Dans la continuation de la bonne fin de saison 2021, le CF Montréal impressionne en 2022, au point de se mêler à la conversation pour la MLS Cup grâce à un groupe équilibré et bien mené par Wilfried Nancy, l’entraîneur français de 45 ans. Pour en parler, Culture Soccer a discuté avec Sydney Fowo, chroniqueur du podcast Kan Football Club et analyste des matchs du CF Montréal à la radio BPM Sports. L’entretien a été réalisé avant les deux derniers matchs de Montréal, face aux Red Bulls de New York (défaite 1-0) et aux rivaux de Toronto (victoire 4-3).

Culture Soccer : Quelle saison en 2022 ! Montréal a de bons résultats et l’équipe arrive à soutenir de belles séries de matchs sans défaite. Vous n’êtes pas dans les favoris au même titre que Philadelphie, Austin ou le LAFC pour la MLS Cup, mais vous n’êtes pas loin. Pourtant, vous n’avez pas eu de renforts conséquents cette année. Comment expliquer cette hausse de niveau ?
Sydney Fowo : C’est simple, c’est Wilfried Nancy. Il fait un travail remarquable dans les principes de jeu et le fait d’y croire. Il croit en ses projets et se donne le temps pour qu’ils soient appliqués. Effectivement, on a peu de changements dans le XI titulaire, excepté Alistair Johnston depuis Nashville en tant que piston droit et l’émergence d’Ismaël Koné, un jeune joueur québécois qui est devenu international canadien. C’est le même groupe sinon, mais un groupe qui a évolué, qui prend du plaisir à jouer dans le 3-4-3 de Wilfried Nancy. Par exemple, on a eu en début de saison un Djordje Mihailovic qui a réussi à s’installer dans la conversation pour être MVP, ensuite on a Romell Quioto qui enchaîne les buts, Kamal Miller a été sélectionné au match All-Star, Joel Waterman est aux portes de la sélection canadienne… Donc l’équipe est en place, elle sait ce qu’elle doit faire et est stable post-Covid.
Parce-qu’il faut le rappeler, Montréal a été extrêmement gêné par la gestion du Covid, exilé en 2020 dans le New Jersey puis en 2021 en Floride. Là on a retrouvé la normalité, le retour au stade, un coach en place depuis 2 ans, ce qui à l’échelle montréalaise est énorme ! (rires). Donc tous ces éléments complimentent un groupe homogène, bien construit et jeune, qui a envie de s’éclater dans le système de jeu de Nancy. Car crédit à Wilfried Nancy, c’est lui qui a fait gagné la stabilité à cette équipe, avec des changements tactiques importants ! Un exemple, c’est Lassi Lappaleinen qu’il a repositionné comme piston gauche alors que c’est à la base un attaquant et aujourd’hui c’est le meilleur passeur du club. Beaucoup de joueurs ont progressé sous ses ordres.
Il faut également reconnaître que la conférence Est est moins compétitive que d’habitude, derrière Philadelphie il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, surtout depuis le départ de Taty Castellanos du NYCFC… Mais crédit à Montréal d’être là au bon moment, aussi à l’état d’esprit qui a bien évolué depuis Thierry Henry. Sur la route, et c’est un des héritages d’Henry, on joue de la même manière qu’à la maison. La défense à 3 c’est de lui également, le jeu de possession, la relance courte du gardien… C’est un état d’esprit. Parce-qu’en MLS, avec les distances des déplacements, souvent les équipes vont la fleur au fusil à l’extérieur. Aujourd’hui, les vols sont nolisés, les changements de calendrier privilégient les matchs au sein des conférences, tout ça fait en sorte que des équipes sont mieux préparées pour aborder ces confrontations à l’étranger. Montréal a 8 victoires sur la route, c’est impressionnant. Au moment où l’on se parle, Montréal a plus gagné à l’extérieur qu’à domicile !

Justement, Lappaleinen fait une saison au dessus de ses espérances, Quioto performe à un niveau qu’on a rarement vu. Mihailovic connaissait une progression bloquée à Chicago et est maintenant transféré en Europe. Kei Kamara revit également cette année. Est-ce l’effet des tactiques de Wilfried Nancy ou est-ce que tout le monde surperforme cette année et donc, la saison prochaine sera plus compliquée ?
