Darlington Nagbe peut-il emmener Columbus vers la MLS Cup ?

Passée proche de disparaître à la fin de la saison 2017 avec une relocalisation à Austin et finalement miraculé, le Columbus Crew est une équipe en pleine renaissance. C’est d’une main de maître que Caleb Porter a assemblé plusieurs éléments, dont de nombreux joueurs qui récoltes des honneurs dans la presse : en premier Lucas Zelarayan, qui est mentionné pour notre prix de recrue de l’année, est exactement le maître du jeu dont le Crew avait besoin pour passer une étape supplémentaire ; Gyasi Zardes, sur lequel nous avions écrit en long et en large, renaît en Ohio ; Eloy Room, le gardien du Curaçao découvert pendant la Gold Cup 2019, est également souvent cité parmi les meilleurs gardiens de la Major League Soccer. Sans parler de Jonathan Mensah, troisième dans le classement des meilleurs défenseurs de la ligue cette année.

Comme cela a souvent été le cas dans sa carrière, Darlington Nagbe ne récolte que peu de récompenses et surtout, n’est pas cité parmi les meilleurs milieux de terrain de la ligue. Est-ce juste le fait qu’il ait connu du succès en même temps que Diego Chara et Osvaldo ‘Ozzie’ Alonso, ou est-ce dû au style moins agressif du milieu américain ?

S’il y en a un qui le tient en haute estime, c’est bien son entraîneur Caleb Porter. Ce dernier l’a entraîné à Akron, en College Soccer, aux Portland Timbers et depuis novembre 2019, au Crew de Columbus.

Caleb Porter et Darlington Nagbe célèbrent la MLS Cup de 2015 à Portland. Photo via Herald News

Le montant déboursé par le Crew pour un transfert intra-MLS était pourtant très élevé pour amener le joueur de 29 ans à Columbus ; 1,05 millions de dollars en argent d’allocation, divisé en 700 000 $ de TAM, 150 000 $ de GAM, une place de joueur internationale, 200 000 $ de TAM en 2021 et des bonus qui peuvent atteindre 375 000 $ au total. Caleb Porter savait cependant que son ancien joueur était le bon choix et a su convaincre ses dirigeants dont le président du club Tim Bezbatchenko.

« Darlington Nagbe est un vainqueur qui a su se prouver et le genre de joueur qui peut  faire la différence dans notre équipe. En plus de sa palette technique, je crois que Darlington est un de ces personnages dont le caractère et les valeurs reflètent bien celles de notre organisation », dit Bezbatchenko le jour de sa signature.  

Il faut dire que le Crew le voulait et ne le cachait pas. À l’aube de la saison 2019, alors que Porter venait à peine d’arriver à Columbus, il avait déjà contacté Nagbe pour le faire venir. Le joueur américain avait publiquement annoncé son intention de partir d’Atlanta United, où il jouait depuis un an, mais Atlanta n’était pas vendeur.

Photo via Massive Repport

Darlington Nagbe a passé deux saisons à Atlanta où il a indéniablement été un des contributeurs clefs du succès de la franchise de Géorgie. Cette dernière l’avait acheté à prix haut ; 1,05 millions de dollars en argent d’allocation avec des bonus pouvant atteindre au total 600 000 $. C’est chez les ‘Five Stripes’ qu’il devint un des meilleurs milieux de la ligue, en étant repositionné comme numéro 8, dans un modèle de milieu box-to-box, alors qu’il avait fait l’essentiel de sa carrière à Portland sur l’aile. Tata Martino avait compris comment l’utiliser : en lui demandant de garder le ballon, en faisant la passe quand les espaces se libèrent et en avançant balle au pied lorsque nécessaire, tout en connectant la défense d’Atlanta avec les éléments rapides devant qu’étaient Josef Martinez, Miguel Almiron ou Julian Gressel.

