De nombreux joueurs français renommés ont foulé les pelouses de Major League Soccer depuis sa création, surtout au tournant des années 2010 quand Thierry Henry, Aurélien Collin, Sébastien Le Toux ou encore Frédéric Piquionne, pour ne citer qu’une poignée d’entre eux, étaient tous titulaires dans la ligue. Cependant, le premier joueur de l’hexagone qui a joué en MLS est l’un des plus connus de la liste mais pas forcément le plus cité lorsque l’on parle de la ligue nord-américaine. Pourtant, Youri Djorkaeff, champion du monde avec la France en 1998, aura laissé une trace profonde dans l’histoire du soccer de New York et pas seulement aux MetroStars, où il signe en 2004.
Un amoureux de New York
Si Youri Djorkaeff ne signe dans la ville qui ne dort jamais qu’en 2004, son aventure aurait pu commencer bien plus tôt. L’international français est en effet contacté dès 2001 par les New York/New Jersey MetroStars qui sentent, lorsqu’il quitte Kaiserlautern, que la MLS peut l’intéresser. Après avoir connu le très haut niveau avec le Paris Saint-Germain et l’Inter Milan, le Français a des envies d’ailleurs. À l’époque, la ligue débute mais compte déjà quelques vedettes dans ses rangs, notamment Carlos Valderrama, même si leur nombre reste bien inférieur à ce qu’elle connaîtra après l’arrivée de Beckham. Son agent et frère, Denis Djorkaeff, visitera même les installations du club, mais la MLS n’arrive pas à s’aligner avec l’offre proposée par Bolton, en Premier League. Après une excellente saison 2003-2004, ces derniers hésitent pourtant à prolonger celui que l’on appelle le Snake, à cause de son âge avancé. Les MetroStars reviennent à la charge mais n’arrivent pas à libérer une place de joueur international. Il s’engage alors à Blackburn pour une pige de trois mois qui ne sera pas couronnée de succès à cause d’une blessure à la hanche.
Alors qu’il est libéré par Blackburn, l’entraîneur des MetroStars, Bob Bradley, le rencontre à Manchester en décembre 2004 et le courant passe immédiatement. Ayant l’impression d’avoir déjà fait le tour de l’Europe, Djorkaeff est séduit par l’idée d’évoluer à New York, surtout qu’il avait de toute manière eu l’ambition d’y vivre un jour. L’idée de joindre l’utile à l’agréable est donc parfaite et il signe pour le club rouge et noir en février 2005 à 36 ans, malgré des offres de Russie ou du Qatar. Los Angeles, ville où son idole Yohan Cruyff a évolué, était également sur le coup, mais New York sera plus convaincant. Lors de sa conférence de presse, il admet avoir reçu de meilleures offres venant d’Europe mais trop intéressé par une expérience aux États-Unis, il ne pouvait se permettre de refuser. Il deviendra ainsi le premier français à jouer en MLS – mais pas le premier signé, puisque Gilles Grimandi l’a précédé avec les Colorado Rapids, mais ce dernier ne foulera jamais les pelouses de la ligue.

Djorkaeff prend rapidement conscience de son rôle d’ambassadeur : « J’ai l’impression d’être un pionnier pour les copains et, plus généralement, les Européens », dit-il lors de la conférence de presse, « une sorte de locomotive ». Il veut aussi être un symbole pour les jeunes de ce pays qui jouent pour la plupart au soccer lorsqu’ils sont jeunes mais sans continuer par la suite : « Ce serait bien que plus de joueurs viennent porter le maillot des MetroStars. C’est ce que j’essaye de faire : de donner cette image pour séduire les jeunes du New Jersey, Manhattan, Brooklyn, du Queens ou de Harlem ».
Deux saisons, des MetroStars aux Red Bulls
Alors qu’il débarque pour la saison 2005, l’effectif des MetroStars est loin d’être l’un des pires de la ligue. Tony Meolia et Jeff Agoos font partie des tauliers tandis que des jeunes comme Mike Magee et Eddie Gaven tirent leur épingle du jeu. Le tout est coaché par Bob Bradley, en poste depuis 2002 après une expérience très réussie (avec une MLS Cup) du côté du Chicago Fire. Depuis son arrivée, les choses allaient mieux dans un club réputé pour avoir une véritable culture de la loose. En 2003, il avait emmené les MetroStars en playoffs et en finale d’US Open Cup, avec notamment Tim Howard dans les buts, avant d’échouer à deux petits points des playoffs en 2004. Avec 10 buts et 10 passes décisives, la réelle star de l’effectif était surtout Amado Guevara, l’international hondurien qui avait fini MVP cette année -là.
