similaires et que les joueurs masculins étaient mieux payés. Dans sa décision de 32 pages, le juge Klausner a écrit que l’USWNT n’a pas réussi à en faire la preuve et a souligné que l’équipe nationale féminine avait en fait gagné davantage «sur une base cumulée et moyenne par match» que l’équipe masculine au cours de la période concernée dans la requête (2015-2019). Mais le nœud de la décision du juge était lié aux différents accords négociés par les équipes masculine et féminine.

Résumé du Jugement
Le juge Klausner a noté qu’entre 2015 et 2019, l’équipe nationale féminine a disputé 111 matchs, gagné 24,5 millions de dollars au total ce qui donne un montant de 220 747 $ par match en moyenne. En revanche, l’équipe nationale masculine a disputé 87 matchs, gagné un total de 18,5 millions de dollars et une moyenne de 212 639 $ par match. De fait, Klausner en a conclu que les preuves indiquent que l’équipe nationale féminine a joué plus de matchs et a fait plus d’argent par match que son homologue masculine. De plus, Klausner a rejeté l’argument voulant que si l’équipe féminine avait été payée en vertu de la convention collective des hommes (CBA), elles auraient gagné davantage:
« Cette approche, a-t-il dit – qui est de simplement comparer ce que l’autre aurait fait en vertu de la convention collective de l’autre équipe – est intenable dans ce cas parce qu’elle ignore la réalité que les joueurs masculins et féminins ont négocié des accords différents qui reflètent des préférences différentes, et que l’équipe féminine a explicitement rejeté les termes qu’ils cherchent maintenant à s’imposer rétroactivement. »
En ce qui concerne les bonus reçus pour avoir disputé des matchs amicaux, des matchs liés à la Coupe du Monde et d’autres tournois, Klausner a rejeté l’argument selon lequel il y aurait eu une violation de l’EPA parce que la convention collective de l’équipe féminine prévoit des «bonus inférieurs» à celle de l’équipe masculine. Il a également rejeté l’idée de considérer les primes isolément ou au cas par cas, car cela ignore les avantages que l’équipe masculine ne reçoit pas – salaires annuels versés lorsque les joueuses évoluent en NWSL et indemnités de licenciement entre autres – et donc « irait à l’encontre de l’EPA, qui définit expressément les salaires pour inclure toutes les formes de compensation, y compris les avantages sociaux. »
« L’historique des négociations entre les parties montre que l’équipe féminine a rejeté une offre de paiement selon la même structure (pay-to-play) que celle de l’équipe masculine, et que l’équipe féminine était disposée à renoncer à des primes plus élevées en termes d’avantages, tels qu’une rémunération de base plus élevée et la garantie d’un plus grand nombre de joueuses sous contrat. » a écrit Klausner.
« En conséquence, poursuit-il, les plaignantes ne peuvent pas désormais considérer rétroactivement leur convention collective comme étant pire que celle de leurs homologues masculins en se référant à ce qu’elles auraient obtenu si elles avaient été payées selon la structure pay-to-play et ses conditions de paiement appliquées à l’équipe masculine, alors qu’elles ont elles-mêmes rejeté cette structure. Cette méthode de comparaison ne tient pas compte des choix faits lors des négociations pour arriver à un accord concernant ces conventions collectives. Elle ignore également la valeur économique de l’assurance que l’équipe féminine reçoit en vertu de sa propre convention. »
Klausner a spécifié que l’une des caractéristiques déterminantes de cette convention collective est la garantie que les joueuses de l’équipe féminine seront indemnisées, qu’elles jouent ou non un match; alors qu’à l’opposé, les joueurs de l’équipe masculine ne seront indemnisés que s’ils sont appelés pour s’entraîner et jouer un match.

Cet argument concernant les conventions collectives n’a pas satisfait la co-capitaine de l’équipe féminine, Megan Rapinoe. À l’émission ‘CBS This Morning’, deux jours après le jugement, elle n’a pas hésité à contredire l’affirmation du juge selon laquelle les femmes avaient rejeté un accord similaire à celui appliqué aux hommes: « Nous avons demandé à obtenir le même contrat que les hommes et cela nous a été refusé à plusieurs reprises, non seulement au niveau de la structure mais également au niveau de la compensation totale. Si nous avions eu ce contrat, nous aurions gagné au moins trois fois plus. »
Concernant la plainte pour discrimination en violation du titre VII (rémunération et conditions de travail inférieures à leurs homologues masculins), le juge Klausner a constaté que les joueuses n’ont pas démontré de manière justiciable qu’elles étaient moins payées que les joueurs masculins. Pour ce qui est des conditions de travail discriminatoires impliquant entre autres les surfaces de terrain (gazon vs. gazon artificiel), les conditions de voyage (hôtels et vols nolisés) et les services de soutien (soutien médical et formation), Klausner a nié la demande relative aux surfaces des terrain, mais a jugé que celles impliquant les conditions de voyage et les services de soutien pouvaient aller en jugement; seul aspect positif en faveur des joueuses de l’équipe féminine.
Au sujet des surfaces des terrains, il faut savoir qu’en 2015, les matchs de la Coupe du monde féminine de la FIFA disputée au Canada et sept des dix matchs de la Victory Tour qui a suivi cette Coupe du monde ont été joués sur du gazon artificiel. La Fédération américaine avait déclaré à l’époque qu’elle économisait par rapport aux terrains composés de gazon naturel pour les matchs ultérieurs en préparation des Jeux olympiques de 2016 et qu’elle ne prévoyait pas générer suffisamment de revenus pour justifier le coût d’installation temporaire d’herbe non-artificiel. Les objections de l’équipe nationale féminine américaine ont néanmoins conduit la FIFA à mettre fin à cette pratique de réduction des coûts.
La déception des joueuses de l’équipe nationale féminine américaine était bien évidemment perceptible après le jugement défavorable du juge Klausner: « Nous sommes choquées et déçues de la décision d’aujourd’hui, mais nous n’abandonnerons pas notre travail acharné pour un salaire égal, a déclaré Molly Levinson, porte-parole des joueuses. Nous sommes confiantes dans notre requête et résolues dans notre engagement à faire en sorte que les filles et les femmes qui pratiquent ce sport ne soient pas moins appréciées simplement en raison de leur sexe. Nous avons appris qu’il y a d’énormes obstacles au changement et nous savons qu’il faut beaucoup de bravoure, de courage et de persévérance pour leur tenir tête. Nous ferons appel et nous n’abandonnerons pas. Les mots ne peuvent exprimer notre gratitude à tous ceux et celles qui nous soutiennent. »

La Fédération américaine, dont la présidente n’est autre qu’une ancienne joueuse internationale, Cindy Parlow, a publié un communiqué après le jugement. Dans ce dernier, celle-ci a déclaré qu’elle avait hâte de travailler de concert avec l’équipe nationale féminine afin de tracer une voie positive pour faire progresser le jeu aux États-Unis et ailleurs dans le monde: « U.S. Soccer est depuis longtemps un leader mondial en matière de soccer féminin sur le terrain et en dehors du terrain. Nous sommes déterminés à poursuivre ce travail pour nous assurer que notre équipe nationale féminine reste la meilleure au monde et établit la norme pour le soccer féminin. »
Le procès sur les questions relatives aux conditions de voyage et aux services de soutien devrait débuter le 16 juin prochain.