Efficace et mal-aimé, que faire de Gregg Berhalter ?

Le contrat du sélectionneur américain a pris fin le 31 décembre 2022, après une année où il a notamment emmené son équipe en huitième de finale de Coupe du Monde. Mi-janvier, l’USMNT connaîtra son habituel camp hivernal d’entraînement pour les internationaux évoluant en MLS, avec deux amicaux prévus à Los Angeles, le 25 et le 28 janvier face à la Serbie et la Colombie, mais ceux-ci seront organisés avec un intérimaire, Anthony Hudson, à leur tête.

Pourtant, le 3 janvier, la fédération annonçait qu’une décision serait prise sur le nom du futur sélectionneur d’ici ces deux matchs. Finalement, les dernières polémiques sur Gio Reyna, qui ont touché le sélectionneur, ont repoussé le processus. Cependant, Gregg Berhalter reste un des candidats les plus indiqués pour le poste et s’est dit intéressé par une prolongation. Explications.

Pour plus d’informations sur le contentieux Reyna/Berhalter, c’est ici !

L’après Klinsmann désastreux

Lorsque « GGG », comme l’appellent les fans de l’équipe américaine, a repris la sélection américaine, il faut bien avoir conscience de l’état dans laquelle elle se trouve. Certains la pensent aujourd’hui destinée à des parcours glorieux, grâce aux jeunes talents qui émergent, mais c’était loin d’être le cas il y a 5 ans. Jurgen Klinsmann, l’homme qui devait mener la génération dorée américaine à la Coupe du Monde, commença mal la campagne de qualifications et fut licencié en novembre 2016. Malgré des efforts conséquents, l’ex sélectionneur Bruce Arena ne put pas inverser la tendance et la sélection américaine rata le voyage en Russie.

Une fois ce traumatisme passé, l’entraîneur assistant Dave Sarachan prit le contrôle de l’équipe entre novembre 2017 et décembre 2018, lors d’une triste année composée d’amicaux sans saveur. Sans principes fondamentaux, Sarachan fit ce qu’il put en faisant jouer de nombreux jeunes et en tentant de faire émerger une nouvelle génération pour remplacer les Tim Howard & Clint Dempsey qui partaient. La Fédération mit énormément de temps pour trouver quelqu’un pour remplacer le sélectionneur intérimaire et perdit ainsi de précieux matchs pour tester la jeunesse américaine. Ce n’est qu’en décembre 2018 et après un processus peu transparent qu’elle fit le choix de Gregg Berhalter.

GGG a donc repris une sélection avec des options mais très peu de certitudes. Pour le premier match de la sélection sous Sarachan, des joueurs aujourd’hui très éloignés de la sélection sont présents sur la feuille de match, comme C.J Sapong, Lynden Gooch et Juan Agudelo. Cette rencontre, face au Portugal, fut également la première rencontre sous le maillot américain de Weston McKennie et Tyler Adams, signe du futur cycle à venir. Sous Dave Sarachan, les exemples d’autres joueurs appelés sous le maillot américain qui s’éloigneront deux ans après ne manquent pas : Robert Green, Bobby Wood, Andrija Novakovich, Matthew Olosunde… .

LAS VEGAS, NV – AUGUST 1: United States head coach Gregg Berhalter after a game between Mexico and USMNT at Allegiant Stadium on August 1, 2021 in Las Vegas, Nevada.

Gold Cup, Nations League, what else?

Gregg Berhalter connaîtra des débuts plutôt compliqués avec la sélection. Son équipe est extrêmement jeune et nombreux des futurs cadres connaissent des difficultés en club. Son approche tactique, basée sur le contrôle du ballon et le fameux latéral-droit-devenant-milieu-de-terrain-en-possession ne prend pas contre les grosses équipes. C’est ainsi juste avant les débuts de la pandémie que des voix commencent à s’élever contre sa méthode de « club », trop pressante pour une sélection nationale, ainsi que pour son utilisation abusive de joueurs de MLS, bien que nombreux seront ceux qui partiront ensuite en Europe.

Cependant, une fois la pandémie passée, Berhalter adapte sa structure de jeu : finie la possession, il s’inspire du Liverpool vainqueur en Premier League ou de l’Equipe de France, championne du monde, pour construire une équipe basée sur le contre-pressing, les transitions rapides et les attaques sur les ailes. Il conforte ainsi son groupe et le base sur des individualités fortes et jeunes, telles McKennie et Adams au milieu de terrain, en écartant peu à peu les vétérans restant pour les renouveler, tout en travaillant sur la profondeur de banc. La quasi-totalité des titulaires est connue, place à la création d’un groupe stable.

L’été 2021 sera la confirmation de cette nouvelle stratégie : Gregg Berhalter amène son équipe A pour disputer la Nations League en juin, qui sera remportée héroïquement face au Mexique (3-2), puis prend une équipe B pour disputer la Gold Cup. Cette dernière, constituée en grande majorité de joueurs venant de MLS, viendra tout de même à bout du Mexique en août (1-0). Dans un continent si attaché à la comparaison avec « El Tri », ce double succès sera vu comme une énorme victoire, bien que la sélection de Tata Martino soit affaiblie.

