Lorsque la pandémie du Covid-19 se déclenche en 2020, Patrick Infurna se rend compte comme beaucoup d’autres que les grandes villes, malgré les magnifiques distractions qu’elles offrent, ne valent pas la beauté des régions montagneuses dont il vient, dans le Vermont. Très peu densément peuplé, le Vermont est surtout connu en Europe pour deux raisons ; les forêts et le courant progressiste incarné par le Sénateur de la région, l’ex-candidat à la Primaire Démocrate Bernie Sanders.
La protection de la nature et la défense des valeurs progressistes; c’est justement ce que défend un nouveau club de soccer dans la région, qui a rejoint cette année la USL League Two (quatrième division), le Vermont Green FC. Fondé par un groupe d’amis dans la région, sous l’initiative du designer Matthew Wolff, qui est à l’origine du logo du LAFC, du NYCFC ou d’Oakland Roots ainsi que des maillots du Nigéria et de la France à la Coupe du Monde 2018, le Green débutera son histoire le 15 mai prochain face à Boston. Le moment idéal pour discuter de sa création, des difficultés du soccer semi-professionnel et des attentes à venir avec Patrick Infurna, un des co-fondateurs du club.
Culture Soccer avait déjà discuté avec lui, pour le premier article de l’histoire du site. A l’époque fan inconditionnel du New York Cosmos, club qui a depuis quasiment disparu, Patrick nous expliquait l’importance de l’aspect communautaire qui faisait vivre le Cosmos. Un idéal qui tente aujourd’hui de répliquer à Burlington, Vermont.
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La dernière fois que nous avons a discuté ensemble, tu étais un Ultra des New York Cosmos. Aujourd’hui, tu réalises le rêve des fans de soccer du monde entier : tu créées ton propre club. Comment en es-tu arrivé là ?
Je suis tombé amoureux du soccer via le côté culturel de ce sport. De 2014 à 2015, jusqu’à la pandémie, j’étais vraiment impliqué au Cosmos, c’était une opportunité pour être quelque chose de différent de ce qui se faisait dans le soccer américain, parce que pour moi New York, c’est un microcosme des pires aspects du football international. Il y a le NYCFC, un club filière du Football Group, les New York Red Bulls, qui sont dans le système de club Red Bull… Ce qui, à mon humble avis, ne représente pas idéalement ce que le football devrait être. Ma famille est du New Jersey, mon père était un fan du Cosmos originel, donc il y avait des raisons pour lesquels je supportais ce club et nous avions développé une réelle communauté. Nous voulions changer la manière dont New York appréhendait le soccer local. J’étais et je suis encore un fan du New York Cosmos, mais ils ne sont juste… plus là. J’espère qu’ils reviendront.
Mais j’ai grandi dans le Vermont. Quand j’y suis revenu pendant la pandémie, j’ai reçu un coup de téléphone de Matthew Wolff, ce qui m’a vraiment ouvert les yeux sur le projet et j’ai tout de suite plongé dedans. C’est l’opportunité, pour moi, même si on est à 6 heures de New York, de mettre en œuvre ce que j’ai appris au Cosmos et ce que j’ai rêvé que le club puisse être, dans le Vermont.
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Donc Matthew Wolff est à l’origine de l’idée, il t’appelle et tu as tout de suite voulu t’embarquer là-dedans ?
Matt Wolff a aussi eu du temps libre pendant la pandémie. C’est un designer, qui a fait une floppée de logos très cools et pendant la pandémie il a commencé à penser à… la vie [rires]. Il y avait beaucoup de réflexions, pensant à son temps dans le design chez Nike et il s’est rendu compte que le football, c’est avant tout une volonté. Il y a énormément d’énergie humaine et matérielle qui vont vers ce sport, et en réalité on en fait pas grand-chose. Ce sport cause plein de problèmes sans vraiment les aborder. Donc notre but dès le début c’est de voir comment utiliser le sport qu’on aime, le soccer, pour combattre le changement climatique, une question simple qui est devenue ensuite bien plus complexe.
