Les dernières fenêtres de mercato ont été témoins du récent développement de jeunes formés en Major League Soccer, puisqu’ils commencent à partir pour d’importantes sommes. Gianluca Busio du Sporting Kansas City, parti à Venezia FC pour plus de 6 millions de dollars et Ricardo Pepi, le dernier talent formé par le FC Dallas récemment transféré à Augsburg pour 13 millions, font partie des nombreux exemples d’un développement américain et canadien qui séduit l’Europe.
C’est justement pour établir une meilleure formation que la MLS a annoncé le 6 janvier dernier l’établissement de la MLS Next Pro, une ligue professionnelle qui établit un pont entre sa première division et la ligue qui rassemble les académies de ses franchises, la MLS Next, lancée en 2020 et regroupant des compétitions par catégorie d’âge jusqu’aux U19. L’objectif premier affiché par la ligue est d’être une passerelle, mais c’est également de pouvoir contrôler intégralement le processus de développement.

En effet, les équipes constituant la quasi-totalité de la MLS Next Pro viennent, en grande partie, de l’United Soccer League, une structure qui possède une deuxième, troisième et quatrième division, nommées USL Championship, League One et League Two respectivement. Ces équipes réserves, qu’elles soient nommées après l’équipe première (LA Galaxy II par exemple) ou avec une identité propre (North Texas SC pour le FC Dallas) évoluaient en Championship ou en League One, mais dans une ligue qui n’appartenait pas à la MLS malgré un accord de principe depuis 2013. La MLS Next Pro permet dorénavant de contrôler chaque étape puisque les jeunes pépites passent généralement par l’équipe réserve avant d’intégrer la MLS.
Pour la saison inaugurale, 20 franchises de MLS auront leur équipe réserve représentée, 8 arrivant d’USL et 12 nouvelles. De l’USL League One arriveront le North Texas SC (FC Dallas), le Fort Lauderdale CF (Inter Miami CF), Toronto FC II et New England II. De l’USL Championship, on retrouvera le Tacoma Defiance (Seattle Sounders), les Real Monarchs (Real Salt Lake), Sporting Kansas City II et Philadelphia Union II. Dans les 12 nouvelles franchises réserves créées, il est intéressant de constater que St.Louis City SC aura déjà une place, alors que l’équipe première n’arrivera en MLS qu’en 2023.
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Elle débutera ainsi en mars, avec un calendrier de 24 matchs pour cette première saison. En 2023, les dernières équipes réserves qui seront restées en USL en 2022 (Atlanta, DC United, LA Galaxy et les New York Red Bulls) feront à leur tour le grand saut, tout comme le Los Angeles FC qui reste affilié au club indépendant du Las Vegas Lights pour l’année 2022 en USL. Charlotte FC, Austin FC et Nashville SC rejoindront également en 2023, tandis que le CF Montréal reste l’unique club n’ayant pas communiqué sur son arrivée dans la ligue. Un autre objectif, plus secondaire mais fortement appuyé par le président de la ligue Charles Altchek, est d’essayer de nouveaux concepts. Concrètement, toutes les idées que la MLS voudrait potentiellement implanter en première division passeront par un « crash test » en MLS Next Pro, que ce soit en termes de format, de sponsoring ou de technologies, sur le terrain comme en-dehors.
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Pour le moment, la MLS Next Pro sert également à former… des entraîneurs. Le Sporting KC a par exemple récemment nommé son ancien joueur Benny Feilhaber, tandis que le Français Laurent Courtois prend la tête de la réserve de Columbus, après une expérience chez les U17 et U19. La ligue servira donc de centre de formation pour les anciens joueurs ou les membres de staff des franchises MLS qui souhaitent prendre la tête d’une équipe professionnelle.

