Il y a environ 7 ans, un groupe d’entraîneurs de soccer masculin en NCAA DI a décidé d’entreprendre une réforme du College Soccer. Ce qui est souhaité par ces entraîneurs serait d’évoluer vers un modèle sur deux semestres (une année académique) au lieu d’un seul. Le but serait d’alléger une saison intense qui met à rude épreuve l’organisme des joueurs, de permettre un meilleur équilibre entre le sport et les études pour l’étudiant-athlète, d’offrir un meilleur développement sur le plan sportif et de créer des revenus afin de distribuer plus de bourses sportives. Au fur et à mesure, le mouvement grandit et une proposition de réforme nommée “21st Century Model” voit le jour.
Révélé mi-décembre 2019 au grand public (quatre mois avant le vote décisif pour son approbation), la proposition a reçu de nombreuses louanges à sa sortie, donnant espoir qu’un vote en sa faveur l’emporte. En évoluant dans un modèle à deux semestres, les joueurs basculeraient d’un rythme de championnat de deux rencontres par semaine à une seule opposition par semaine. Pour que cette réalité puisse voir le jour, une partie des 20 rencontres permissibles par la NCAA basculerait vers le semestre printanier. Le NCAA Tournament serait donc organisé durant le mois de mai et un jour de repos obligatoire serait imposé en semaine (en dehors des compétitions d’après saison régulière).
Malheureusement, suite à la crise de la Covid, le vote a été repoussé à une date indéfinie. Cette situation a créé une incertitude par rapport au futur vote pour des raisons financières. Plusieurs obstacles peuvent entraver le succès de cette réforme. Afin de comprendre l’ampleur du problème, j’ai fait le choix de traiter cinq problématiques liées au 21st Century Model qui, selon moi, témoignent des carences notoires à sa réussite.
Une estimation du taux de blessures non démontrée pour le College Soccer
Pour montrer le bien-fondé de ce changement sur la santé des joueurs, le comité d’entraîneurs engagé dans le 21st Century Model compare le taux de blessure des étudiants-athlètes avec celui du milieu professionnel et partage une donnée confirmant une diminution franche des blessures en étant sur un rythme d’un match par semaine.
Selon ce rapport, le taux de blessures d’un joueur diminuerait de 25,6 à 4,1 blessures pour 1000 heures de travail. Cependant, cette donnée n’est pas applicable au niveau du College Soccer et de son fonctionnement. La différence entre un championnat professionnel et le College Soccer est énorme. Par exemple, un joueur professionnel a une présaison d’au minimum six semaines alors que celle d’un joueur de soccer universitaire est limitée à 21 jours. Même au niveau amateur, les joueurs ne se préparent pas sur une période aussi courte. Une préparation optimale est nécessaire afin d’éviter des blessures tout au long de la saison. De plus, sachant que la réforme a pour ambition de supprimer les remplacements illimités ce qui mettrait les organismes des joueurs à rude épreuve, comment affirmer que cette réforme réduirait le risque de blessures ? D’autres facteurs sur les blessures sont à prendre en compte; le climat rugueux que connaissent plusieurs régions du pays entre le mois de novembre et celui de mars, les terrains synthétiques, la dégradation précoce des pelouses pendant le semestre d’automne puisque les installations sont partagées avec le soccer féminin, etc.
L’impact de la trêve hivernale n’est pas pris en compte. Les joueurs vont connaître une période de 13 semaines sans la moindre compétition officielle. Un seul match amical sera autorisé et le temps d’entraînement sera limité à 8 heures par semaine sur les 12 premières semaines de cette trêve. Après une période de repos aussi longue, il faut ré-athlétiser le corps pour le préparer de nouveau à un rythme de saison. Il est donc nécessaire d’avoir un temps d’entraînement conséquent tout en ayant un nombre de matchs amicaux suffisant. L’Ukraine qui a un calendrier se rapprochant le plus de celui du 21st Century Model est un très bon outil de comparaison sur la gestion d’une longue trêve hivernale et sa saison aurait dû servir d’inspiration.
Des contradictions sur le calendrier de saison
Sasho Ciroviski, est un personnage emblématique de ce sport et un des principaux acteurs dans la refonte du College Soccer. Il reste l’un des acteurs principaux et s’exprime souvent par rapport à ce changement vital.
