Fraîchement nommé analyste pour Apple TV, Sébastien Le Toux est un des pionniers français du soccer nord-américain. Arrivé à Seattle avant même la MLS, il est resté 11 ans dans la ligue à Seattle, Philadelphie, Vancouver, Colorado et D.C.. Depuis qu’il a raccroché les crampons, l’ex attaquant s’est installé dans le paysage médiatique de Philadelphie avant d’être recruté par la firme à la pomme. Il se confie à Culture Soccer, vendredi 24 mars, sur la MLS, sa carrière et ses nouvelles responsabilités.
Tu as débuté ta carrière en Amérique du Nord en United Soccer League (USL, D2), à l’époque il y avait déjà peu de Français en MLS mais en USL, c’était pire. Comment tu t’y es retrouvé et pensais-tu que ce serait une parenthèse dans ta carrière, ou le prochain chapitre ?
J’étais sous contrat au FC Lorient, en deuxième division, mais à ma deuxième année de contrat nous sommes montés en Ligue 1 et je n’ai pas beaucoup joué. Je revenais de blessure, c’était dur de retrouver un club après et je suis resté quelques mois au chômage. J’ai enchaîné les essais, rien ne s’offrait à moi et j’ai eu la chance de rencontrer un agent qui m’a proposé de venir jouer aux Etats-Unis. J’ai fait des essais, notamment à Dallas en 2006 pour la finale de MLS avec un groupe de Français, on a fait un match devant des propriétaires de clubs. Pour des détails, finalement ça ne s’est pas fait avec Dallas et ça s’est terminé à Seattle.
Je finis meilleur buteur dès ma première année de l’USL avec le club, je surfe sur cette vague et le fait que Seattle allait passer en MLS était déjà acté, donc j’ai fait en sorte de jouer pour les Sounders après l’expansion, même si j’avais déjà, en USL, des propositions d’autres clubs de MLS, notamment le Galaxy. Donc j’ai signé un contrat avec la MLS, en restant une année en « prêt » en USL avec Seattle et j’ai donc été le premier joueur à signer un contrat MLS avec les Sounders.
C’était plus qu’une parenthèse. Quand j’ai eu ma première bonne saison en USL, je me sentais vraiment bien avec la ville et le pays, j’ai retrouvé des sensations que j’avais perdu en France, je retrouvais la passion derrière mon métier. Je l’ai redécouvert ici et je me sentais plus heureux qu’en France, c’était super de découvrir quelque chose de nouveau.

Tu as en plus eu la chance d’arriver dans une ville qui se préparait pour la MLS et l’expansion de Seattle en 2009, c’est le début de la vague des nouvelles équipes de MLS qui continue aujourd’hui. Dans les clubs qui ont suivi avec autant de succès comme Atlanta ou LAFC, est-ce que tu retrouves des similarités avec Seattle ?
Oui, ça se voit déjà dans le management de chaque équipe avec des propriétaires qui font attention à recruter des bons joueurs dès la première année et une équipe compétitive dès le premier match. En même temps, les équipes qui arrivent dans ces villes ont souvent une fanbase établie qui est déjà grande. Atlanta avait 70 000 spectateurs dès le premier match, l’équipe de St Louis arrive avec d’entrée un stade plein, tu sens la ferveur de tous les fans qui aiment le football. C’est ça qui fait la différence dans les nouvelles équipes de la ligue ; les stades sont directement remplis.
St Louis cette année, on le voit encore, c’est le meilleur démarrage de la ligue avec 4 victoires en 4 matchs [maintenant 5 !], j’en avais fait 3 en 3 matchs avec Seattle mais ils nous ont battu… Ça montre que l’équipe est bien construite, sur le papier il n’y a pas de joueurs mondialement connus et certains sont même de sacrés paris, mais le roster joue bien ensemble. Ce sont des choses qui ressortent maintenant dans cette ligue, les équipes ne cherchent plus à signer un Messi ou un Ronaldo pour attirer des fans, mais on veut des joueurs d’Europe et d’Amérique du Sud pour gagner la ligue.
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En parlant d’expansions, tu as enchaîné après Seattle par une autre saison d’expansion, à Philadelphie cette fois-ci, où l’expérience a été assez différente. L’Union était une équipe plus locale, moins riche, qui a pris son temps pour se construire.