La MLS Next Pro ne veut pas uniquement se définir comme une ligue réserve, puisqu’elle est ouverte aux clubs indépendants. Pour le moment, un seul y est inscrit : le Rochester City FC, une franchise plus atypique qu’elle n’y paraît. Récemment renommée ainsi, cette équipe située à 500 kilomètres de New York s’appelait jusque-là les Rochester Rhinos, un nom légendaire pour les observateurs du soccer nord-américain. Les Rhinos (qui s’appelaient même les Raging Rhinos à leur création en 1996) ont existé dans différentes deuxièmes divisions (NASL, USL, A-League) et gagné plusieurs titres dont une impressionnante US Open Cup. Ils restent à ce titre l’unique club non-MLS à avoir remporté cette coupe nationale depuis 1996 et l’introduction de la première division. Cependant, en raison de soucis financiers les Rhinos étaient à l’arrêt depuis la fin de saison 2017, avant d’être récemment repris par un groupe d’investisseurs comprenant notamment Jamie Vardy. Après le rebranding en Rochester New York Football Club (ou RNY FC), ces derniers ont donc annoncé fin 2021 qu’ils rejoindraient la MLS Next Pro comme club entièrement indépendant.
Ce souhait d’attirer des clubs indépendants pose la question de la possible rivalité entre la MLS Next Pro et les autres structures des divisions inférieures (USL, NISA). Le soccer nord-américain et ses divisions inférieures ont souvent été comparés à un Far West où règne l’anarchie. C’était le cas dans les années 2010 quand la NASL et l’USL se disputaient les nouvelles franchises et où cette dernière a finalement survécu aux dépends de la première. Cette fois, l’USL et ses trois divisions sont mises en concurrence par la MLS Next Pro. Les dirigeants de cette dernière ont bien déclaré ne vouloir aucune guerre de territoire avec l’USL, mais des doutes subsistent. Non seulement les clubs en création pourront choisir entre les deux ligues, mais les joueurs plus jeunes sont dorénavant plus attirés vers la MLS Next Pro et la possibilité de jouer en équipe première que vers les académies en USL. Sans parler d’un des autres objectifs de la MLS Next Pro, celui d’étendre le soccer dans les villes où la MLS n’est pas présente jusque-là : une mission qui était plutôt bien réussie par l’USL.
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L’USL avait, depuis 2013, un partenariat équilibré pour les deux ligues : la MLS contribuait à augmenter le nombre d’équipes et de territoires couverts par la ligue avec ses équipes secondaires en USL, tandis que l’USL offrait des équipes indépendantes avec des joueurs aguerris et une forte concurrence aux franchises réserves MLS. Certaines d’entre elles, à l’image des réserves de Philadelphie, Dallas, des Red Bulls ou du Real Salt Lake étaient devenues des véritables pépinières à talents en affrontant les vétérans des meilleurs clubs d’USL Championship et League One. Ce divorce est à la fois une trahison pour l’USL et une opportunité parfaite pour prendre son envol. La fin des franchises réserves en USL, avec leurs stades quasiment vides et leurs effectifs de jeunes est également un avantage pour le produit télévisuel et libère des places dans une ligue qui comptait 35 équipes en 2020, et qui s’allège à 27 la saison prochaine. Cependant, pour attirer des nouvelles franchises, l’USL devra peut-être baisser son coût d’entrée, qui est autour des 10 millions de dollars actuellement.
La Canadian Premier League pourrait également en souffrir. La première division canadienne aura dorénavant des concurrents à des niveaux similaires sur son propre territoire, avec les réserves de Toronto et Vancouver, en attendant Montréal. Les clubs de CanPL devront donc se battre avec ces clubs pour récupérer les meilleurs jeunes de la région. Récemment d’ailleurs, un des meilleurs joueurs de la ligue, Mohamed Farsi, a signé avec la réserve de Columbus. Les franchises MLS peuvent prendre les meilleurs talents de cette ligue et ainsi les tester en D3, avant de peut-être leur offrir un contrat MLS. De la même manière, l’entraîneur du Pacific FC Pa-Modou Kah est parti cet hiver dans la réserve de Dallas, North Texas SC: entraîner en MLS Next Pro laisse entrevoir également la possibilité d’intégrer le staff d’une franchise MLS, voire d’y coacher dans le futur.