C’est une excellente question ! Il y a un peu de surperformances, mais c’est l’environnement qui créé ça. Les joueurs se sentent bien, on peut aller chercher le meilleur d’eux-même. Le groupe est homogène et donc de nombreux joueurs surperforment, et quand ils sont peut-être moins dedans ça se voit moins grâce au collectif. Par exemple, Samuel Piette, il est sur trois passes décisives sur les 5 derniers matchs, ça n’arrivait jamais. On l’utilise plus proche du piston, il est moins défensif qu’avant et s’est transformé dans un Blaise Matuidi, harceleur et récupérateur. Il est plus dominant dans ce rôle que dans celui d’un 6 classique.
Je crois vraiment qu’il y a la patte de Nancy qui est derrière. Tu cites Quioto, je pense qu’on arrive à mieux le gérer qu’à Houston. Kei Kamara c’est pareil. Il marche à l’affect et à Montréal les fans l’adorent, sa fondation a reçu un gros container de vêtement récemment par exemple, il reçoit énormément d’amour et lui en redonne en s’impliquant dans la vie de la ville. Pareil pour Rudy Camacho, il est installé comme patron de la défense à 3, les choses vont bien pour lui, sa famille aime Montréal. Waterman, c’est le premier transfert entre la CanPL et la MLS, il a eu des débuts très compliqués mais on lui a expliqué ce qu’il fallait faire, on a gardé une confiance en lui… Statistiquement, on a beau avoir une des pires défenses de la ligue, on dit à nos défenseurs d’être les premiers attaquants et ils se sentent bien, ils se projettent. Miller c’est pareil, il monte énormément.
Ce sont des exemples de mecs bien gérés par Nancy, donc oui, ils sont peut-être au-dessus de ce qu’ils ont été dans leur carrière mais ce n’est pas un hasard que ça se passe maintenant, dans ce contexte.
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Wilfried Nancy est arrivé après une démission surprise de Thierry Henry, pour des raisons de vie privée mais qui a laissé tout de même un bilan mitigé à Montréal. Nancy a-t-il été tout de suite adopté par les fans ?
Sur la majorité des supporters, il y avait du soutien. Nancy est depuis 7 ans au club, il a été sous Mauro Biello, Jesse Marsch, il connaît le soccer québécois. Il est dans le giron du club depuis longtemps et apporte un côté local. Thierry Henry, c’était forcément un nom. Ce n’était peut-être pas le bon formateur pour ce que voulait être Montréal. Il ne comprend pas qu’il était au-dessus, trop exigeant. C’était un mec qui n’avait pas fait l’unanimité, donc ça a donné de suite un capital sympathie à Wilfried Nancy qui lui était moins dans la confrontation, même avec les médias.
Parce-que personnellement, je soutiendrais toujours Thierry Henry, il avait des raisons d’être comme il était. Il est arrivé, en 2020 pour résider dans un hôtel pourri au New Jersey, confiné par le Covid sans voir sa famille, avec un groupe bien moins fort qu’avait Nancy, sans Mihailovic, sans Johnston… Puis à Montréal, on a des médias qui sont moins connaisseurs qu’en France. Ils posent des questions en conférence de presse qui rendent fou. Sauf qu’il aurait dû jouer le jeu. Ici, ce n’est pas une terre de foot donc il faut essayer de répondre avec démagogie. Certains ici couvrent le soccer parce-qu’il le faut, ils en ont besoin pour leur média, mais Thierry Henry leur rentrait un peu dedans. Comme les résultats ne suivaient pas ensuite… Ils faisaient des leçons, mais est-ce que c’était vraiment le bon comportement ?
Nancy est plus conciliant, transparent, connaît bien le contexte, même s’il n’est pas Champion du monde. Il communique bien, il s’est bien affirmé aussi comme le faisait Henry. Je dis souvent, Nancy c’est Thierry Henry dans un monde où Thierry Henry est un joueur de Ligue 2.