Les médias américains qui suivent la ligue se demandent d’ailleurs où Bob Bradley fera-t-il jouer Djorkaeff, puisque Guevara joue au poste de meneur de jeu. Le Français annonce vouloir créer un duo explosif avec lui et, malgré ses 36 ans, il le fera très bien en deuxième partie de saison. En effet, blessé au début de la saison 2005, l’impact du Snake sera assez tardif mais décisif. Le numéro 10 deviendra capitaine en août, inscrira 10 buts et délivrera 7 passes décisives en 2005, le tout en 24 matchs. Il jouera également un rôle clef dans la course aux playoffs avec un but décisif face à DC United le 8 octobre, qui qualifiera les MetroStars en séries éliminatoires, avant d’être élu MVP du club. Il fera également la paire avec Amado Guevara, qui inscrira 11 buts et 11 passes décisives cette saison-là, et le Français sera choisi, sans surprise, pour jouer dans le match All-Stars de la MLS face au Real Madrid. L’effectif, rempli de joueur à peine sorti de college soccer, donne une deuxième jeunesse à Youri DJorkaeff : « les jeunes m’ont redonné de l’oxygène et du goût aux matchs », explique-t-il au podcast Banquette. Ces derniers scrutent ses faits et gestes lors des entraînements et nombreux sont ceux qui restent après les séances obligatoires pour recevoir les conseils du Snake.

Cela peut sembler, pour un œil extérieur, comme une saison réussie pour les MetroStars mais nous en sommes loin : les éclairs de génie de Guevara et Djorkaeff sauvent les apparences et, à la fin de la saison 2005, Bob Bradley est remercié avant d’être remplacé par son assistant, Mo Johnston.
Cette fin de saison annonce un tournant dans l’histoire des MetroStars. En effet, à l’intersaison 2006, la MLS annonce que Red Bull, l’entreprise de boisson énergisante, a acquis les droits de la franchise pour un montant proche des 42 millions d’euros. Un nouveau stade, spécifique au soccer, est annoncé dans la foulée. La ligue est aux anges pensant aux retombées financières de l’achat et du coup de projecteur soudain acquis. Cependant, le plus dur reste à faire sur le terrain.
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La saison commence extrêmement mal avec un litige entre Amado Guevara et Alexi Lalas, le directeur sportif, qui lui reproche d’avoir participé à des matchs amicaux en présaison au Honduras, avec Motagua. Même si l’évènement restera sans conséquence grave, tout le long de la saison, des désaccords entre l’ancienne et la nouvelle direction feront surface à intervalles réguliers. Alexi Lalas sera licencié au bout de trois matchs, soldés par trois défaites. Au bout de 12 matchs, c’est Mo Johnston qui connaîtra le même destin. Bruce Arena, natif de Brooklyn, arrivera pour remettre de l’ordre dans l’équipe. Pour Youri Djorkaeff, l’aventure sera plus compliquée qu’en 2005, avec seulement deux buts et quatre passes décisives en 21 matchs, mais son niveau de jeu reste plus que correct. Surtout, le Français est sous le feu des projecteurs lorsqu’il est vu dans les tribunes lors d’un match de la Coupe du Monde 2006 en juillet, alors qu’il était exempté de jouer avec les Red Bulls pour rendre visite à sa mère en mauvaise santé. New York arrivera en playoffs mais sortira, comme l’année précédente, au premier tour des séries. Malgré l’émergence du jeune Jozy Altidore, on sent les nouveaux Red Bulls en transition et, l’année d’après, ils signeront notamment Claudio Reyna pour tenter de s’imposer sur la scène nationale. De son côté, Djorkaeff décide de raccrocher les crampons à 38 ans.

Ce qui fait de l’expérience Djorkaeff à New York un objet de recherche intéressant, c’est l’époque à laquelle il est arrivé en MLS. En conférence de presse, lorsqu’on lui demande notamment ce qu’il pense de l’ambiance au Giants Stadium, il répond qu’il a l’habitude de jouer devant des foules vides, grâce à un passage à l’AS Monaco. En effet, il ne garde pas un très bon souvenir de la place des MetroStars dans le paysage sportif new yorkais des années 2000 : « Quand je jouais, on s’entraînait au Giants Stadium sur un synthétique, on aurait dit de la moquette. On avait des horaires d’entraînement très stricts car on devait laisser la place aux Giants et aux Jets [les deux franchises de NFL qui utilisaient le terrain, qui sera détruit en 2010] quand on avait fini. Lorsqu’on voyageait, on ne se déplaçait pas en première : on en était même très loin, tout au bout de l’avion. Rien que pour manger ensemble, le club donnait chaque jours de match, une enveloppe de 20 dollars à chaque joueur et tu mangeais où tu voulais. Certains jeunes n’étaient pas bien payés et allaient manger un burger à 3 dollars, pour garder les 17 de côté. Après, l’avantage des Américains, c’est qu’ils écoutent les conseils et s’adaptent. Je les ai aidés, on a commencé à partir au vert ensemble, à avoir des soins, un suivi de l’extra sportif. Quand je suis arrivé en MLS, dans les bureaux de la ligue, ils étaient 15. Ils sont 200 aujourd’hui et d’ici 10 ans, j’en suis persuadé, ce sera le sport numéro 1 ».