« C’est exactement comme ça qu’on voulait le déployer dans notre équipe […] Lorsqu’il connecte les lignes, il excelle dans ce rôle à la Iniesta ou Busquets » avait décrit à l’époque Carlos Bocanegra, directeur sportif d’Atlanta.

« C’est vraiment quelque chose qui m’a attiré vers Atlanta, cette équipe adore avoir le ballon et elle a des joueurs qui le veulent et savent quoi faire de la possession. J’adore ça, donc mon rôle est de prendre ce ballon et de faire le lien entre la défense et l’attaque », explique Nagbe également à la même époque.

C’est dans cette optique et surtout dans cet effectif plein de talent que Nagbe changea soudainement, passant d’un ailier efficace mais une maigre production à Portland à un réel danger pour les défenses à Atlanta, mais dans un rôle plus reculé. Nagbe peut laisser les Martinez, Hector Villalba, Almiron et Ezequiel Barco finir les actions pour se concentrer à la distribution et à casser les lignes. Comme avec Parkhurst et Larentowicz, Atlanta avait réussi à acquérir un bon joueur de MLS et en faire un joueur modèle.

Darlington Nagbe entouré des deux stars d’Atlanta sous Tata Martino, Josef Martinez et Miguel Almiron. Photo via Atlanta United

Ce sont ces mêmes qualités entraperçues à Atlanta qui font de lui un joueur si précieux à Columbus. Dans un article de septembre dernier, il était notamment détaillé que Darlington Nagbe était deuxième en MLS en termes de nombre de passes complétées (388) et premier en pourcentage (94.4%). « C’est très probablement le meilleur milieu de terrain ici aux Etats-Unis », en dit Jim Curtin, l’entraîneur de Philadelphie ; « il ne perd tout simplement pas la balle », « Il faut essayer de le bloquer avant qu’il arrive à la balle » détaille d’ailleurs l’entraîneur de l’Union « car, une fois qu’il a le pied sur le ballon, c’est trop tard ».

C’est un compliment que partage également Frank de Boer, qui l’a entraîné à Atlanta en 2019 et l’a énormément manqué en 2020, année de son licenciement. « Il ne marque pas beaucoup, peut-être un ou deux buts par saison mais c’est vraiment le ciment entre les pierres » décrit l’entraîneur néerlandais. « Il est très important également dans le pressing car lorsqu’il perd la balle, il a la vitesse pour courir et la récupérer ». Un talent qui manquait cruellement à l’équipe de de Boer cette année, où Mo Adams défendait bien mais sans trop s’impliquer dans les tâches offensives et où Emerson Hyndman faisait tout le contraire.

Atlanta n’avait cependant pas d’autres choix que de le libérer. Nagbe voulait partir, rejoindre le nouveau projet de Columbus et son ancien entraîneur Caleb Porter, mais surtout la région qui l’a vue grandir plus jeune : « C’était compliqué de quitter Atlanta et mes coéquipiers, mais c’était l’occasion de jouer devant ma famille et mes amis. Mes enfants, mes grands-parents pourront venir me voir jouer, c’est important ».

L’arrivée de Caleb Porter, un entraîneur avec qui il a remporté la MLS Cup en 2015, a été le prétexte parfait pour le transfert : « Il était déterminant pour faire en sorte que j’arrive à Columbus, c’est quelqu’un pour qui j’ai aimé jouer et avec qui j’ai eu du succès, donc j’espère que ce sera le cas à Columbus. Je pense que c’est le bon moment, le club va dans une bonne direction ».

Darlington Nagbe est en effet arrivé dans l’an II du projet de Caleb Porter à Columbus. L’entraineur américain, choisi en même temps que le nouveau président, Tim Bezbatchenko, le duo avait la lourde tâche de reconstruire totalement le Crew après des années d’ingérences causées par l’ancien propriétaire, Anthony Precourt, qui a délocalisé l’équipe à Austin. Bzebatchenko, qui a créé le Toronto FC moderne et vainqueur de la MLS Cup en 2017, a commencé à construire un effectif de qualité en 2019 avec des joueurs comme Milton Valenzuela, Gyasi Zardes et Pedro Santos, avant de compléter l’effectif en 2020 avec Lucas Zelarayan et… Darlington Nagbe.