Il a également une histoire avec le Vermont. Matthew a fait une partie de son éducation dans la région, il a appelé tous les Vermonters qu’il avait dans son téléphone, dont moi, des gens d’industries différentes pour demander : « comment est-ce que l’on peut créer un club de football qui puisse lutter contre le changement climatique ? ». Comme j’avais cette expérience dans le soccer, surtout dans les médias, il m’a fait rentrer dans un groupe de fondateurs et après un an de Google Meet où on se demandait comment faire ceci et cela, on s’est lancé. Nos joueurs arrivent ce weekend, les entraînements commencent ce lundi et notre premier match à l’extérieur est le 15 !
Quel est l’état du soccer dans le Vermont ?
La culture soccer dans le Vermont est forte, en termes des gens qui pratiquent le sport. Il y a pas mal de petits clubs amateurs qui forment des joueurs, les Nordics, l’Energy, Burlington FC… Le soccer est populaire ici, pas de doutes là-dessus. Bien entendu, les gens regardent les ligues européennes à la télévision, mais il n’y a pas de culture d’engagement envers un club implanté dans la région. Il y avait entre la fin des années 90 jusqu’en 2014 les Vermont Voltage qui jouait ici mais la popularité, malgré des audiences correctes, n’était pas celle d’un club qui développé ses racines. Donc pour moi, créer un club d’USL League Two, c’était une évidence. Les habitants adorent le soccer, ils avaient juste besoin d’un club.

Dans le passé tu étais plus centré sur le supportérisme, les aspects culturels, mais tu as également une expérience dans les médias. Quel est ton rôle au Vermont Green ? C’est de créer une identité avec les fans ?
La première chose qu’on a appris en créant ce club c’est que… Il y a une tonne de travail. Donc on fait tous un peu de tout. J’ai une formation dans les médias, j’ai fait des documentaires, j’étais chez Copa 90, je travaille actuellement pour les réseaux sociaux d’Entracht Frankfort, donc avec Vermont Green je m’occupe un peu de relations presses, notamment du côté du digital.
Sur le côté des supporters, la culture fan est quelque chose à laquelle je suis très attaché mais pour moi, il ne faut absolument pas travailler cette identité des fans. C’est plus complexe. Comme cofondateur, mon rôle est de construire ce club mais la culture sportive doit venir culturellement et organiquement des fans. Je pense que beaucoup de clubs américains pensent avoir une formule pour créer une identité sportive. Des dirigeants de MLS pensent former un club et trouver un groupe de supporters qui seront un peu les référents avec qui ils vont dialoguer et c’est bon. Les clubs sont trop immiscés au sein des groupes de supporters et ça causera inévitablement problème un jour. La culture des fans doit être indépendante du club. On doit montrer qui on est, on doit se donner sur le terrain, mais les fans doivent décider de ce qu’ils sont. Ils sont avec nous, certains nous aident déjà bénévolement, on est tous en train de construire ce club ensemble. On veut du supportérisme actif, avec des mecs qui viennent vers nous en disant « comment je peux aider ? ». J’ai donc juste hâte de voir quelle culture les fans vont apporter au Vermont.
Vous avez dans vos valeurs des aspects progressifs comme la lutte contre le racisme et le changement climatique. En même temps, le Vermont ne paraît pas être l’état qui en pâtit le plus. Comment allez-vous donc construire ces valeurs dans la région ?
Le Vermont a une réputation nationale pour être une région progressive, d’où viennent Bernie Sanders ou Ben & Jerry. Le Vermont Green FC, venant de cette région, a besoin de représenter ces valeurs. Il faut, c’est une obligation, encourager la justice sociale, de justice climatique, il faut que la communauté se sente reflétée.
Cela étant dit, le Vermont est aussi un des états les plus blancs des Etats-Unis. Ça demande donc une énergie supplémentaire pour s’assurer que notre mouvement est inclusif pour les communautés marginalisées dans le Vermont et pour les placer aux devants. Après, on joue à Burlington, la plus grande ville de l’état, donc c’est un peu différent, on arrive à avoir un engagement fort à la communauté.
