Vainqueur de la MLS Cup en 2016 et 2019 avec les Seattle Sounders, Nicolas Lodeiro est un virtuose du ballon rond. Arrivé en 2016 durant le mercato d’été, l’Uruguayen se distingue par sa vision de jeu et sa grinta, qualité légendaire des joueurs de la Celeste.
Récipiendaire du titre de « Newcomer of The Year » (recrue de l’année) en 2016, Lodeiro n’a jamais remporté d’autres trophées individuels en MLS. Pourtant, c’est en grande partie grâce à lui que les Sounders ont connu autant de succès. Focus sur l’un des meilleurs joueurs de la MLS.

Les débuts d’un prodige
C’est en 2007-2008 que Marcelo Nicolás Lodeiro Benítez, communément appelé Nicolás Lodeiro, fait ses débuts professionnels avec le Nacional, un des plus gros clubs du championnat uruguayen. Avec 15 apparitions cette année-là, il fait bonne impression et va y demeurer jusqu’en 2010. Sous les couleurs du Nacional, il disputera 53 matchs toutes compétitions confondues, marquant 13 buts au total. Il remportera plusieurs titres au passage : la Primera Division, la Torneo Apertura et la Liguilla.
C’est lors de ces années que les dépisteurs de l’Ajax observeront en lui les qualités premières des joueurs prolifiques. Il suffit d’un simple coup d’œil pour remarquer son dynamisme, son talent et la qualité de son jeu technique. Il se démarque rapidement par sa rapidité et son aisance à battre ses adversaires en un contre un. Son contrôle de balle en zone restreinte ainsi que ses dribbles percutants lui vaudront des comparaisons avec son patriote Enzo Francescoli ou même le surnom de « Messi Uruguayen ».
De 2009 à 2012, avec l’Ajax d’Amsterdam, il ne jouera que très peu, mais remporta tout de même deux championnats et une coupe des Pays-Bas.

En fin de contrat en 2012, il quittera les Pays-Bas pour retourner en Amérique du Sud. C’est le club brésilien Botafogo qui rapatrie le jeune joueur de 23 ans. Si, à première vue, cette transaction pouvait ressembler à un pas en arrière dans la carrière du jeune prodige, c’était plutôt la meilleure décision puisqu’il démontrera enfin toute l’étendue de son talent. Au Brésil, il aidera son club à gagner la Campeonato Carioca en 2013 et à se qualifier pour la Copa Libertadores en 2014 pour la première fois en 18 ans.
Démontrant une excellente vision de jeu, le jeune milieu offensif offre tout son savoir-faire. Bien servi par ses habiletés de passeur et sa créativité, il arrive à donner le cuir là où d’autres en sont incapables. Il sait créer des chances de marquer et met ses complices en valeur.
Après un bref passage aux Corinthians, toujours au Brésil, Lodeiro rejoint le club mythique argentin, Boca Juniors. Aux côtés de ses nouveaux coéquipiers, il trouvera le fond des filets à neuf reprises et se fera complice de onze autres buts en 45 titularisations.
Ce fabricant de jeu versatile commence à évoluer de plus en plus en électron libre au centre du terrain. C’est sans complexe qu’il s’approprie le mythique rôle de « numéro 10 » par sa fougue et son intelligence. Il transmet le ballon entre les lignes tant et si bien qu’il fait mal paraitre les défenses adverses la plupart du temps. Il s’offre comme solution axiale ce qui permet des renversements ou de jolis une-deux ouvrant la voie vers la surface de réparation. Son jeu est inspirant pour ses acolytes qui ne se font pas prier pour en profiter.
L’appel de la MLS
Ses derniers moments avec Boca Juniors sont mitigés. Le club traverse un passage à vide et en profite pour procéder à un changement d’entraineur ce qui précipite Lodeiro vers la sortie. C’est les Sounders de Seattle qui raflent la mise via un transfert de 6,01 M$. Coup de dés extrêmement avisé puisque ces derniers qui, aidés par leur nouvel athlète, remporteront leur première coupe MLS. En effet lors de la saison 2015, juste avant son embauche, le club souffre énormément et traine dans les bas-fonds du classement de la conférence Ouest. Un électrochoc est donc nécessaire et c’est l’entraineur Sigi Schmid qui sera sacrifié en premier. Il sera remplacé par Brian Schmetzer. Le nouvel entraineur est à l’origine de ce coup qui propulsera le club vers le titre. Dès son arrivée et jusqu’à ce jour, Lodeiro a cumulé des statistiques très éloquentes. Actuellement, en 146 titularisations, ce dernier est la plaque tournante du système de jeu des Sounders, affichant un total de 43 buts et 48 passes décisives. Il est tout simplement le meilleur passeur de l’histoire de la franchise surpassant Mauro Rosales et Fredy Montero.