C’était une équipe que je ne connaissais pas du tout, il n’y avait même pas de clubs en USL donc c’était tout nouveau pour moi. Il y avait beaucoup moins de choses en place et les 3 à 4 premières années n’étaient pas simples, il n’y avait pas de terrains d’entraînement par exemple. La ville était en MLS grâce à la passion de ses fans qui avaient été incroyables, mais elle était moins prête.
Cependant, malgré la préparation moins bonne, par rapport à ma première année à Seattle j’ai connu une vraie bonne saison en MLS [14 buts] puisque l’entraîneur Piotr Nowak m’avait indiqué qu’il voulait me faire jouer attaquant et non milieu de terrain. A Seattle, j’étais arrivé comme avant-centre en USL, mais quand l’entraîneur Sigi Schmid est arrivé pour la première saison en MLS il ne m’a jamais vraiment fait jouer comme attaquant, sauf en Open Cup… qu’on a gagné d’ailleurs et où j’ai terminé meilleur buteur ! En tant que joueur, quand l’entraîneur te dit qu’il va te faire jouer attaquant puisqu’il m’a vu jouer en USL et qu’il te donne de la confiance pour être son numéro neuf, ça te motive. Je n’étais pas le plus jeune, j’avais déjà 26 ou 27 ans mais il y avait déjà beaucoup de jeunes joueurs donc ça m’a permis de m’imposer et de prendre confiance. Au premier match à domicile, je mets un triplé [victoire 3-2 face à D.C.] et j’ai fait une bonne saison.

Quand tu es revenu à Philadelphie, plus tard entre 2014 et 2016, tu as pu évoluer sous Jim Curtin, qui est maintenant considéré comme l’un des meilleurs à son poste. Est-ce qu’à l’époque, tu décelais qu’il pouvait être un grand entraîneur en MLS ?
Lorsque je suis revenu, John Hacksworth était l’entraîneur principal, mais il s’est fait virer pendant la saison à l’été 2014 et c’est là où Jim Curtin, qui était assistant, a pris le rôle d’entraîneur. C’est avec lui qu’on a repris un bon cycle, en arrivant en finale de l’US Open Cup et il est resté en place à ce moment-là. Jim m’a également fait confiance, comme à de nombreux vétérans et m’a fait plus jouer que le faisait Hacksworth.
Par contre, à l’époque Jim c’était un rookie comme coach, donc je ne m’attendais pas forcément à ce qu’il aille si loin. C’est un super gars, une personnalité sympa mais en tant qu’entraîneur, quand il y a des soucis… Il n’aimait pas vraiment le conflit, même si je pense qu’il est bien plus confortable là-dessus aujourd’hui, pour gérer les égos dans le vestiaire. Mais je pense qu’il a bien appris pendant toutes ces années et aujourd’hui il sait comment il veut jouer. C’est clairement, avec le recul, une personne parfaite pour Philadelphie. Il sait comment gérer les fans, les employés du club, tout le monde le connaît, il vient d’ici. Avec tous ses bons résultats qu’il a depuis quelques années, on parle même de lui pour l’équipe nationale et c’est mérité.
Ta carrière en MLS t’a emmené à D.C., aux Rapids, à Vancouver, aux New York Red Bulls… Est-ce qu’il y a un entraîneur qui t’a plus marqué que les autres ?
Il y en a deux, Brian Schmetzer tout d’abord. C’est lui qui m’a signé la première fois en USL, à Seattle, puis il est devenu l’assistant de Sigi Schmid en MLS et c’est lui qui m’a fait jouer attaquant pour la première fois. Personne avant n’avait eu l’idée de le faire, alors que pendant mes essais je me décrivais comme défenseur central ou milieu défensif… Lors d’un match amical de pré-saison, il m’a placé devant et ça a très bien marché avec une super saison derrière.
Le deuxième, c’est Piotr Nowak, qui a aussi cru en mes capacités en tant qu’attaquant, dès le premier jour, à Philadelphie. Ces conseils et sa confiance m’ont vraiment lancé en MLS parce qu’à Seattle finalement j’y ai seulement joué un an mais je n’étais pas le nom qui sortait de l’équipe, par rapport à Philadelphie avec Novak où j’ai été la star de l’équipe… Il y a forcément eu plein d’histoires derrière, avec certaines choses qui auraient pu mieux se passer, mais il m’a beaucoup marqué.