Sur votre site, vous avez d’ailleurs pris des engagements intéressants, comme l’abonnement annuel « Spread the Love » pour 35$, pour ceux qui n’habitent pas à Burlington et qui leur donne deux tickets, en offrant les sept restant à des associations locales. Du côté du développement durable, il y a forcément des limites quand on est en même temps à la tête d’un business. Je pense au merchandising par exemple, comment vous conciliez les deux ?
La justice environnementale c’est le pilier de ce que l’on construit aujourd’hui. Dans l’aspect culturel, l’aspect sportif, pour le merchandising, tout passe par là. On veut s’assurer que l’on aborde ce problème, mais il faut également comprendre que la question de la justice environnementale passe par la justice sociale. Ce sont les classes les plus riches qui causent le plus de dégâts à la planète, tandis que les plus pauvres en subissent les conséquences. Ce sont des initiatives comme le « Spread the Love tickets » qui nous permettent d’agir.
Toutes nos actions doivent passer par la justice environnementale et la justice sociale, mais ce n’est pas facile. Ça rend les choses plus compliquées, chaque décision doit être analysée, ce qui coûte en temps et en argent, afin de prendre la plus juste possible. Mais on en est obligé. On sait que l’on est un club de quatrième division aux Etats-Unis, on ne va pas changer la phase du monde seul. Cependant, en montrant l’exemple dans notre ligue, en poussant nos concurrents à mieux faire et en étendant petit à petit notre influence aux autres ligues, jusqu’à la MLS et au football mondial, on avancera. On n’est pas les seuls à le faire. Un paquet de clubs autour du monde commencent à aborder ces problèmes de justice environnementale, comme Forest Green Rovers en Angleterre. Nous ne sommes pas les premiers, mais nous le faisons parce que c’est nécessaire.
Je suis plutôt fier des progrès qu’on a effectué d’ailleurs ; notre merchandising est durablement produit, on va essayer d’atteindre la neutralité carbone très rapidement. C’est un défi difficile, qui nous coûte cher, mais on a justement décidé de construire ce club pour aborder ces défis.

Au-delà de vos valeurs, dans le côté artistique vous avez déjà du succès. La mascotte est très drôle, le logo est beau, vous avez fait des collaborations avec la marque de vêtement Tens Club. Est-ce que l’objectif est d’aller au-delà du simple club ? D’aller plus loin, un peu comme le Oakland Roots SC a réussi du côté marketing, en devenant une marque mais également une communauté ?
Absolument, construire un club doit aller au-delà du football. C’est l’idée centrale de nos attachements aux valeurs de justices environnementales. Notre logo est superbe, dessiné par Matthew Wolf himself, avec cette montagne verte et souriante, les gens en parlent ! Notre maillot sortira vendredi prochain, voilà une info en exclusivité pour toi [rires]. Sortir des produits lifestyles, que des gens voudront porter, ça fera en sorte qu’on parle de nous. S’ils achètent le maillot, les fans verront qu’il est fait en polyester recyclé, que nos t-shirts sont faits avec du coton bio, d’origine locale. Nous voulons que notre culture et nos produits lifestyles reflètent le Vermont. Pour que les gens soient attachés à l’idée du Vermont Green FC, pour qu’ils viennent aux matchs et qu’on forme des joueurs bien entendu, c’est le but du football, mais que ce soit également un social club. Il faut que la force du club viennent de ses racines. Même commercialement, c’est un aspect critique. En USL League Two, on ne joue que trois mois dans l’année ! Donc c’est important de tirer des revenus avant de monter dans une autre division dans le futur. Pour cela, il faut que les gens s’attachent à nous, parce qu’ils aiment la justice environnementale, sociale et le Vermont en général.
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Certains clubs qui vous ont inspirés pendant ce procédé ?