L’après carrière
La fin de l’aventure aux MetroStars est loin de signifier la fin de Youri Djorkaeff dans la ville de New York. Il l’avait annoncé lors de sa signature : il se voit en MLS comme une locomotive qui amènera d’autres français dans son sillage. Si, bien entendu, Thierry Henry arrivera quelques années plus tard aux Red Bulls, Djorkaeff ne fut pas loin d’amener bien d’autres internationaux français en Amérique du Nord. Il a notamment négocié avec la ligue pour Christophe Dugarry, mais aussi Robert Pirès, qui était proche de l’Union de Philadelphie. Plus surprenant encore, il a agi comme interlocuteur entre la MLS et Ronaldo, qu’il a connu à l’Inter Milan, et que le LA Galaxy ciblait ou encore Zinedine Zidane. En effet, après sa carrière au Real Madrid, le champion du monde 1998 reçut des offres très lucratives de la part de DC United et du Chicago Fire, qu’il a finalement rejetées.
Même s’il essaie d’y faire signer ses amis, Youri Djorkaeff est bien conscient que, contrairement à d’autres destinations exotiques, la Major League Soccer ne fait pas de cadeau : « Le joueur qui a juste en tête de venir terminer sa carrière ne tient pas deux mois », explique-t-il en entretien au Journal du Dimanche. « Je m’en suis rendu compte. Pour moi c’était un choix de vie, c’était cool et cela correspondait à une transition. J’ai vite compris que ce n’était pas si cool que ça. Comme je suis un compétiteur, je me suis pris au jeu : j’ai voulu montrer que je pouvais aussi flamber. Mais c’est un vrai défi […] Il y a une politique d’ouverture mais ce n’est pas le Qatar. Voilà la réalité du marché. »
Il reste donc très proche de la MLS, où il travaillera sur des projets d’académies, mais aussi de la sélection américaine. Son ancien entraîneur aux Red Bulls, Bob Bradley, fera notamment appel à lui lors de missions de conseil auprès de l’USMNT.
Cependant, c’est lors d’une autre opération, totalement folle et étrangement mentionnée nulle part dans les médias américains, que Youri Djorkaeff se rapprochera de la Major League Soccer. Toujours proche de Don Garber, l’ex-international français explique dans le podcast Banquette qu’il a formé un groupe d’investisseurs pour racheter le New York Cosmos. Nous sommes en 2017 et, depuis sa renaissance, le Cosmos joue en North American Soccer League (NASL), une deuxième division qui a pour ambition de rivaliser avec la MLS. Si la franchise connaît du succès sur le terrain, ses finances sont au plus bas et le dirigeant, Seamus O’Brien, veut vendre. Djorkaeff et ses partenaires ont d’abord pour souhait de s’implanter en NASL directement mais l’état moribond de la ligue, qui disparaitra à la fin de l’année 2017, les fait réfléchir à une autre stratégie. Vient alors l’idée d’emmener l’équipe en MLS. Djorkaeff passera plus de deux ans sur le projet avant d’abandonner, car la MLS n’est absolument pas réceptive à l’idée. Tout d’abord, à cause du New York City FC, arrivé en 2015, qui porte le nombre de clubs à deux dans la métropole. Ensuite, car la MLS a une autre idée derrière la tête : amener la marque Cosmos et le groupe d’investisseurs de Youri Djorkaeff à… Charlotte, où la ligue veut s’implanter (ce qu’elle fera d’ailleurs, puisque Charlotte arrivera en MLS en 2021). Cependant, pour le Français, il est inconcevable d’emmener le Cosmos en dehors de New York, tant le club est historiquement lié à la ville, et les négociations s’arrêteront là. Le club sera racheté par Rocco B. Commisso et joue actuellement en North Independant Soccer Association (NISA), au troisième échelon du soccer américain.
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Aujourd’hui, Djorkaeff passe toujours à New York même s’il a quitté la ville en 2018 pour rentrer en France. Il y a créé une fondation qui aide les jeunes défavorisés de Manhattan à s’intégrer dans la société via le football, un programme qu’il a lancé en partenariat avec l’Inter Milan. Il joue aussi au soccer sur de nombreux terrains de la ville, lors de pick-up games avec d’anciennes vedettes ou avec les passants. C’est d’ailleurs là que son fils a commencé à jouer, lui qui évolue aujourd’hui en Écosse à St. Mirren. Désormais, via sa fondation, il donne une chance aux jeunes new yorkais de développer leurs capacités footballistiques afin d’un jour, peut-être, porter le maillot d’un club local, que ce soit les Red Bulls, le NYCFC ou le Cosmos.
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