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Même avant l’arrivée de Thierry Henry, on voyait les supporters de Montréal agaçés sur les réseaux sociaux car le propriétaire et alors président, Joey Saputo, ne semblait pas avoir les ambitions d’autres clubs en MLS, surtout au niveau des dépenses. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il a changé sa façon de dépenser, mais ses dépenses étaient également incohérentes, des salaires bien trop élevés étaient donnés à des joueurs qui ne les méritaient pas. Le vrai changement, c’est l’arrivée d’Olivier Renard, le directeur sportif. Aujourd’hui il est Vice-Président, mais de base c’est un « DS » et il a fait le grand ménage dans les mauvais contrats. Il a commencé une nouvelle politique d’achats de jeunes à potentiel pour les revendre, comme Mihailovic, qui mine de rien vient de Chicago pour plus d’un million en GAM, c’est un certain prix mais c’est cohérent. Un jeune, bon joueur américain qui peut faire de l’argent. Donc il y a eu un rajeunissement de l’effectif, un assainissement des salaires, puis pour la première fois quand on voit les salaires, c’est cohérent, ce qui n’était pas du tous le cas avant.
On a assumé un projet orienté sur un club de post-formation, pour avoir une étiquette de club « vendeur ». Aujourd’hui, la valeur prise par l’effectif est dingue, elle a fortement augmenté depuis l’arrivée d’Olivier Renard. Il y a un vrai projet pour le club et la vente de Mihailovic confirme ce qui est mis en place depuis deux ans.
Surtout que ça ne devrait pas être la dernière vente, on parle beaucoup d’Ismaël Koné par exemple [très proche de partir à Sheffield United au mercato].
Oui bien sûr ! C’est pour ça que Wilfried Nancy, qui est à la base un formateur, est parfaitement adapté au projet du club. C’est bien plus cohérent qu’Henry, qui n’avait pas forcément le temps et la patience d’amener les jeunes à se former.
Pour revenir aussi sur le changement d’humeur des fans, il y aussi le départ de Kevin Gilmore, l’ancien président. Gabriel Gervais, un ancien joueur du club dans une époque totalement différente, a réussi à bien communiquer, la vision du club est devenu claire avec lui. Il a convaincu en six mois.
Pour parler de formation, l’académie fait sortir quelques jeunes mais Montréal n’a pas de réserves en USL ou en MLS Next Pro, la ligue qui est majoritairement dédiée aux réserves MLS. C’est l’unique club qui n’a pas prévu d’emmener sa réserve là-bas, comment tu expliques ce choix ?
Aux yeux de Montréal, ça coûte cher d’avoir une franchise de MLS Next Pro. C’est la raison principale, même si se sont un des seuls à ne pas y être. C’est une structure étrange également, au niveau de la MLS Next Pro il y a des contrats professionnels donc tu ne peux pas forcément interchanger de la MLS à la ligue réserve facilement dans la saison, c’est compliqué de les faire redescendre quand ils sont appelés, donc Olivier Renard n’a pas trouvé que c’était une bonne idée.
Après, Montréal est toujours en train d’étudier les options disponibles et en ce moment, la Canadian Premier League leur laisse plus d’options. Montréal a pas mal de prêts en CanPL, ceux qui n’ont pas le niveau pour ça joue dans l’équipe U23 qui est dans la division locale, la PLSQ (Première Ligue du Soccer du Québec) qui est une division 2 canadienne. Donc les meilleurs éléments sont en CanPL et ceux qui restent sont dans l’équipe de PLSQ… Qui disons-le, ne sont pas premiers de ce championnat. Donc ce groupe, si tu le mets en USL, je ne sais pas ce qu’il ferait. C’est plus simple pour Montréal d’agir comme ça. Tant que la ligue n’oblige pas à être dans la MLS Next Pro, je pense que Montréal n’ira pas. Ils préfèrent garder les U23 et avoir les meilleurs éléments en CanPL, contre des professionnels aguerris.
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Parlons ensuite du logo, un sujet qui a beaucoup fait jaser. Vous avez eu votre « rebranding » avec un logo en forme de flocon qui a été un échec complet, avec également un nouveau nom et l’abandon de l’Impact pour le CF Montréal. Ensuite, la réaction négative des fans fut assez mal gérée, que ce soit les fans habituels mais aussi les Ultras, qui sont en conflit avec la direction. Que penses-tu du revirement du club, qui a donc gardé le nom mais pas le logo, ainsi que la situation avec les Ultras ?
Disons que sur le nouveau logo « flocon », on a atteint un point de non retour quand les partisans sont revenus au stade. Le changement du nom et logo a été fait en janvier 2021 et ils étaient confrontés aux partisans sur les réseaux sociaux mais avec le Covid, pas en personne. A l’été 2021, les autorités canadiennes ont autorisé le retour au stade et c’est là que… On a vu qu’il y avait une grosse cassure.