Analysons l’apport du capitaine sur le terrain dans son utilisation tactique
En 2016, Sigi Schmid cherchait à implanter un schéma tactique différent sur le terrain afin d’avoir un avantage sur ses adversaires. Il tenta des variantes du 4-2-3-1, mais c’est sous l’ère Schmetzer que l’équipe a vraiment bâti sa personnalité à l’ombre de ce schéma. Ses alternatives tactiques sont le 4-4-2 et plus récemment le 5-4-1.
En termes footballistiques, un 4-2-3-1 signifie une défense à quatre, cinq milieux de terrain dont trois appliquant une pression haute et un attaquant de pointe nécessitant des qualités de marqueurs extrêmement aiguisées. De ces trois milieux jouant plus haut, souvent appelé trident offensif, celui jouant le plus dans l’axe porte le surnom mythique de « numéro 10 » ; le maestro.
Déjà en 2016, Schmetzer apposait sa vision et son identité tactique. C’est avec l’aide de Cristian Roldan et Osvaldo Alonso qu’il put donner vie à son schéma. Roldan étant un joueur solide et fiable évoluant surtout sur la droite fut jumelé à Alonso qui devait assurer la liaison entre les défenseurs et les milieux. Ce rôle est principalement celui d’un agent de sécurité. Il demande beaucoup de puissance, car, il doit, entre autres, récupérer le ballon au milieu du terrain et s’assurer de transmettre le cuir à ses compères plus créatifs.
Avant l’arrivée de Lodeiro, il manquait cet élément magique qui apporterait une touche de créativité à ce duo. Voilà pourquoi Lodeiro attira l’attention de Schmetzer. Sans lui, la machine offensive n’avait pas les rouages nécessaires pour porter ses actions vers la surface de réparation. De plus, Roldan excellait à contrôler le tempo ou préparer les contre-attaques. À cette époque, Clint Dempsey jouait le rôle du #10. Avec ses faits d’armes et sa gloire bâtis en Europe, c’était le choix indiscutable sur le moment.
L’ajout de Lodeiro permit à Schmetzer d’offrir du support à droite au et au milieu de terrain pour Dempsey. Il décala Roldan aussi vers la droite, lui permettant maintenant de contrôler ce corridor avec beaucoup d’autorité. Dempsey et Lodeiro pouvaient dès lors patrouiller l’axe et le milieu droit à leur guise, s’ajustant aux situations rencontrées. Schmetzer misa sur le flair et la vision de ses deux milieux pour mousser son attaque sans les museler avec un positionnement rigide.

Cela apporta la victoire lors de la finale en MLS, mais tout n’était pas parfait. Schmetzer dut poser le geste le plus significatif de sa carrière avec les Sounders : mettre Dempsey sur le banc au profit de Lodeiro. Il en fallait du courage pour laisser sa vedette réchauffer le banc ! Lodeiro, avec toutes ses qualités, a réussi à rendre tout le monde meilleur immédiatement. Ses petits décalages incisifs et ses passes en profondeur auront sorti les Sounders d’une certaine léthargie offensive.
Depuis, les Sounders ont développé leur propre recette : progression, débalancement et finition. La progression s’appuie sur sa capacité à créer des surnombres en faveur de Seattle. Ce surnombre permet de disséquer l’adversaire par de petites passes en une touche ou en accélérant le jeu avec d’imparables une-deux.
Le débalancement consiste à tendre des pièges à la défense adverse en attaquant un point précis sur le terrain. Dès lors, la défense doit ajuster son positionnement pour répondre à l’offensive pressante. Lorsque la défense effectue cet ajustement, l’offensive renverse son point d’attaque rapidement pour profiter au maximum de la confusion et du repositionnement hâtif de la défense.
Finalement, la finition. Elle repose sur l’envie de marquer rageusement. L’apport du deuxième et du troisième attaquant qui charge la surface à la recherche d’un caviar ou d’une opportunité facile.
Les 2 diagrammes datant de 2019 démontrent par de petites flèches grises les attentes vis-à-vis de chaque joueur. Comme Lodeiro est gaucher, nous pouvons observer dans le schéma de gauche, la préférence de l’entraineur à l’utiliser en appui dans le corridor gauche. Si Brad Smith s’avance, Lodeiro assure l’équilibre en glissant un peu vers l’arrière. Si Victor Rodriguez percute, Lodeiro ira d’un dédoublement s’offrant en solution à gauche. Si la pression offensive de Seattle s’amorce de la droite, Lodeiro observera Raul Ruidiaz. Dès que ce dernier se dirige vers sa droite pour tenir la position, Lodeiro plonge alors dans l’espace comme second attaquant.

Dans le schéma de droite, Lodeiro joue le rôle d’un meneur de jeu classique dans une formation classique. Rodriguez, Jordan Morris et Ruidiaz lui dicteront ses actes. Il reste toujours en support et crée le surnombre (progression) lorsqu’il le faut. Il peut aussi opérer le débalancement pour ensuite être parfaitement positionné lors de la phase de finition.
Voilà concrètement l’immense valeur du capitaine Lodeiro. De nos jours, le légendaire « numéro 10 » tend à disparaître. Il y a deux manières de jouer au foot : de façon cartésienne ou de façon artistique, intuitive. L’intérêt actuel de tout contrôler même dans les petits détails pousse les directeurs techniques à « mathématiser » le soccer. La retombée involontaire de cette pratique est de développer des comportements programmés. Les athlètes évoluant sur le terrain analysent les pourcentages de réussite d’un positionnement ou de la réussite d’une action X ce qui ne laisse plus beaucoup de place pour l’instinct.
Exemple de positionnement en progression. Observez les surnombres évidents.

Observons ici l’échafaudage d’un débalancement.

L’apport axial de Lodeiro dans un 4-2-3-1 classique.

Lodeiro dans toute sa splendeur en # 10 positionné dans son « bureau ».

Encore une fois, le flair d’un prodige à l’œuvre repérant l’espace qu’il faut attaquer.

Finalement, l’envie rageuse de finir le travail accompli en construction (7 att. Vs 4 déf.).

Les athlètes comme Lodeiro sont peut-être les dernières opportunités de voir évoluer des joueurs libres. Des joueurs qui ne réfléchissent pas, mais qui créent le foot. C’est cette magie qui fait lever les supporters de leurs bancs. C’est cette impression de divinité qui porte ces joueurs au sommet. Le foot évolue et se transforme, mais une chose ne changera jamais : lorsqu’un joueur, porté par l’instinct et un don du ciel, s’exprime, il n’existe aucun autre sport plus passionnant.
Toutes les images illustrant les schémas tactiques en action proviennent du site www.totalfootballanalysis.com