Christian Pulisic après son but en finale de Nations League
(Photo via Fox)

Ce bel été sera conforté par des qualifications en Coupe du Monde satisfaisantes. Certes, personne n’avait envisagé que les Etats-Unis finiraient derrière le Canada, mais les 4 points récoltés sur 6 possibles face au Mexique sont suffisants pour se rendre au Qatar, avec un 2-0 convaincant en novembre 2021, portant à trois le nombre de victoires de l’USMNT contre cet adversaire sur un an.

Au-delà de ses succès sportifs, parfois brouillons mais terriblement efficaces, GGG a réussi à créer un véritable groupe de joueurs au bout de trois ans en charge. Il a parié, dès ses débuts, sur de nombreux joueurs qui auraient pu s’égarer depuis. En leur donnant des responsabilités tôt dans leur carrière internationale, en les guidant dans leurs choix de transferts et en effectuant un suivi régulier, Berhalter a aidé ses jeunes joueurs à émerger comme des titulaires dans les meilleures ligues européennes. A titre d’exemple, lorsqu’il reprend la sélection en décembre 2018, Tyler Adams n’est pas encore à Leipzig et Weston McKennie se morfond à Shalke 04, tandis que Josh Sargent et Timothy Weah ne s’imposent pas à Brême et au Paris Saint-Germain.

La première Gold Cup 2019 sera perdue en finale avec de nombreux joueurs que l’on ne verra plus par la suite (Michael Bradley, Jozy Altidore, Daniel Lovitz, Nick Lima…) mais la nouvelle génération sera peu à peu intégrée pour créer un groupe qui joue bien ensemble et en plus, semble bien s’entendre hors du terrain (hors scandale Reyna !). Une dizaine de joueurs (Turner, Dest, Robinson, Adams, Musah, McKennie, Aaronson, Pulisic, Weah, Sargent) sont ainsi indiscutablement dans le groupe à l’approche de la Coupe du Monde 2022 mais aussi de véritables options pour préparer 2026.

Son travail sur les binationaux doit également être salué. Yunus Musah, probablement le meilleur joueur de la sélection depuis un an, ou Sergino Dest, également titulaire à la Coupe du Monde, ont tous les deux été convaincus par le projet de Berhalter et ont choisi les Etats-Unis alors que l’Angleterre et les Pays-Bas les convoitaient.

Au Qatar, un bilan sans surprise ni échec

Parlons-en de cette Coupe du Monde 2022. Depuis le début de son mandat, Gregg Berhalter avait deux objectifs : premièrement, préparer une nouvelle génération de joueurs à la Coupe du Monde aux Etats-Unis en 2026 et deuxièmement, se qualifier et faire bonne figure à l’édition 2022. Dès le tirage au sort dans le groupe du Pays de Galles, de l’Angleterre et de l’Iran, le sélectionneur indique les priorités : sortir de ce groupe plutôt relevé. Les quatre matchs ont montré que son équipe possédait du talent, mais surtout de la jeunesse. Des erreurs évitables ont été causées par les éléments moins expérimentés, d’autres plus inexplicables résultent également des choix d’un coach qui connaissait sa première Coupe du Monde sur un banc.

Le premier match face au Pays de Galles a montré la solidité d’une équipe finalement assez mure, même si le manque de finition coûte cher. Le match face à l’Angleterre, géré de bout en bout, a permis de montrer qu’il n’y avait pas que des jeunes joueurs aux Etats-Unis, mais aussi une tactique en place. Le troisième match face à l’Iran a enfin permis la qualification, malgré une performance moins aboutie. La phase de groupe a néanmoins montré qu’avec le deuxième groupe le plus jeune de la Coupe du Monde, les Etats-Unis étaient efficaces défensivement, utilisaient bien les ailes et se créaient des opportunités offensives intéressantes – malgré un manque de finition terrifiant, de la part des avant-centres comme des ailiers.

Reste le huitième de finale, contre l’expérience de Louis Van Gaal et une équipe des Pays-Bas qui semblait atteignable. Berhalter s’est fait avoir par le système néerlandais, qui a complètement verrouillé les ailes et a obligé le trio du milieu (Adams, Musah, McKennie) à jouer un rôle créatif auquel il n’était pas préparé. Malgré cet échec, les approches tactiques de Berhalter furent plutôt appréciées et complimentées dans la presse internationale (bien plus qu’aux Etats-Unis ) et furent même saluées par Louis Van Gaal, qui indiqua voir dans cette sélection « une vision et une équipe prête à exécuter cette vision ».