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Après ta carrière, tu avais débuté par commenter des matchs au niveau local, à Philadelphie, maintenant tu as un rôle plus global avec Apple TV, où tu commentes les matchs des équipes canadiennes de MLS, en français. Ça n’a pas été trop dur de couvrir trois nouveaux clubs du jour au lendemain ? Comment tu t’y es préparé ?
Il n’y a pas eu de difficultés particulières, j’aime beaucoup ce que je fais depuis quelques mois. Les déplacements sont plus longs, là je voyage à San José [pour le match nul face à Toronto de samedi soir, 0-0] mais je resterai plus à Toronto dans les prochains mois, car la MLS y prépare un studio sur place. Les équipes canadiennes, je les connais déjà car je regardais pas mal de matchs dans le passé. Après, c’est un peu plus de préparation, on a un call avec un entraîneur ou un joueur des équipes que l’on va commenter pour se préparer et j’essaye de regarder plus ce qui se fait dans l’entièreté de la ligue plutôt qu’une ou deux équipes. J’ai la chance de mon côté de connaître cette ligue depuis plus de 10 ans, donc je sais ce qu’il s’y passe, les grandes nouvelles… La plus grande difficulté récemment, c’est de se tenir au courant des jeunes et de savoir qui arrive des académies. Il faut contacter du monde et obtenir des infos sur leur profil.
Le fait de commenter en français c’était aussi bien plus simple pour moi ! J’ai grandi avec Thierry Rolland, Jean-Michel Larqué, Thierry Giraldi, je connais le ton à mettre à chaque match et l’analyse qu’il faut faire, donc c’est une super année pour continuer à apprendre. Je m’y plais beaucoup et je commence à bien connaître Matt Cullen, avec qui je commente les matchs, ça me permet d’avoir une bonne entente.
Des trois équipes canadiennes que tu suis, laquelle tu préfères voir jouer sur le terrain ?
Je vais voir Toronto jouer pour la première fois ce week-end, mais je pense que c’est celle qui a le plus de talents et d’homogénéité, avec une défense qu’ils ont bien restructuré pendant la saison morte et l’attaque, avec Insigne, Bernardeschi et Diomandé, s’ils évitent les blessures, qui peut faire mal. Ils sont encore en train de se chauffer mais une fois que ça partira ça deviendra très intéressant. Ensuite j’ai beaucoup fait de Montréal et de Vancouver et c’est différent. Vancouver commence à être de mieux en mieux dans leur style de jeu, ils sont intéressants dans leur pressing et dans cette ligue beaucoup d’équipes sont au même niveau qu’eux. Montréal et Vancouver pour moi sont en tout cas au même niveau et Toronto un petit cran au-dessus, dans le haut du classement de l’est, mais ils ne sont pas épargnés par les blessures.

Pour le moment, la couverture française est plutôt canado-centrée. Est-ce que tu sais si la ligue voudrait étendre la couverture francophone à d’autres matchs et est-ce que de ton côté, tu sens que le public français de l’autre côté de l’Atlantique s’intéresse plus à la MLS ?
J’ai des retours d’amis qui regardent depuis la France, ou des personnes d’origine française ou africaine qui regardent depuis les Etats-Unis mais en français et je pense qu’Apple est encore en rodage vu que c’est la première année dans le sport. C’est une grande ligue, avec 14 matchs par week-end, des émissions, c’est compliqué techniquement mais tout le monde s’emploie pour donner un meilleur show et faire en sorte que tout le monde puisse regarder le match dans la langue souhaitée.
En français, il y a eu quelques petits soucis pour écouter les commentaires, donc il y a quelques problèmes techniques mais c’est en train d’être résolu. Chaque année, ça va s’améliorer, mais la ligue souhaite faire plus de matchs en français, je pense que ça a déjà été discuté. Cette année, tous les matchs sont en anglais et en espagnol avec trois équipes en français, mais j’ai entendu que dans un ou deux ans tous les matchs seront en français et ils ajouteront possiblement le portugais. Donc ils essayent de faire au mieux possible, pour attirer des fans au Canada, en Amérique Latine, en Europe ou dans les pays d’Afrique.
C’est sûr qu’avec l’arrivée prochaine de Lionel Messi, je comprends qu’on veuille s’étendre en Amérique Latine !
Pas besoin de Messi, il y a déjà Thiago Almada pour ça !