D. Cameron : Des Académies pour Développer le Soccer au Canada?

Après seulement une saison à son actif, la CanPL se démarque déjà comme une ligue d’opportunités pour les jeunes joueurs canadiens. Grâce aux essais réalisés à travers le pays, au repêchage universitaire U-Sport et à la règle des 1000 minutes pour les joueurs canadiens U-21, la ligue prend clairement le flambeau du développement des espoirs canadiens. Cependant, peut-on parler du développement des talents sans aborder l’épineux sujet des académies? Parfois polarisant, ce sujet mérite une réflexion afin d’en comprendre les nuances.

État des lieux

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Source : Impact de Montréal

Sans surprise, le concept d’académie au niveau des clubs n’est pas complètement étranger au Canada. Les trois clubs canadiens de MLS (Toronto FC, Impact de Montréal, Whitecaps de Vancouver) ont déjà une académie en place avec des résultats mitigés pour l’équipe première. Cependant, ces académies ont formé plusieurs joueurs qui exercent en CanPL ou convoqués en équipes nationales de jeunes (U-17, U-20). La MLS vient d’ailleurs d’annoncer une plateforme pour les ligues juvéniles qui inclut les académies des clubs de MLS et d’autres qui ne sont pas affiliées à un club professionnel. Cependant, aucune académie privée ne se trouve au Canada! Du côté de la CanPL, la seule équipe à bénéficier d’une académie est le FC Edmonton, seul club à avoir participé à une ligue (en NASL, de 2011 à 2017) avant le début de la première division canadienne en 2019. Les retombées de cette académie sont d’ailleurs très appréciées par l’équipe première du club, qui a pu incorporé plusieurs joueurs comme Marcus Velado-Tsegaye et Prince Amanda. Au niveau des académies privées, les instances dirigeantes sont particulièrement méfiantes à l’égard des clubs européens qui opèrent au Canada en vendant du rêve à un prix élevé. L’exemple récent de l’académie du FC Barcelone qui exerçait au Canada risque d’en refroidir plus d’un  En effet, l’entité qui gérait les académies du Barcelone au Canada, BCN Sports Service Canada, a fait faillite, en blâmant la crise du COVID-19, après avoir récolté plusieurs milliers de dollars aux parents en prévision d’un tournoi dans la ville catalane. Cette situation, en plus d’attrister les parents qui ne se sont pas fait rembourser, a mis le club dans l’embarras. Par contre, Forge FC a décidé d’utiliser le vivier local et nous a permis de découvrir le travail de l’académie du Sygma FC, fondée en 2005 par l’entraineur Bobby Smyrniotis et son frère Costa. Il n’est donc pas surprenant que le club basé à Hamilton ait recruté plusieurs joueurs passés par le Sigma FC comme Marcel Zajac, Kyle Bekker et Chris Nanco.

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Source : CanPL

Le commissaire de la CanPL , David Clanachan, a répété à plusieurs reprises que les académies, bien que très utiles, ne font pas partie de la solution préconisée par les clubs de la ligue pour former les joueurs. Il aborde des raisons relatives aux coûts, au manque d’expertise des clubs dans le domaine et aux bénéfices réels qui peuvent en être tirés. Personne ne pourra contredire le fait que d’avoir des académies peut être coûteux et que de voir partir ses joueurs sans contrat professionnel, soit d’autant plus frustrant. Cependant, au niveau de la CanPL, le modèle en place favorise les joueurs locaux et semble approprié pour offrir du temps de jeu aux joueurs sortant des académies. Évidemment, la mise en place doit être graduelle, tant pour limiter les coûts que pour bien s’adapter à la réalité du terrain. Un point de départ pourrait être la fondation d’une équipe-réserve pour chaque club, formée majoritairement de joueurs U-19. Les équipes-réserves pourraient jouer contre le même club que l’équipe première et ainsi réduire les frais de déplacement. Après quelques années d’expérimentation, des équipes plus jeunes pourraient être créées progressivement, selon différentes catégories d’âge. Des clubs semi-professionnels avec des structures solides pourraient voir leurs équipes de jeunes participer à ce genre de compétition. Avec une telle progression, la communauté sportive de chaque club ne se sentira pas menacée et pourrait même en bénéficier à long terme. En effet, avoir un club professionnel avec une académie monte les standards dans la région et donne une motivation supplémentaire aux jeunes joueurs pour se démarquer dans leurs clubs locaux.

Par ailleurs, autant les instances dirigeantes de l’Association canadienne de soccer que celles de la CanPL doivent prendre des mesures pour protéger le travail de formation des académies à travers des primes de solidarité et de formation. Au niveau de la CanPL, des mesures pourraient être mises en place en excluant de la masse salariale les joueurs formés au club ou même en obligeant les clubs à avoir sous contrat un certain nombre de joueurs formés à la maison. Les clubs pourraient ainsi être récompensés pour avoir favorisé leur académie. L’association canadienne pourrait également offrir une prime de formation lorsqu’un joueur est sélectionné en équipe nationale et ainsi reconnaitre leur travail. Des mécanismes doivent également être mis en place pour protéger le travail de formation des clubs de PLSQ et de League1 Ontario par le biais des frais de transfert ou des partenariats. À travers le monde, il existe toutes sortes de moyens utilisés pour favoriser la formation locale, il est possible de s’en inspirer pour avoir un modèle canadien intéressant. Quant aux académies affiliées aux clubs étrangers, les instances dirigeantes pourraient trouver un moyen de les obliger à s’associer avec un club déjà existant tout en respectant certains critères, notamment liés aux frais exigés et à la durée d’activité dans le pays. Ce genre de mesures éviterait que des partenaires peu scrupuleux fassent faillite après avoir encaissé des montants conséquents.