En même temps, certains étaient embarqués par le nouveau branding, mais on sentait qu’on avait trop perdu de la base de fan actuelle pour aller chercher des nouveaux fans, ce qui était le but du logo. Il fallait donc trouver quelque chose d’autre. C’était un changement profond. Surtout le nom. Les dirigeants avaient fait le constat qu’il fallait le changer, car le nom de « l’Impact » ne permettait pas de développer le club comme il le voulait. Mais on l’avait un peu goûté pourtant en 2015-16 lors de l’ère Drogba, où tout le monde parlait du club en ville, quand dans les médias l’Impact était omniprésent, mais depuis on avait tout perdu avec des saisons moyennes. Donc ils ont changé de nom, de logo, sauf que c’est mal passé. Surtout dans la manière, on n’a pas pris les fans en compte, il y avait un effacement de l’histoire du club. Pour toutes ces raisons, c’est mal passé et ça a culminé à la démission de Kevin Gilmore à l’automne 2021, la reprise en main par Joey Saputo et les premiers travaux pour recoller les morceaux.
Donc on a un logo plus représentatif pour la base de fans : la fleur de Lys, le bleu-blanc-noir, la date de formation du club, le côté bouclier, tous ses éléments sont supers et ont été bien faits. Le tout, avec Gabriel Gervais, le nouveau président bien plus légitime aux yeux des supporters.
C’est vraiment un autre profil en tous cas. Kevin Gilmore c’était l’idée de se professionnaliser, Joey Saputo avait quitté la présidence, et c’était bien accueilli à la base. Avec Gervais, on a un profil intéressant avec des expériences en cabinets de consultation, mais c’est également un ancien joueur, il n’est pas là pour la faire à l’envers. Il a été joueur et supporter, donc quand il arrive avec le nouveau logo ça a été un déclic : tout était apaisé. Le jour même de la présentation du logo.
Par contre, comme tu le soulignes il y a toujours la question des Ultras. C’est difficile à dire ce qu’il se passe. Ils ont été bannis, mais le club ne l’avoue pas officiellement, ce n’est pas clair. Ils ne sont donc plus au stade, mais on a besoin d’eux. Or Montréal l’a fait un peu à l’envers, avec une annulation des tickets de saison sans préavis mais en leur disant qu’ils pouvaient revenir…? Donc c’est étrange. En tous cas, le retour des Ultras c’est un peu la seule chose qui manque, que ce soit dans leur tribune à l’opposée de l’autre groupe du 1642 où ils sont d’habitude ou alors, à un nouvel emplacement par exemple dans une tribune ensemble comme on le voit à Austin ou LAFC. C’est la dernière chose à régler.
Une dernière question. Si demain Montréal gagne la MLS Cup, à quoi c’est dû selon toi et au contraire, si les playoffs sont catastrophiques pour quelles raisons ce serait le cas ?
Montréal a une capacité à imposer un style de jeu face aux adversaires, ils ont souvent la possession du ballon et tu te retrouves avec leur circuits préférentiels, avec Mihailovic et Quioto à l’intérieur ou sur les côtés si besoin avec Johnston et Lappaleinen, c’est assez impressionnant à quel point ils ont le même style de jeu, qu’importe l’adversaire. En plus on a des joueurs techniques, au moins 5 qui sont capables d’avoir des actions au fond du filet et sans compter des défenseurs bons de la tête et des solutions sur le banc, comme Mason Toye ou Kei Kamara.
Par contre, défensivement ça prend beaucoup trop de buts. Ils ont du mal à gérer la profondeur, ils n’aiment pas les situations où ils sont pris de dos car ils jouent très hauts sur le terrain. Donc face à des équipes qui jouent long avec des attaquants rapides et des milieux créateurs capables de bonnes passes, c’est très compliqué pour Montréal. Niveau gardien, on a deux gardiens, James Pantémis et Sebastian Brezza qui sont plutôt inexpérimentés. Puis je reste fasciné par le fait que les équipes en face n’attaquent pas Montréal sur le terrain. Ils ne pressent pas, ils lâchent vite l’affaire, donc il faudra faire attention quand on est contre des adversaires plus organisés.