Il y a de cela deux ans, il s’est plaint de l’organisation du NCAA Tournament en indiquant qu’il était temps d’amorcer le changement vers le modèle à deux semestres pour le bien-être des étudiants-athlètes. Il faut dire que le tournoi s’était déroulé malgré d’horribles conditions météorologiques. Des chutes de neiges ont surpris le pays au nord et au nord-est des Etats-Unis, rendant la pratique presque impossible. Des rencontres ont eu lieu sous la neige et la rencontre de Syracuse contre Akron pour le second tour du NCAA Tournament a été délocalisée. La position de Cirvoski est sensée mais contredit le bien-fondé du modèle qu’il défend. Le 21st Century Model propose qu’une partie de la saison ait lieu durant les mois de novembre, février et mars. C’est une période où les conditions météorologiques hivernales sont « extrêmes » dans des régions du pays. Si l’organisation du NCAA Tournament n’est pas acceptable en novembre, organiser une saison régulière qui se joue également en novembre, février et mars ne l’est pas non plus. Les opposants à la réforme évoquent justement cet obstacle.
Fin février 2020, Mike Noonan, qui est l’entraîneur du programme de l’université de Clemson, a défendu la réforme dans un tweet en prenant pour exemple la MLS, qui n’a pas connu de problème météorologique. Cependant, la MLS est une ligue qui n’a que 26 équipes à gérer et qui peut aisément adapter son calendrier pour passer à travers ces contraintes. Il ne faut pas oublier que pendant les premières semaines de compétition, Montréal joue en intérieur et non dehors. En NCAA, avec 206 universités ayant un programme de soccer masculin, dont plus de la moitié dans des régions au climat hivernal peu favorable, il est donc impossible de s’adapter comme la MLS. De plus, dans son histoire la MLS n’a pas toujours connu une météo favorable. Elle a même publié une liste des matchs ayant eu lieu sous la neige. Parmi eux, on retrouve l’opposition du 8 novembre 2020 entre le Real Salt Lake et le Sporting Kansas City, ainsi que celle du 2 mars 2019, les Colorado Rapids contre les Timbers de Portland, qui est connue pour être la rencontre la plus froide de l’histoire de la MLS.
Les contre-exemples sont très nombreux. Pourquoi un calendrier de saison printemps-automne n’est-il pas retenu ? Cela permettrait à tous les acteurs du pays d’évoluer dans des conditions météorologiques bien plus favorables et d’offrir sans distinction une meilleur expérience du College Soccer à chaque étudiants-athlètes.
Une réforme plus ou moins coûteuse ?
Ceux qui sont pour la réforme défendent le fait que cela n’augmentera pas les dépenses des universités, car des mesures auraient été prises, mais les opposants disent le contraire. Ce qui a été réellement entrepris est un début plus tardif de la pré-saison, permettant à ceux qui utilisent pleinement les 21 jours de préparation en août de faire effectivement des économies sur cette période. Cependant ce n’est pas tout le monde qui a ce luxe-là. Les universités en question ne verront que peu ou pas d’économies. Le changement notoire dans la proposition est que tout le monde, sans exception, pourra enfin avoir une pré-saison complète dans la limite des règles de la NCAA sans avoir à augmenter les dépenses du programme sur cette période. Mais le fond du problème est qu’ajouter des sports au printemps impacte les budgets. Il y a déjà beaucoup de sports qui ont lieu à cette période, mais en déplaçant seulement une partie de la saison du College Soccer sur cette période, cela peut-il impacter autant les budgets ? Les universités qui ont les structures, les staffs et l’environnement sportif adéquat n’ont pas à s’inquiéter de cela, mais les autres qui n’ont pas tous ces avantages, peut-on en dire autant ? Pourquoi ne pas permettre aux universités d’avoir des sponsors sur leur équipement sportif ? La NCAA l’interdit mais le College Soccer n’est pas un sport à revenus et sa survie est en jeu. Cette demande est donc légitime mais elle n’est pas proposée dans la proposition de réforme.