« Darlington est un milieu de terrain moderne, qui va être au cœur d’un système moderne » décrivait Porter à son arrivée. « Les meilleurs clubs aiment dicter le jeu avec le ballon mais ne font pas que ça. Darlington, c’est exactement ce qu’il faut pour comprendre l’évolution que nous avons. Nous allons contrôler les matchs avec le ballon, mais également le contrôler sur le contre-pressing à la perte de balle, dans la moitié de terrain adverse ».

Caleb Porter en pleine discussion avec Darlington Nagbe. Photo via Hot Time in Old Town

C’est mission réussie. Darlington Nagbe aura ébloui de sa classe – discrète encore une fois, comparée à ses coéquipiers Zardes et Zelarayan – et aura de nouveau surpris, notamment lors du tournoi MLS is Back. Dans une phase de groupes avec trois victoires en trois matchs, sept buts marqués et zéro pris, Nagbe aura été essentiel au système de Porter.

Plus de 98 % de passes réussies, tout en étant le seul joueur du tournoi à tenter plus de six dribbles lors de cette phase de poule… En les réussissant tous. « Nagbe rend tout simplement le jeu plus simple pour nous […] Lorsqu’on est en difficulté, c’est simple : on cherche Darlington » décrit son coéquipier Harrison Afful.

Toute la saison, Nagbe a donc récupéré des ballons dangereux lors des phases défensives pour l’apporter vers les éléments offensifs et contrattaquer avec efficacité.  S’il est capable de le faire avec Gyasi Zardes, Jonathan Mensah, Lucas Zelarayan et consorts, ne pourrait-il pas le faire en sélection américaine avec John Brooks, Matt Miazga, Christian Pulisic et Gio Reyna ?

Cette question nous amène à un des autres critères qui fait que Darlington Nagbe est souvent moins cité que d’autres milieux de terrain dans la ligue. Depuis son dernier match international – qui reste la défaite face au Trinidad et Tobago en 2017 qui scella tout espoir américain d’aller à la Coupe du Monde 2018 – il n’a pas reporté le maillot des Etats-Unis. Le tout, au grand dam de Gregg Berhalter, le sélectionner américain, puisque Nagbe a refusé des convocations récurrentes avec l’USMNT, préférant se concentrer « sur son club et sa famille ».

Photo via Stumptown Footy

Darlington Nagbe est en effet un personnage particulier. Discret en dehors des terrains, mais qui ose refuser des sélections en équipe nationale, ou encore aller à la confrontation avec Atlanta afin de partir du club pour rejoindre Columbus.

Ce comportement et l’attachement profond qu’il attache à sa famille peut trouver sa source dans son destin assez particulier. Né au Libéria, il a quitté l’Afrique dans les années 90 alors qu’il n’avait que 5 ans afin de fuir la guerre civile qui faisait rage. Avec sa mère, il a un temps été accueilli dans un camp de réfugiés au Sierra Leone avant d’arriver en Europe pour y rejoindre son père, Joe Nagbe, ancien joueur de Monaco, Nice et Epinal. Il n’arrivera aux Etats-Unis qu’en 2001.

Une histoire peu particulière qui marqua à jamais Nagbe, qui ne remerciera jamais assez sa mère : « C’était des temps très difficiles, en particulier pour ma mère. Elle n’avait pas encore suivi mon père en Europe et soudainement, la guerre a éclaté. La nuit, elle entendait les coups de feu, il n’y avait pas d’électricité. Mon grand frère n’avait que trois ans, elle était enceinte de moi. Elle a dû trouver un endroit où accoucher et en même temps, elle aidait les rebelles. Heureusement, elle a réussi à survivre, à rester avec nous et à fuir le pays ». Forgé par cette expérience transmise par sa mère, Darlington Nagbe n’a pas peur aujourd’hui d’élever la voix contre les inégalités, comme lorsqu’il l’a fait après le terrible meurtre de George Floyd.