Oui, bien entendu. Je suis souvent assez négatif sur le soccer américain, mais il y a plein d’histoires inspirantes dans ce domaine. Detroit City FC, ce qu’ils ont réussi à faire au niveau amateur jusqu’à arriver aujourd’hui en deuxième division, en construisant avec leur communauté, avec les fans en tête et la culture au centre du club, c’est une grosse inspiration. Forward Madison, c’est pareil. Connor Tobin, qui occupe une position similaire à un directeur sportif a d’ailleurs joué pour le Forward par exemple. On sait que nous ne sommes pas des révolutionnaires, mais on adapte le modèle pour nous différencier et rendre fiers les gens du Vermont.
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Pourquoi avez-vous choisi la USL League Two ? Tu as été un fan du New York Cosmos, qui était très virulent contre la structure de la USL et préconisait un soccer plus « ouvert ».
La USL League Two, après en avoir parlé avec de nombreuses personnes qui y évoluent, est la meilleure plateforme pour nos objectifs à long-terme. Que ce soit le coaching, l’aspect commercial et la communauté, c’est parfait pour nous. D’ailleurs des clubs qui étaient également plutôt hostiles à la USL, comme Detroit City ou Minneapolis SC, s’y sont rattachés. Rien n’est parfait, mais l’USL League Two nous a accueilli parfaitement et on va également pouvoir en entrant dans la ligue construire notre vision sur le soccer américain à l’intérieur de celle-ci.
Notre bataille c’est la justice environnementale. Nous avons perdu le Cosmos, notre club, sur une guerre des divisions inférieures parce que le Cosmos voulait absolument se battre contre la MLS et l’USL. C’est aberrant. Nous serons dans une ligue stable, la League Two, où nous pourrons y défendre nos valeurs et c’est parfait.
Quelle était d’ailleurs la plus grosse difficulté dans ce processus de création d’un club ? Les financements, le stade ?
Nous avons été chanceux pour être honnête, pour le moment nous avons eu aucune turbulence [touche du bois], le financement est assuré par nos propres fonds, le stade est celui de l’University de Vermont qui est de qualité… Donc le plus dur c’est la logistique finalement. Le nombre de tâches qu’il y a à faire avant de jouer le premier match, c’est parfois submergeant. L’aspect culturel, trouver son public, les financements, l’aspect commercial, le côté environnemental, les relations presse, les stratégies réseaux sociaux… Ce sont des choses qu’on imagine, mais une fois devant tu es très vite dépassé. Heureusement on est tous derrière ce projet, qu’on a co-fondé, donc on est à fond mais ça demande de l’attention à toute heure et ce n’est le métier à temps plein de personne.
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Vous avez des projets pour la formation ?
Pas pour le moment, nous avons des très bons liens avec les clubs locaux de la région, donc nous allons poser nos fondations sur les leurs, certaines ont plus de 20 ou 30 ans, donc on va assister à leurs entraînements. Il faut que nos coachs se fassent connaître pour créer une pipeline officieuse, qu’ils se sentent comme un partenaire du Vermont Green FC. Après, sur le long-terme, on verra.
C’est pareil pour l’équipe féminine. On est proche du Vermont Fusion, qui existe à la WPSL. Ils ont vraiment aidé notre installation, donc pour le moment on s’appuie également sur les structures locales existantes.
Quel est le but de cette première année ?
C’est dur d’inscrire des objectifs sur la pierre parce-que le marché est si inconnu qu’il est difficile de prévoir des affluences, par exemple. C’est une équipe toute nouvelle, on veut être compétitif. Si on peut, on veut gagner notre division en USL League Two, qui est plutôt relevée d’ailleurs. On veut être compétitif, que les gens soient fiers qu’on les représente et qu’ils viennent nous voir jouer. Il faut qu’ils veuillent venir le samedi soir, s’amuser pour qu’on plante les racines de ce club. Il faut aussi que nos valeurs, ce combat pour l’environnement, dépasse nos frontières. Le tout avec patience, en gardant du plaisir.