Un autre problème est le climat dans les régions froides. Durant cette période, il faut s’attendre que bon nombre de rencontres soient annulées ou reportées pour cause de neige, terrain impraticable, températures beaucoup trop basses. Dans le modèle actuel, cela révèle de « l’exceptionnel ». Si les équipes veulent jouer, des moyens supplémentaires devront être mis en œuvre pour maintenir les rencontres. Pour contourner le problème, voyager vers les régions chaudes du pays devient une option mais celle-ci a un coût financier et demande une réorganisation du calendrier de conférences ce qui est impossible, car les autres conférences ne vont pas synchroniser leur calendrier par rapport aux autres. La baisse des affluences pour cause de mauvaise météo a également un coût, sachant que les stades ne sont pas couverts. Les régions chaudes ne connaissant pas toutes ces contraintes et vont avoir un avantage dans le processus de recrutement et pour lutter sur ce plan-là, il est nécessaire d’allouer des moyens supplémentaires. Et les conflits entre les sports qui partagent les mêmes installations ? Il y a de nombreux critères qui ne peuvent être laissés de côté dans cette transformation. Et même si la question de l’augmentation des dépenses n’est pas fondée, certaines universités ne veulent pas s’investir dans ce projet et faire la transition vers le 21st Century Model. Comment ce nouveau modèle pourrait-il être un succès pour le College Soccer si tout le monde ne joue pas le jeu ? C’est un mariage qui semble déjà voué à l’échec et qui pourrait être dévastateur d’un point de vue financier.
La création d’une nouvelle Division I pas dans les plans
Pour un problème simple, il y a toujours une solution simple et créer une nouvelle Division I spécifique à la réforme en fait partie. Cela existe déjà pour le football américain universitaire (College Football) et elles sont adaptées aux moyens que les universités veulent investir. Cette demande aurait dû être faite dès l’apparition des réfractaires car elle résout effectivement tous les problèmes que l’on peut connaître actuellement. Seuls ceux qui souhaitent faire la transition vers un modèle à deux semestres iront dans cette nouvelle division. Les autres qui ne sentent pas apte resteront alors avec l’ancien modèle. Selon moi, c’est le meilleur compromis possible avec les contestataires et c’est du temps gagné pour convaincre de la bienfaisance du projet. Pourquoi une telle option est-elle négligée ?
Une notoriété qui ne peut se développer en choisissant d’être en conflit direct
Développer la notoriété du soccer universitaire est nécessaire à sa viabilité mais en éliminant la plupart des rencontres en milieu de semaine et en étant en conflit perpétuel avec les sports ultra-populaires que sont le football américain et le basketball, qui peut croire un seul instant que ce sport ait une chance de gagner en intérêt dans le paysage universitaire? Les oppositions en milieu de semaine permettaient justement d’obtenir des retransmissions à l’échelle nationale pendant la saison de football américain alors que les week-ends leurs étaient exclusivement consacrés. Ensuite, avec la saison de College Basketball qui prend place mi-novembre, vous n’avez plus aucune fenêtre médiatique disponible jusqu’à la March Madness en mi-mars (nom donné au populaire tournoi national de basketball universitaire), dont CBS détient exclusivement les droits. Les autres diffuseurs nationaux comme régionaux seront en théorie plus enclins à diffuser du College soccer à ce moment de l’année. Les 14 premières semaines de compétition submergées par les deux sports populaires, il semble peu probable de tirer un bénéfice des six semaines de saison régulière restantes, plus cinq semaines supplémentaires avec le NCAA Tournament. Stratégiquement, il est difficile de comprendre ce choix et plus particulièrement quand l’USL ainsi que la MLS sont dans un modèle contraire.
Ces derniers mois, j’ai eu de nombreuses et diverses discussions avec des fans, des entraîneurs ainsi que des joueurs qui m’ont permis d’enrichir un peu plus mes connaissances. Malheureusement, ces discussions ont démontré que l’allongement de la saison, bien qu’il soit bénéfique, ne rendrait pas ce sport viable. La réforme proposée est-elle vraiment appropriée pour le College Soccer ? Est-elle vraiment ambitieuse ? Là où je suis d’accord, c’est que les étudiants-athlètes auront un meilleur équilibre entre le sport et les études. Alors, pourquoi autant de contradictions ? Pourquoi autant de questions restent-elles sans réponse ? Ce qui est communiqué dans les médias fait la promotion de la réforme mais est-ce vraiment le ressenti des principaux acteurs en interne ? Je vous invite à lire en complément l’article en anglais du site Ponchat sur le 21st Century Model. Cette réforme a certes quelques points positifs sur le plan académique, cependant, son aspect négatif est loin d’être négligeable.
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