Une nécessité?

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Source : Ontario soccer

Malgré les coûts d’opération, une académie peut permettre d’avoir des retombées intéressantes au niveau sportif, financier et identitaire. D’un point de vue sportif, avoir des joueurs qui ont été formés selon les standards du club permet d’avoir une certaine qualité tant au niveau des aptitudes physiques que techniques. Les joueurs sont choisis et formés selon la stratégie sportive du club et baignent dans cet environnement depuis plusieurs années. L’académie permet de cibler les forces et les faiblesses alors qu’il y a encore une amélioration possible. Parfois, il est trop tard pour inculquer des valeurs et des habitudes à un joueur de l’équipe première. Avoir un effectif composé majoritairement de joueurs formés au club offre la possibilité d’avoir un style de jeu commun et approuvé par les joueurs à travers les années. Bien que plusieurs joueurs présents lors de la saison inaugurale de la CanPL aient affiché un bon niveau, notamment ceux passés par les programmes de formation de l’Association canadienne, les programmes provinciaux ou des académies déjà existantes, certains joueurs provenant des réseaux amateurs ont montré leurs limites. Les académies des clubs pourraient faire en sorte qu’il ne soit plus nécessaire de recourir à ce genre de joueurs pour compléter l’effectif.

 Au niveau financier, la donnée la plus connue se trouve au niveau des transferts. En formant des joueurs, un club évite de payer des frais de transfert. Également, les joueurs formés dans l’académie peuvent être transférés en échange d’indemnités de transferts assez intéressantes. Un joueur transféré contre un montant significatif peut parfois couvrir les dépenses de l’académie pour plusieurs années. Également, au niveau des salaires et d’autres frais (cours de langue, hébergement), il peut être plus économique d’avoir des joueurs formés au club qui ont une réelle envie de briller devant les leurs. Par ailleurs, les effets pourraient se voir au niveau de la billetterie et de la vente de produits dérivés du club. En effet, une équipe locale pourrait attirer davantage de foules et se démarquer des autres sports professionnels au Canada au niveau du contenu local. Par la même occasion, la vente de maillots floqués des noms des nouvelles stars ayant grandi en ville peut avoir plus de succès que d’illustres inconnus.

Évidemment, avoir des joueurs formés au club dans l’équipe première permet d’avoir une identité unique, surtout dans une ligue qui se dit être faite par les Canadiens, pour les Canadiens. Au-delà du style de jeu qui lui est propre, le club peut inculquer des valeurs et un réel attachement à ses couleurs aux membres de son académie. Cette identité lui permet ensuite de se distinguer par rapport à ses adversaires et peut même se faire connaître à l’international. De plus, avoir une identité locale peut être utile pour chercher le soutien de ses fans, des partenaires locaux et même des instances politiques, en particulier lorsqu’un club de soccer compétitionne à ce niveau avec d’autres sports professionnels dans la ville. Dans une ligue aussi jeune que la CanPL, il peut être primordial pour les clubs d’avoir le soutien de leur communauté.

De nature réaliste, je suis conscient que les académies en CanPL ne verront pas le jour en 2020, surtout avec le contexte actuel. Cependant, j’ai la firme conviction que, tôt ou tard, elles feront partie intégrante du système de formation au Canada. Également, pour les équipes nationales et le parcours des clubs dans les compétitions continentales, les académies pourront permettre de rivaliser avec les États-Unis et le Mexique qui ont un avantage démographique conséquent. Le Canada, avec sa population plus limitée, ne peut se permettre de laisser passer des talents. Malgré tout, je reste un fidèle supporter du soccer canadien et je reste confiant pour l’avenir. Pour en savoir plus, vous pourrez toujours suivre notre podcast hebdomadaire sur le soccer canadien, CS à l’érable!

Daniel Cameron

Daniel Cameron est un spécialiste du soccer canadien. Devant le manque de contenu francophone sur la Première ligue canadienne et l'absence de franchise québécoise dans cette ligue, il décide d'ouvrir son compte Twitter pour faire connaître la ligue auprès du public francophone et québécois. Présent dans le forum des Voyageurs depuis plusieurs années, il rêve d'une ligue canadienne depuis qu'il a commencé à frapper au ballon. Grand passionné de soccer, son meilleur souvenir reste l'épopée de l'impact de Montréal en Ligue des Champions 2015. C'est avec plaisir qu'il vous aidera à suivre le soccer canadien dans toute sa profondeur!

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