Gregg Berhalter et Christian Pulisic après la défaite en Coupe du Monde
(Photo via The Athletic)

Gregg Berhalter n’est néanmoins pas exempt de tout reproche sur la compétition, notamment sur le choix de son groupe. Beaucoup ont pointé du doigt, par exemple, la sélection de Josh Sargent, Jesus Ferreira et surtout Haji Wright comme les trois avant-centres, plutôt que Riccardo Pepi ou Jordan Pefok Siebatchieu. Là-dessus, je l’accorde, Pepi aurait fait du bien. Seulement, Berhalter a souhaité prendre trois profils différents avec lui : un attaquant remuant pour peser sur les défenses adverses, un plus puissant pour de longs ballons aériens et un pour courir derrière les défenseurs et amener de la verticalité. Le premier profil correspondait à Sargent et Pepi, le second à Wright et Pefok et le troisième, à Ferreira. Si j’aurais préféré Pefok à Wright, je ne peux pas lui en vouloir d’avoir pris Sargent plutôt que Pepi et pareillement, de ne pas avoir pris deux joueurs possédant un profil similaire. De la même manière, beaucoup ont reproché à Berhalter son choix de mettre Tim Ream et Walker Zimmerman en huitième de finale face aux Pays-Bas : solides face aux Anglais et de fait, en préparation de la Coupe du Monde, il est difficile de lui jeter la pierre sur ce sujet. Sa plus grande erreur, à mes yeux, est plutôt la non-sélection de Djordje Mihailovic, un milieu créatif qui aurait pu aider l’USMNT. Mihailovic, Pepi, un autre défenseur central : dans tous les cas, il est très probable que ces joueurs n’auraient pas changé radicalement les résultats obtenus.

Ce huitième de finale était l’objectif affiché de la sélection. Malgré des évènements impliquant Gio Reyna, qui explique son temps de jeu réduit, Gregg Berhalter a aussi réussi à tenir son groupe ensemble et à garder une excellente cohésion. Tim Ream, Jesus Ferreira et DeAndre Yedlin, notamment, ont salué ses méthodes après la Coupe du Monde.

Il reste, à la fin de son contrat, sur un bilan nettement positif : 37 victoires, 11 défaites et 12 matchs nuls, deux trophées et un retour en Coupe du Monde. Son équipe est 13e au classement FIFA et il a su bien jouer face à de gros adversaires internationaux en amical.

Jesse Marsch, l’entraîneur américain de Leeds
(Photo via TEAMTalk)

Si ce n’est pas lui, qui d’autre ?

Voilà pour son bilan. Il n’y a qu’un bémol à une prolongation de GGG, c’est que les sélectionneurs qui reviennent pour un deuxième cycle ont souvent du mal aux Etats-Unis. Bruce Arena, Bob Bradley, Jurgen Klinsmann en sont de récents exemples assez criants. Il faudrait peut-être un profil plus expérimenté, afin de cadrer des joueurs qui sont maintenant moins jeunes et de préparer efficacement la Coupe du Monde 2026.

Malheureusement, il y a aussi un manque d’alternative. Le poste de sélectionneur américain n’est pas le plus prisé et les quatre prochaines années à venir, avant la Coupe du Monde, risque d’être un peu fades. La Fédération de l’US Soccer n’est pas non plus une fédération extrêmement riche et il serait étonnant de les voir décrocher un entraîneur de renom ; Pep Guardiola s’est déjà dit intéressé dans le passé, mais a récemment prolongé avec Manchester City. Zinedine Zidane se saurait vu offrir le poste, mais l’a refusé. Les autres alternatives de sélectionneurs libres, comme Tata Martino ou Robert Martinez (depuis nommé au Portugal), ne sont ni des gages assurés de qualité, ni moins chers. De la même manière, un entraîneur de MLS confirmé comme Jim Curtin, Steve Cherundolo ou Wilfried Nancy n’apporteraient pas énormément. Le nom qui pend sur toutes les lèvres, c’est l’Américain Jesse Marsch, qui flirt avec le génie et le moins bon actuellement en Premier League avec Leeds. C’est le profil rêvé : américain, ancien joueur de MLS, ancien entraîneur de MLS et avec un profil reconnu en Europe. Cependant, il est peu probable qu’il quitte son siège d’entraîneur en 2023 et se lance dans la grande aventure de l’USMNT, sauf déconvenues à Leeds.

C’est pourquoi, à mon sens, il semble cohérent de prolonger Gregg Berhalter pour la suite de la sélection. La Gold Cup 2023 et surtout, une potentielle Copa America 2024 étendue à la Concacaf, permettront de voir si la direction empruntée est la bonne. Si ce n’est pas le cas, il restera deux à trois ans pour faire les ajustements nécessaires, avec un groupe déjà bien complet. Berhalter a récemment confirmé qu’il était intéressé par le poste et malgré les récents évènements autour de Gio Reyna, il est possible que sa réaction mesurée plaide en sa faveur, même si la réintégration du jeune joueur sera compliquée.

Antoine Latran

Co-créateur de Culture Soccer. Ancien rédacteur Soccer Nord-Américain pour Lucarne Opposée. Fan de MLS depuis une balade dans Seattle un jour de match, j'écris sur Culture Soccer sur la MLS, la NISA, la sélection américaine, ainsi que sur des sujets mêlant le sport à la culture, la politique et l'économie.

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