Une autre chose, , qui n’a pas changé chez Darlington Nagbe au travers de ses clubs, c’est son habitude d’inscrire des buts splendides. Alors à Portland, il avait inscrit en 2011 le but de l’année en Major League Soccer grâce à un splendide contrôle en deux temps aérien, suivi d’une frappe enroulée.

Il a récidivé en 2020 avec une autre superbe volée, remportant pour une deuxième fois le prix du but de l’année. Une performance pour celui qui ne marque que peu, mais toujours avec style.

Est-il donc l’élément qui peut apporter une deuxième MLS Cup à Columbus, après celle de 2008 ? Il en est fort possible. Darlington Nagbe fait partie de ces joueurs de l’ombre, qui brillent par la simplicité de leurs mouvements mais qui sont essentiels à la bonne transition du ballon. Un maillon qui manquait à Columbus l’an passé et qui fait défaut, sans aucun doute, à Atlanta cette année.

Avec Zelarayan, Nagbe est à l’image du Columbus Crew qu’a bâti Caleb Porter en 2020 : prêt à engranger les trophées dans ce club qui est à nouveau compétitif, malgré les tumultes des dernières années plus compliquées et de la vrai-fausse relocalisation à Austin. Amener le Crew à la MLS Cup 2020, dans la région qui l’a accueilli et le tout, devant sa famille et avec un entraîneur qui a toujours cru en lui, devient match après match un rêve réalisable pour Nagbe.  Rendez-vous dimanche soir, pour la finale de la conférence Est face à New England, pour voir s’il en est capable.

Antoine Latran

Co-créateur de Culture Soccer. Ancien rédacteur Soccer Nord-Américain pour Lucarne Opposée. Fan de MLS depuis une balade dans Seattle un jour de match, j'écris sur Culture Soccer sur la MLS, la NISA, la sélection américaine, ainsi que sur des sujets mêlant le sport à la culture, la politique et l'économie.

6 thoughts on “Darlington Nagbe peut-il emmener Columbus vers la MLS Cup ?

  1. Excellent portrait qui résume bien la carrière et les caractéristiques de Nagbe. Ca a longtemps été un joueur frustrant (en gros pendant toutes ses années à Portland) où il était effectivement placé assez haut sur le terrain (ailier comme tu l’as dit, mais parfois 10 également quand Valeri était absent), mais avec un rendement statistique assez faible, même si comme tu l’as justement dit il avait le bon goût de marquer de superbes buts de temps en temps. Je me souviens qu’il était parfois moqué comme étant l’un des meilleurs joueurs de MLS dans la première moitié de terrain, mais dès qu’il arrivait dans les 30 derniers mètres, c’était beaucoup moins impressionnant.
    Son transfert à Atlanta et son repositionnement en tant que relayeur (bravo Tata Martino pour l’idée) ont redonné un second souffle à sa carrière. Beau joueur (qui vient encore de faire un super match contre New England).

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    1. Exactement, c’est dingue comment Tata en même temps d’avoir amené Almiron, Martinez & co aura également réussi à changer des carrières en MLS comme Nagbe et Parkhurst. Super match en effet ce soir !

      J’attends d’ailleurs une réponse à ton commentaire sur l’article de Boateng , ou je t’avais répondu ! 🙂

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  2. Je t’ai répondu!;)

    Larentowicz aussi. Tout le monde l’a oublié mais avant son arrivée à Atlanta il a fait une saison assez quelconque à LA (moi qui aimais beaucoup le joueur, j’en avais conclu qu’il était fini pour la MLS), et pourtant il avait du temps de jeu et on avait grandement besoin de lui après le départ de De Jong. J’ai été le premier étonné quand j’ai vu à quel point il était crucial dans le milieu des Five Stripes.

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