La création de la MLS Next Pro est surtout une nouvelle épine dans le pied de la NISA, l’autre troisième division avec l’USL League One. Celle-ci met l’accent sur la formation et l’établissement de ses clubs indépendants dans des territoires non couverts par la MLS. A l’avenir, ceux intéressés par la NISA pourraient s’orienter plutôt vers la MLS Next Pro. Une difficulté supplémentaire pour la ligue qui a perdu son club phare, le Detroit City FC, parti en USL en fin d’année dernière et qui attend toujours un retour des New York Cosmos.
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La MLS Next Pro a également une structure cohérente avec la MLS, mais qui s’en détache quand il le faut. Il n’y aura pas, comme chez sa grande sœur, de salary cap ni de salaires minimums/maximums, permettant une certaine flexibilité. Contrairement à la première division, les joueurs ne signeront pas avec la ligue mais avec le club même : pas de trade à l’américaine donc, il sera nécessaire d’aligner des frais de transferts et non de l’argent d’allocation entre franchises. C’est un avantage pour les équipes indépendantes, qui n’auraient pas pu échanger dans un transfert une place à la SuperDraft, par exemple. The Athletic a également révélé qu’il y aura sept places internationales par club, pour ainsi permettre à la MLS Next Pro de développer des transferts risqués venant de l’international. Même si les règles ne seront donc pas les mêmes qu’en MLS, les clubs auront des droits sur différents joueurs suivant leur statut en académie, s’ils ont été sélectionnés à la SuperDraft ou s’ils sont toujours jeunes. Ainsi libérée de certaines contraintes de la MLS, il sera intéressant de voir comment cette ligue interagit avec l’USL, la CanPL ou NISA.
De l’autre côté, rien n’assure que la MLS Next Pro sera un franc succès. Certes, elle bénéficie au contraire de la NISA, et parfois de l’USL, de moyens financiers importants et surtout, assurés saison après saison. Cependant, une compétition entre jeunes et sans club indépendant pourrait avoir un impact négatif pour la formation, comme l’indiquait le joueur Florian Valot dans le podcast Hype MLS : « Pour avoir joué en USL pendant deux saisons et y avoir gagné un titre, chez les Red Bulls nous avions des jeunes et nous jouions contre des adultes, ça permet de s’aguerrir, même si tu te fais piétiner. Je pense que la MLS Next Pro va créer un palier entre les jeunes et les professionnels, car les jeunes joueront contre eux et moins contre des joueurs physiques et vétérans ». La MLS Next Pro suit également l’exemple de la MLS Next, la compétition créée entre les académies MLS, qui n’a jusque-là pas été un grand succès, avec de nombreux matchs non-diffusés et annulés.

Enfin, il faut savoir que la MLS possédait déjà sa propre compétition entre les équipes réserves entre 2005 et 2014. Une division pour le moins peu crédible et durable, dont les matchs étaient sans cesse (et sans justification) déprogrammés et qui s’est arrêtée en 2014, alors que de nombreuses équipes étaient déjà parties vers l’USL. La « MLS Reserve League » s’était même permis deux saisons en « hiatus », sans compétition, en 2009 et en 2010.
La MLS Next Pro devra faire mieux que ses prédécesseurs et que ses concurrentes pour s’imposer dans le paysage du soccer nord-américain. Grâce au soutien financier des franchises MLS, elle peut se permettre quelques saisons de rodage mais dans le futur, il ne suffira pas de développer des jeunes. Les clubs y concourant devront pouvoir créer un réel ancrage territorial pour pouvoir attirer des fans, générer des revenus propres et également créer un produit attirant afin de bonifier les droits télévisuels de la ligue.
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